Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
« Depuis trois mois, la scène me manque terriblement »
Né à Toulon et résident monégasque depuis 2014, le harpiste Xavier de Maistre a parcouru la planète sans relâche pendant douze années. Il raconte sa période de confinement
devait être la « plus belle année » du Varois. Des spectacles dans les plus prestigieuses salles. À ans, c’était en quelque sorte la juste récompense après des années d’efforts et de travail, la consécration après avoir acquis une renommée internationale en enchaînant les scènes d’un pays à l’autre, sans même parfois avoir suffisamment de temps pour une simple nuit de repos. C’était le monde d’avant tel qu’il était et tel que l’exigeaient la concurrence et la demande du public mélomane.
Depuis le début du déconfinement, et plus encore depuis le mai, tout le monde a repris son travail. Enfin pas tout le monde : vous, non. Quelle est votre prochaine date de concert confirmée ?
Il est malheureusement encore impossible de répondre à cette question. Je devais jouer en Espagne, en Italie, en Russie, en Allemagne, au Japon, en Suisse, en Corée, en Italie et tous les organisateurs – sans exception – ont annulé au moins jusqu’au mois de novembre en faisant jouer la clause de force majeure. Il ne me reste plus, pour l’heure, que concerts sur les prévus en .
Les organisateurs de spectacles ou les assurances vous assurentils une indemnisation, même partielle ?
Aucune indemnisation. Les salles qui m’engagent font plus de mille places et personne ne peut prévoir quand elles vont rouvrir. Ma seule possibilité pour continuer à faire vivre mon art dans les prochains mois est de jouer pour la télévision ou en streaming. En dehors de l’immense frustration de ne pouvoir partager avec le public, ces formes ne sont que très faiblement rémunérées. C’est la première fois que j’ai presque regretté d’avoir quitté l’Orchestre philharmonique de Vienne.
Peut-on affirmer qu’il y a eu le monde d’avant et maintenant le monde d’après pour les solistes internationaux ?
D’après les agents artistiques, les conditions de reprise vont être extrêmement difficiles. Ils craignent que les états en proie à un endettement colossal ne réduisent leur budget alloué à la culture et que les entreprises, elles aussi en difficulté économique, renoncent à sponsoriser de nombreux festivals dont la survie même est remise en question. Les orchestres risquent de prévoir davantage de concerts sans solistes afin de réduire leurs coûts. C’est ce qui s’est passé en Espagne où les cachets ont diminué de % à la suite de la crise de , alors que les engagements de solistes étaient réduits, quant à eux, de moitié.
Des concerts à prix cassés ?
Oui. Certains musiciens acceptent des cachets baissés de , voire %. Des rémunérations qui ressemblent à des fins de soldes ou plutôt à une liquidation totale.
Pensez-vous qu’une fois passée cette période intermédiaire de « déconfinement », vous retrouverez l’activité d’avant ?
J’espère que la relation privilégiée que j’ai avec le public m’aidera à la reprise. Mais je ne retrouverai certainement pas le même niveau d’activité. Plusieurs facteurs se conjuguent en notre défaveur : moins de concerts programmés, des jauges réduites, des cachets diminués et des vols internationaux à la fois plus compliqués et plus chers. La moitié de mes engagements étaient hors Europe : Asie, Australie, Amérique. Si des mesures de quarantaine persistent, je ne serai pas en mesure de me rendre au Japon pour la tournée d’octobre par exemple. Les organisateurs vont probablement privilégier les artistes locaux dans les prochaines années afin de réduire les risques et les coûts.
Le confinement a été, pour tous, un temps de réflexion. Qu’en avez-vous retenu ? Je suis lucide sur la nouvelle réalité qu’impose la crise sanitaire car tous les indicateurs sont là. Depuis trois mois, la scène me manque terriblement. Quand vous consacrez votre vie – dès l’enfance – pour parvenir au meilleur de vos capacités, au prix de travail, de persévérance, de renoncements, l’arrêt brutal est d’une violence inouïe. Il faut avoir le coeur bien accroché. Et les reins solides ! Je dois toutefois reconnaître que j’ai tellement joué et voyagé ces dernières années que la fatigue, et même les douleurs, prenait parfois le pas sur le plaisir d’être sur scène. J’ai fait quatre fois le tour du monde en et il n’était probablement pas raisonnable de continuer à ce rythme. La période de confinement m’a fait réaliser la chance extraordinaire de pouvoir partager mon art et vibrer à l’unisson avec son public. Je vais dorénavant savourer, encore plus consciemment, chaque concert.
Avez-vous profité de cette période pour être plus près de vos proches ?
C’est la première fois depuis mes ans que je reste aussi longtemps au même endroit. Cela m’a permis notamment de m’occuper de mes parents à Toulon et de leur porter assistance quand c’était nécessaire.
Beaucoup de musiciens ont proposé de petites formes musicales sur les réseaux sociaux. Pas vous. Pourquoi ? C’était peut-être le seul moyen, pour certains, de partager leur art. Mais, pour moi, la musique est un art vivant. J’ai besoin d’être inspiré par mes collègues autant que par le public. La musique sur la Toile, c’est comme manger un plat d’Alain Ducasse en conserve.
Quand les pays ont décidé les uns après les autres le confinement, vous étiez entre l’Australie et Monaco. Comment avez-vous vécu ces heures où tout basculait ?
J’ai entamé début février ma tournée en Australie. J’avais pris soin de modifier mon vol afin de ne pas faire d’escale. C’était à l’époque où les pays européens avaient publié une liste de « zone à risques » qu’il fallait à tout prix éviter pour échapper au coronavirus. J’étais certes sensibilisé par mon amie italienne quant à la situation sanitaire qui se dégradait rapidement dans son pays, puis rapidement dans toute l’Europe. Mais ceci me semblait lointain, démesurément exagéré. Mais les mauvaises nouvelles se sont enchaînées rapidement : jour après jour, mon agent m’informait des annulations en cascade de mes prochains engagements. Mon calendrier s’effaçait jour après jour. Le printemps est devenu morne plaine en quelques jours.
La musique sur la Toile, c’est comme manger un plat d’Alain Ducasse en conserve”
Rentrer d’Australie sans difficulté majeure fut une chance presque inespérée”
Vous avez pu rentrer sans difficulté ?
Les pays bouclaient un à un leurs frontières. Les compagnies aériennes annulaient unes à unes leurs vols internationaux. Rentrer d’Australie sans difficulté majeure fut une chance presque inespérée. J’ai embarqué sur le dernier vol d’Air France avant que la ligne ne soit fermée. J’ai appris pendant la traversée que le Président français annonçait le confinement. L’escale à Paris fut angoissante : des cohortes de voyageurs hagards semblaient fuir la capitale précipitamment. J’étais parmi eux et j’ai pris mon vol pour Nice. Je suis enfin vite rentré à Monaco puisqu’il n’y avait quasiment plus de voitures sur les routes le mars.
Quels sont les sentiments d’être ainsi confiné à Monaco ?
Monaco est un repli rassurant quand tout semble s’écrouler comme un château de cartes autour de nous. Il ne faut pas oublier, de surcroît, que ce rocher abrupt a su être une terre d’accueil pour les artistes depuis plus d’un siècle. À un moment si singulier de l’Histoire où les musiciens, chanteurs, danseurs, comédiens et tous les professionnels de la culture au statut d’indépendant se sentent mis de côté, pour ne pas dire oubliés, aujourd’hui encore, les autorités politiques de la principauté nous soutiennent. C’est une reconnaissance remarquable et précieuse.