Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Souvenirs de Nice Jazz Festival
Directrice de l’événement depuis 2014, Frederica Randrianome-Karsenty plonge pour nous dans sa mémoire musicale.
On l’a un peu prise au dépourvu, en pleins préparatifs des Nice Jazz Summer Sessions, qui s’achèvent ce soir avec la performance de l’accordéoniste Richard Galliano. Une fois installée dans son canapé, Frederica RandrianomeKarsenty a démarré en mode diesel, désireuse de n’oublier personne, de ne pas mettre de côté un moment important. Puis la parole s’est accélérée. Plus directe, plus enjouée. Cette femme-là aime profondément la musique, et la note bleue en particulier. Pendant près d’une heure et demie, celle qui fut chanteuse dans un big band durant l’adolescence, puis journaliste pour la radio TSF Jazz, avant d’intégrer l’équipe du Nice Jazz Festival (comme attachée de presse, responsable presse et responsable de production, avant d’arriver à la direction), a plongé dans son « album » de souvenirs.
Les saluts de Gregory Porter, le finish de Lauryn Hill
Parrain de l’édition 2018, le colosse à la casquette de trappeur, Gregory Porter, l’a marquée. Par son talent de vocaliste, évidemment. Mais aussi par sa personnalité. « Son show, une création pour le Festival, avec le Philharmonique de Nice, avait été annulé à cause de la pluie. Il avait accepté de reporter au lendemain. Au lieu de la scène Masséna, il a joué au Théâtre de Verdure, plein à craquer. Avec son aura incroyable, il a repris un répertoire de jazz vocal magnifique. À la fin du concert, il est sorti de scène en premier. Puis il a attendu à l’entrée des loges, pour serrer la main à chaque musicien du Philharmonique. Il était plein de reconnaissance et de bienveillance. C’est beau de voir une telle connexion .» Trois ans plus tôt, son coup de coeur se nommait Lauryn Hill. L’ancienne chanteuse des Fugees restait alors sur une fausse note au NJF. En 2007, lorsque l’événement se tenait aux arènes de Cimiez, elle avait fait poireauter les spectateurs près de deux heures, avant de livrer une performance poussive. « Forcément, on avait un peu peur. Mais cette fois, elle avait juste 20 minutes de retard », sourit Frederica
Randrianome-Karsenty. Son passage commençait néanmoins de manière timorée. « Pendant plus de la moitié du concert, elle était plutôt statique. Assise avec sa guitare, elle faisait des reprises reggae et de nouveaux morceaux. Quand elle a repris Killing Me Softly, tout le monde est devenu euphorique et a commencé à chanter. Elle s’est levée et elle a dit : « Ah, mais vous connaissez mes chansons ? » À partir de ce moment, c’était le paradis. Ça fait partie de la magie du spectacle. »
L’humanité d’Herbie, la folie de Jamie, Randy sous la pluie
L’édition 2017, elle, était bien plus particulière. Un an avant, le Nice Jazz Festival avait été annulé, après l’attentat du 14Juillet. « Pour l’équipe, c’était fort de se dire qu’on était encore là, que la musique continuait. On est là pour donner du bonheur aux gens. Il y avait une pré-ouverture, avec un concert de gospel. C’était un symbole du retour à la vie. Le parrain était Herbie Hancock, qui est ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco pour le dialogue interculturel. Il avait fait un discours magnifique en hommage aux victimes de l’attentat. » Loin de cette lourde atmosphère, le fantasque Jamie Cullum, parrain du millésime 2015, n’avait pas failli à sa réputation, sur la scène Masséna. «On était allé à Rauba Capeu avec son piano et sur le miroir d’eau de la coulée verte pour tourner un clip promotionnel, de très belles images. Sur scène, il m’avait fait halluciner. Quand il joue, plus rien ne l’arrête, tout est possible. Je l’ai vu sauter sur son piano ! C’était dingue. » Avant de nous raccompagner vers la sortie, la directrice nous soufflera une autre anecdote mettant en lumière un autre pianiste, Randy Weston. C’était le samedi 21 juillet 2018, quelques mois avant sa disparition. « C’était un géant, par sa musique et par sa taille. Il était si heureux d’être là... Il tombait des cordes. Il a joué debout, jusqu’à la fin. Le public s’est agglutiné devant la scène pour danser. Il y avait de la légèreté, une forme de bonheur simple. »