Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

ZA, le détourneur d’objets qui a forgé son destin

Assemblant le métal sous toutes ses formes depuis vingt ans, Jean-Claude Aubriot, alias ZA, peine à vivre de son art. Aujourd’hui, il songe à un autre avenir. Forcément meilleur

- ANAÏS GRAND agrand@nicematin.fr

Chaque vendredi cet été, un artisan de la Dracénie se dévoile. Détenteurs d’un savoir parfois ancestral, ces femmes et hommes de l’ombre méritent bien d’être mis en lumière…

Autrefois, il était JeanClaude Aubriot, chômeur, alcoolique. Aujourd’hui, il est ZA, sculpteur de métal à Châteaudou­ble, retraité, vivant dans ses caravanes. « Et j’adore ça ! », sourit-il. Même si cela n’a jamais été facile. De sa voix rauque, marquée par ses années grises, l’homme annonce crânement la couleur : « J’ai été chômeur pendant longtemps. Je n’ai eu que cinq jobs dans ma vie. » Après avoir quitté l’école, encore adolescent, il fait ses débuts au Canal de Provence, puis dans la constructi­on navale. Il a également été berger, restaurate­ur, chaudronie­r-soudeur. À chaque fois, ces expérience­s ne durent qu’un temps. Il en garde des souvenirs décapants : « J’ai été témoin de graves accidents lorsque je travaillai­s sous terre. J’ai récupéré un doigt par ici, un bras par là. » Jean-Claude n’a jamais cessé de chercher sa place au soleil. Même si cela ne collait jamais. « Puis, lorsque j’ai commencé ma période d’abstinence, j’ai expériment­é la sculpture », raconte-t-il.

Coeur de métal

Car avant de tomber amoureux de l’art, le futur ZA était éperdu de bouteille. Une passion destructri­ce qui a duré… 20 ans. Pourquoi a-t-il basculé ? Il accuse les fêtes et apéritifs à répétition, mais son regard se perd dans le vide : « J’ai arrêté de chercher. C’est mieux comme ça. »

Car tout ça, c’était il y a longtemps. Il a tourné la page après que la perte successive de trois amis l’a amené à réfléchir. « Lorsqu’on absorbe une dizaine de verres par repas, chaque jour, chaque soir, on commence à prendre conscience… » lâche-t-il en plissant ses yeux turquoise, qui soudain s’assombriss­ent. Le père de famille se noie encore dans quelques bribes de mémoire : « J’ai commencé à prendre des anxiolytiq­ues quand je sentais que le manque était trop fort. Je ne souhaitais plus m’enfermer dans le noir pendant des jours pour me calmer. Depuis, je n’ai jamais cessé d’en prendre. » Car même s’il a vaincu l’addiction, il continue de se battre contre des crises de panique. Hypocondri­aque,

l’art le calme. Il est encore adolescent lorsqu’il découvre ce merveilleu­x pouvoir apaisant : après le divorce de ses parents, il s’évade en regardant des films ou en dessinant des personnage­s de BD. In fine, l’art va le sauver. Le déclic ? Il se produit cinq ans après que Jean-Claude a vidé son dernier verre. C’est l’anniversai­re de sa soeur. Elle aime les fleurs. Il songe à « lui bricoler » un portepot. Il récupère du métal, se met à souder. Il ne lâchera plus jamais le fer. Arpentant le village, il récupère du métal ici et là. Parfois, ses amis lui en donnent. Sur son étal en plein air, il aligne ses trouvaille­s, les regarde, réfléchit, expériment­e. « Mes sculptures ressemblen­t toujours à des personnage­s rigolos. Cela me permet de continuer à rêver. J’ai l’impression d’avoir encore 25 ans. La vie est trop courte pour arrêter de rire », s’attendrit-il. Ce trait de personnali­té, il le doit à son père, disparu en 2013. « En plus d’être marrantes, mes sculptures ont chacune leur histoire. Je pense tenir ça de ma mère, qui adorait en raconter, détaille-t-il. Qui, elle, est décédée en 2017. » Malgré ses genoux douloureux, ZA arpente son jardin, évoquant la vie de ses personnage­s, les désignant successive­ment d’un doigt noirci par le labeur et la création. Sous un olivier, son biker, inspiré du film Easy rider. Dans la broussaill­e, un tambour de machine à laver revisité : son « robot qui récupère les objets » imaginé à partir du film Wall-E… Partout, des oeuvres d’art. De toutes tailles. De tous hommages. « Mais toujours en noir et doré, mes couleurs, en l’honneur de l’histoire du métal », précise-til. Peut-être aussi un mélange entre sa vie passée, triste, et sa vie actuelle, brillante… Ou presque.

La soif d’un autre destin

Car ZA n’a jamais réussi à vivre de son art. Il peine à joindre les deux bouts. Surtout depuis que sa santé lui joue des tours. « J’aimerais pouvoir mettre de l’argent de côté pour refaire mes dents, passer des examens de contrôle… », lâche-t-il. En attendant, il ne peut que faire attention aux dépenses, tout en préservant son autre plaisir : la nature. « Je me chauffe au bois l’hiver, j’utilise un panneau solaire pour l’électricit­é, des toilettes sèches, je récolte l’eau de pluie, je limite le nombre de douche… », détaille le « fils de la campagne ». L’hiver, ZA vit dans ses deux caravanes vertes. L’été, il passe ses journées dans son jardin à entretenir le terrain et à créer. « Mais en ce moment, je n’ai plus beaucoup d’inspiratio­n », confie-t-il. Il se résout à faire autre chose : « Pour vivre un peu de ce que je fais, je souhaite organiser une brocante. J’aimerais pouvoir aussi voyager, ce que je n’ai jamais pu faire. » L’artiste a passé sa vie à découvrir. Et même s’il est officielle­ment à la retraite, il le sait : «Je ne m’arrêterai jamais ». À force de détourner les objets, ZA pourrait bien avoir détourné sa destinée.

ZA sculpture, sur la plaine de la Tour, à Châteaudou­ble. Ouvert chaque jour au public. Tél : 06.12.72.47.36. Facebook : Terrain d’art Châteaudou­ble.

 ?? (Photos Clément Tiberghien) ?? Avant de sculpter le métal, Jean-Claude Aubriot, alias ZA, a traversé quelques tempêtes.
(Photos Clément Tiberghien) Avant de sculpter le métal, Jean-Claude Aubriot, alias ZA, a traversé quelques tempêtes.
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