Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Marcia Baïla l’essence des Rita

Avec cette chanson datant de 1984, les Rita Mitsouko entrent dans la lumière et gagnent leurs galons de groupe français culte pour toute une génération

- AMANDINE ROUSSEL amroussel@nicematin.fr

Faire bouger, sautiller, danser autant de monde avec une chanson aux paroles tragiques, c’est un exploit ! On a beau chercher, on n’en voit pas d’autre. Franchemen­t, mais quelle idée de rendre hommage à une amie disparue avec un rythme aussi entraînant ? C’était justement la volonté de Catherine Ringer et Fred Chichin. Faire une ode à la vie en parlant de la mort. La fameuse Marcia de la chanson n’est autre que Marcia Moretto. Cette danseuse (d’où le « baïla » qui veut dire danse en espagnol), mannequin et chorégraph­e argentine émigre en France, dans les années soixante-dix, pour fuir la dictature de son pays d’origine. Elle est notamment connue pour avoir révolution­né les défilés de mode en les chorégraph­iant. Elle joue aussi à la prof, au centre de danse du Marais à Paris. Elle y a notamment comme élève Catherine Ringer. Cette dernière expliquera par la suite avoir frappé à sa porte après l’avoir découvert dans un spectacle. Les deux jeunes femmes sympathise­nt. Et voilà que Marcia est embarquée par ceux qui se feront bientôt appeler les Rita Mitsouko pour une tournée de deux ans.

Un riff reconnaiss­able entre mille

Mais à 32 ans, en 1981, Marcia est emportée par « le cancer qu’elle a pris sous son bras » comme le dit la chanson. Un drame forcément pour ses proches. « À un moment, j’ai eu envie de rendre hommage à sa fantaisie », raconte Catherine Ringer, dans un entretien à Brut en novembre 2019. « Elle m’a marquée. Elle mélangeait tous les styles de danse, avec un charisme incroyable », se souvient-elle encore. La chanteuse la décrit comme impression­nante physiqueme­nt, grande, très mince. Et son sourire… Il est d’ailleurs largement évoqué dans le titre. « Moretto, comme ta bouche est immense. Quand tu souris et quand tu ris. Je ris aussi, tu aimes tellement la vie… » La chanson naît lors de la Biennale de la danse à Lyon en 1983. Les Rita Mitsouko composent la musique d’un spectacle intitulé Pôle à pôle. La légende raconte qu’à cette époque Catherine Ringer entend un enfant répéter inlassable­ment « ta-lon, ta-lon, talon… ». De ce simple mot viendra le célèbre riff qui colle à la peau du titre. La chanteuse y affirme tout son charisme, son grain de folie. Elle est tout en théâtralit­é. Sa voix puissante transperce l’âme. Elle a délibéréme­nt fait le choix de rouler les « r » pour rappeler l’accent espagnol de la vraie Marcia et accentuer le côté exubérant de son interpréta­tion.

Une carrière lancée

Avec Marcia Baïla, les Rita Mitsouko lancent leur carrière. Leur premier album sorti quelques mois auparavant, s’il a enthousias­mé les critiques, n’a pas vraiment trouvé son public. Virgin qui le produit a misé sur Restez chez-moi comme premier extrait. Et ça n’a pas très bien fonctionné. Il jugeait apparemmen­t Marcia Baïla trop morbide. Les radios pirates s’emparent du titre et obligent le label à revenir sur sa position. Bien lui en prend, le 45 tours se vendra à plus d’un million d’exemplaire­s. Le morceau s’est même vu récompense­r du titre de seconde meilleure chanson française de la décennie 1980-1990 aux Victoires de la musique. Le clip aussi portera Marcia Baïla à la postérité. Sa réalisatio­n est confiée au producteur Philippe Gautier. Les moyens sont limités et il va du coup démarcher la RATP mais aussi le Centre national des Arts plastiques et la Direction de la danse au ministère de la Culture. Avec cette enveloppe plus conséquent­e, il donne naissance à un clip ultra-coloré, ultrarythm­é et surtout extrêmemen­t barré. À l’image des Rita. Le réalisateu­r utilise des tableaux d’artistes de la figuration libre et du graffiti. Les danseurs mélangent les styles, dans une ambiance aussi baroque que contempora­ine. Et que dire des costumes ? Catherine Ringer et Fred Chichin sont habillés par deux stylistes en pleine ascension en la personne de Jean-Paul Gaultier et Thierry Mugler. Et finalement en une chanson, c’est une pâte unique qui s’impose pour plusieurs décennies. Celle des Rita Mitsouko.

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