Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Les agriculteurs tirent les leçons du drame du juin
Régulièrement inondée, la plaine fertile de l’Est-Var est envahie par les friches et les jeunes peinent à s’y installer. La Confédération paysanne dénonce un manque de volonté politique
Les représentants de la Confédération paysanne ont choisi le dixième anniversaire des inondations mortelles du 15 juin 2010 pour faire le point, hier matin à Roquebrune-sur-Argens, sur la situation de l’agriculture dans la basse vallée de l’Argens. Cette plaine, la deuxième plus fertile d’Europe, a toujours eu une vocation agricole. Depuis des siècles on y cultive des arbres fruitiers, de la vigne, et on y fait du maraîchage et de l’horticulture. Mais les petits débordements auxquels les anciennes générations étaient habituées, et qui apportaient ce limon bénéfique à la terre, sont devenus des crues meurtrières culminant à certains endroits, comme à la Maurette (commune du Muy), 4 à 5 mètres de haut, dévastant tout sur leur passage.
L’action insuffisante des pouvoirs publics
« Depuis dix ans, les travaux qu’on attend pour sécuriser le secteur agricole et l’habitat n’ont pas été faits, pointe Sylvain Apostolo, l’un des porte-parole du syndicat agricole. Nous sommes dans un cul-de-sac au niveau des procédures administratives. » « Le Syndicat mixte de l’Argens (SMA) a bien entrepris des travaux mais pour mettre Draguignan à l’abri. Du coup, l’eau arrive encore plus vite ici », témoigne Patrick Pesenti, dont le terrain, sur lequel se déroule cette visite, a subi pas moins de huit inondations lors de la dernière décennie. « Ce qui était entretenu avant ne l’est plus, souligne aussi Isabelle Bouvier, arboricultrice et maraîchère à Vidauban, représentante du syndicat à la SAFER C’est à nous de sortir les arbres de la rivière près de nos terres. Depuis les inondations de novembre et décembre derniers, il aurait pu se faire des choses, on a eu un hiver très sec. Mais non, rien n’a été fait. »
Et Francis Girard, éleveur et autre représentant syndical, d’ajouter : « En plus dans la basse vallée de l’Argens, la route du bord de mer fait barrage à l’écoulement des eaux vers la mer ». «Elle bouche le delta à 98%», complète Patrick Pesenti. La Confédération pointe du doigt l’inaction des pouvoirs publics, à tous les niveaux. « On a repris une étude de 2014, lorsque le conseil général de l’époque avait créé un projet d’aménagement foncier agricole et forestier (l’ancien nom du remembrement, Ndlr) pour redynamiser le secteur agricole sur Le Muy, Roquebrune-sur-Argens, Puget-sur-Argens et Fréjus », rappelle Jean-Stéphane Cantilhion de Lacouture, vigneron au Muy, dont le domaine de la Roquette est multi-inondé également. Selon cette étude, qui portait sur 4 000 hectares de terres, 1 035 ha étaient déjà en friche, dont les deux tiers (704 ha) ont été identifiés comme mobilisables. Mais «ce projet a été abandonné ».
L’imperméabilisation des sols pointée du doigt
Les professionnels demandent aussi aux décideurs d’agir sur les causes de ces inondations à répétition : « Le changement climatique, localement on ne peut pas faire grand-chose, selon M. Apostolo. En revanche, l’imperméabilisation des sols est grandement responsable de l’accélération du nombre et de l’intensité des crues ». M. Cantilhion de Lacouture indique : « Il existe une mesure facile à mettre en oeuvre et qui ne coûterait pas cher : aujourd’hui, pour chaque route, ouvrage structurant ou construction, un bassin de rétention est obligatoire. Or, ce n’est pas respecté, ou si ça l’est, c’est minimisé, et surtout, il n’y a pas de contrôle sur ces bassins d’orage. Il suffirait à l’État de le faire respecter ». « La basse vallée de l’Argens, c’est l’exemple concret pour les décideurs de démontrer qu’ils veulent encore de l’agriculture dans le Var et protéger les populations de ce secteur, selon Sylvain Apostolo. Les mesures à prendre, tout le monde les connaît : réaliser des travaux pour faire baisser le volume des crues, sécuriser les fermes et tous ceux qui vivent sur ce territoire. Des aides spécifiques pourraient être mises en place pour sécuriser les agriculteurs du coin par une aide de sur-inondation, en fonction d’un niveau d’eau et de fréquence ». Mais comme le déplore Isabelle Bouvier : « Quand le ministre de l’Agriculture est venu après les dernières inondations (nos éditions du 11 décembre 2019, Ndlr) , il a balayé cette mesure de paysan surinondé de manière définitive ».
Aider des jeunes à s’installer
« Les collectivités locales ont un rôle à jouer, et peuvent mettre des moyens aussi. Il faut une volonté politique pour arrêter de construire des grandes surfaces et des zones d’activités sur des terres agricoles. Les communes peuvent acheter pour installer des jeunes agriculteurs, en les louant, car il y a une grosse problématique d’installation. » En effet, au-delà de la critique sur l’inertie des pouvoirs publics, la Confédération paysanne pointe un paradoxe : alors que la demande de produits locaux en circuit court ne fait qu’augmenter, comme la crise sanitaire l’a parfaitement démontrée, et que de jeunes agriculteurs souhaitent s’installer, ceux-ci ne trouvent pas à le faire (lire page suivante) .Les rares parcelles accessibles financièrement étant les plus à risque, leurs projets ne seraient économiquement pas viables. Les exemples ne manquent pas dans la basse vallée de l’Argens comme dans le reste du département. Des terres fertiles mais à l’abandon, c’est du gâchis. Certains agriculteurs (lire page suivante) redoutent que ce soit une volonté de ne pas enrayer la déprise agricole pour laisser le champ libre à son urbanisation future…
1. Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.