Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

5 tours de force d’Eddy Merckx

Cycliste de légende au palmarès impression­nant, le Belge a fêté ses 75 ans le 17 juin dernier. L’occasion de retourner sur ses cinq succès dans le Tour de France

- P AR PHILIPPE CAMPS

1 1969 : incroyable

Quand il arrive pour la première fois sur le Tour de France, Eddy Merckx a déjà un palmarès ébouriffan­t. Il a gagné le championna­t du monde, Paris-Roubaix, le Giro, le Tour des Flandres, Liège-Bastogne-Liège et trois fois MilanSan Remo. Bref, tout le monde connaît son coup de pédale élégant, efficace. Dans le peloton, il est reconnu, surveillé, redouté. À  ans, il porte les espoirs de la Belgique et la pancarte de favori. C’est lourd, mais il a le dos large. Un dos qui traumatise­ra ses rivaux. Comme au Ballon d’Alsace (e étape) où son coup d’éclat a des allures de coup d’État. Ce jour-là, il écrase la concurrenc­e, remporte l’étape et s’habille de jaune. Une étoile est née. Un surnom apparaît. Merckx devient le Cannibale. C’est bien trouvé. Il croque tout et tout le monde. Rouleur, puncheur, grimpeur, sprinteur, il peut viser tous les bonheurs. Le  juillet, le fameux de la Faema signe son chef-d’oeuvre :  kilomètres en solitaire entre le sommet du Tourmalet et Mourenx. Le deuxième est à  minutes. Les autres sont dans les choux. Cinq jours plus tard, Eddy Merckx s’offre son premier Tour de France et se hisse tout en haut des autres classement­s (montagne, points, par équipes, combiné, combativit­é). Phénoménal.

2 1970 : imbattable

Le Cannibale annonce la couleur. Il gagne le prologue à Limoges. Le jaune est mis. Généreux, il prête le maillot à l’Italien Italo Zilioli, son coéquipier à la Faemino. La tunique or reste en famille. Merckx reprend le pouvoir le  juillet à Valencienn­es (e étape). Il ne le lâchera plus. Il passe  jours en jaune. Comme en . Année héroïque. En face, c’est l’hécatombe. Gimondi n’est pas venu, Aimar est loin, Pingeon abandonne, Poulidor n’est pas dans le coup, Janssen est aux fraises, Van Impe est tendre et Ocana manque de rythme. Le Roi est seul, vive le Roi. Il s’impose au Ventoux, il s’impose partout. Merckx collection­ne les étapes () et signe un doublé Giro-Tour qui le positionne dans la roue des plus grands. Avant lui, seuls Fausto Coppi et Jacques Anquetil ont signé pareil exploit. Les autres le regardent comme un extraterre­stre. Il semble imbattable. Seigneur, il a ôté sa casquette devant la stèle en mémoire de Tom Simpson au Ventoux. Le respect avant tout. « Un geste instinctif et surtout un hommage à mon ami », dira-t-il. Géant de la route, géant de la vie. Il est comme ça Eddy.

3 1971 : invulnérab­le

On touche au sublime. Le Tour  est un duel entre deux monstres sacrés : Merckx contre Ocana. Le Belge remporte les premiers rounds. À mi-combat, il est devant. Les deux surhommes se rendent coup pour coup. Mais le  juillet, à Orcières-Merlette, l’Espagnol envoie le Cannibale au tapis. Il survole l’étape et relègue son meilleur ennemi à ’’’. C’est un coup de tonnerre. Pour la première fois sur le Tour, Merckx est en difficulté. Peut-être même en souffrance. Luis Ocana a blessé la bête. Il ne songe qu’à l’achever. Il choisit l’étape entre Revel et Luchon pour porter le coup fatal. Il attaque. Merckx contre-attaque. Le ciel est d’encre. L’orage éclate. La grêle tombe. C’est l’apocalypse. Ocana et Merckx descendent le col de Menté comme des avions. Il fait nuit. Tant pis. Ils risquent tout. La chute les attend au tournant. Les trompe-la-mort sont au sol. Merckx se relève et repart. Ocana prend Agostino et Zoetemelk dans le buffet. C’est fini pour lui. Merckx est à l’arrivée, Ocana à l’hôpital. Le lendemain, le Cannibale refuse de porter le maillot jaune. « Je ne me réjouissai­s pas de son accident. Loin de là. J’étais même effondré. Les jeux étaient loin d’être faits, je voulais le battre à la régulière. Un maillot jaune, ça se gagne au mérite, pas avec la douleur et la malchance des autres. Si un type tombe, tu ne ramasses pas son maillot par terre », expliquera le champion. Tout Eddy. Merckx s’empare de son e Tour de France. Derrière le Roi soleil, une ombre nommée Ocana. Héros marqué par le destin, l’Espagnol finira par gagner la Grande boucle en . L’année où Merckx fit l’impasse. Un regret pour l’un et l’autre. Une désolation pour leur rivalité. Pour la peine, Ocana appela son chien Merckx. Histoire, peut-être, de lui ordonner : ‘‘Merckx, au pied !’’ Plus tard, les deux hommes devinrent amis, frères de lutte et de souvenirs. En , quand Ocana s’échappa pour toujours, Merckx porta le deuil et le cercueil.

4 1972 : intouchabl­e

Ocana n’est pas venu pour faire le nombre : « Je ne cours pas le Tour pour faire deuxième. Ce sera tout ou rien. » Ce sera rien. L’Espagnol chute dans les Pyrénées puis jette l’éponge à Aix-les-Bains, victime d’une infection broncho-pulmonaire. Seul Cyrille Guimard tente de déboulonne­r la statue du commandeur. En vain. Le leader de l’équipe Gan-Mercier est même contraint à l’abandon à cause d’un genou qui couine. Merckx est seul. Il gagne son e Tour avec  minutes d’avance sur Gimondi.

5 1974 : inattaquab­le

Le patron est de retour. L’année précédente, le boss a laissé le champ libre à Ocana et à tous les autres, fatigué, écoeuré par la vague anti-Merckx : « On n’aimait pas me voir tout gagner. » Cette fois, le Cannibale est bien là. Ocana, lui, est resté à la maison avec un coude dans le plâtre et un moral dans les chaussette­s. Merckx n’a pas d’adversaire capable de le regarder droit dans les yeux. Le seul qui ose le défier a  ans. Poulidor l’attaque dans le Mont du Chat. Il se donne un mal de chien. Pour rien. Le grand Eddy remporte, en sifflotant, son e et dernier Tour de France, rejoignant Anquetil dans la légende. L’année suivante, un spectateur lui assènera un direct au foie dans le Puy-de-Dôme. Un coup de poing final.

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(Photos MaxPPP) Merckx en jaune (), en bonne compagnie (avec Gimondi, Poulidor et Pingeon en ) ou avec Luis Ocana en . C’était hier...
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