Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Richard Bohringer : « Je me suis assagi »

Invité du Festival des mots, l’acteur culte de Diva, L’addition, et autre Grand chemin veut encore jouir de l’existence à 78 ans, malgré ses excès passés et une époque pas si formidable

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Il retire son masque. Sacrée gueule. Et puis la voix. Éraillée, mais pas essoufflée. Et puis ce ton. À la fois populaire et distingué. Réfléchi et spontané. Exalté et déprimé. Grossièret­é du propos parfois, mais jamais vulgarité de la pensée. Langage d’un prince de rue, comme on n’en entend plus. On le craint ingérable, on l’a connu colérique. Le voilà affable. Assagi, presque apaisé. Mais faut pas exagérer ! Richard Bohringer dans tous ses états, à l’heure de lire ses écrits (C’est beau une ville la nuit, Quinze rounds, traîne pas trop sous la pluie), jeudi dernier à Vence. À l’hôtel Aston à Nice, ce « rescapé » (de la maladie, de ses emportemen­ts, de tous ses excès), s’enthousias­me pour « Nice, la ville d’Estrosi (a priori pas sa tasse de thé politique). « C’est sublime, je comprends que les gens aiment bien vivre ici » .Salive à l’idée de déguster la salade niçoise, comme un gosse veut croquer sa part du gâteau. L’acteur incontourn­able des années 1980-90, le poète écorché, se livre aussi avec humeur et lucidité. Théâtral soliloque. Néanmoins confondant de naturel et sincérité. Moins gueulard que rigolard. Moins salopard que père bonard, finalement. Parce que sa vie de Richard coeur de lion, c’est quand même pas du cinéma…

Vous prenez soin de garder distance avec le Covid ?

Ce corona fout une telle merde... On sait pas trop où ça va mener, mais en attendant, essayons de donner des émotions aux gens, de garder une folle espérance. Moi, je l’ai toujours eue, je suis un batailleur. Je me suis levé parfois avec le blues, mais jamais désespéré… Quand j’avais  ans en banlieue, je me demandais ce que j’allais devenir, mais en vrai, on reste accro à la vie, faut pas déconner. Le matin devant la glace, je me dis putain, qu’est-ce que t’as changé ! J’ai troqué la minceur de l’adolescent pour la lourdeur du plantigrad­e. Mais tu veux encore quelques années, pour en remettre un peu sur la tartine. Rendre ton troisième tiers encore un peu appétissan­t. Merde, est-ce que je l’ai bien croqué, le deuxième tiers ? !

Votre vie a été dure, mais aussi chanceuse ?

Ce serait indécent de me plaindre. J’ai fait un boulot que j’adorais, j’ai pu mettre un peu à l’abri ma femme, élevé mes gosses. J’ai même été à la grande pêche, ouais, j’ai eu du pot...

Le succès n’est arrivé vraiment qu’avec « Diva », à  ans...  piges ouais… Mais j’ai fait tellement de trucs qui ont nourri ce qui allait m’arriver : j’ai écrit des bouquins, fait le tour du monde, vécu dans des cloaques, croisé des mecs de misère, j’ai eu des princesses pour gonzesses… C’est la nourriture de la vie, sans aucun cynisme, juste de l’appétit. Et un jour, tu rencontres la blonde, et terminé. Tu te mets au turbin, et puis le turbin te sourit !

Soixante films en vingt ans, deux Césars… une star ?

Ouais, une trentaine de téléfilms aussi. Star, je sais pas… non, une lumière dans la nuit quoi, un truc comme ça. J’avais tellement de potes, tellement de lascars, tellement de... J’en ai plus un là, ils sont tous partis…

Giraudeau, Mocky, Miller, Léotard, ils vous manquent ?

C’est immense, ça fait partie de ta vie, de ta culture. Le plaisir de les voir faire leur truc. Y avait comme une prière, une espèce d’évanouisse­ment vers l’amour fraternel, l’envie de faire des choses avec des acteurs somptueux. Ceux de maintenant, je les connais pas, j’ai pas de relation avec Depardieu, je vis en dehors, comme lui.

Vous vous sentez seul ?

Non, j’ai quand même mes gosses, la famille.

Encore envie de jouer ?

Après ma première merde de santé, j’ai accepté de faire un film (Les héroïques, de Maxime Roy avec François Creton, Clotilde Courau et Ariane Ascaride), et j’ai ressenti un bonheur fou. Le dernier jour de tournage, pof, je tombe dans la rue, deuxième merde. Et après, y a eu le corona. Mais le film est super, encore une fois, merci !

Votre rôle ?

Je joue un putain de bancal, qui va avoir un destin un peu douloureux quoi. Mais j’ai tellement aimé faire ce film. Comme un mec qui fait un taf, et qui sait qu’il l’a réussi.

Tueur à gage, maton sadique, mari violent, artiste maudit, vous jouez souvent des bancals ?

C’est ce que je dois inspirer. Il y a une certaineme­nt un écho avec moi que je ne maîtrise pas, tous ces mecs de travers. Mais je crains que ces méchants ne me soient plus faciles à interpréte­r que les délicieux et charmants. Moi, j’ai une tête de lard quand même…

Pourquoi acteur ?

Ah, y avait que ça dans la boite à lettres ! Un Molière, un  d’or, des Césars, mais le bonheur, c’est de se souvenir… Moi, j’ai toujours souffert en faisant l’acteur, ça n’a jamais été facile du tout.

On vous dit pas facile non plus ?

C’est vrai, pas toujours. Je suis fait comme ça… Mes potes, c’étaient des grands emmerdeurs, fallait se les coltiner ! C’est des anges assis à côté du bon Dieu maintenant, mais attention, c’était de drôles de lascars. Maintenant, je suis assagi, c’est mieux pour les autres. Moi, j’ai fini la sarabande.

L’alcool, la drogue ?

Fini tout ça. Quand tu picoles ou tu te cames, c’est un combat, contre toi, contre tes diables. T’as si peu de satisfacti­on au bout du truc, que ça devient presque con. Moi, j’avais que des potes qui picolaient ! Mais c’étaient de merveilleu­x camarades…

Tendresse et colère, c’est vous ?

Oui, comme beaucoup de gens. Des révoltes, aussi, mais des fois à l’excès, pas toujours justifiées. Y a eu beaucoup d’amour aussi. Aujourd’hui, je me sens... un peu mieux dans ma peau, ouais, malgré tout quoi. Il aura fallu attendre longtemps…

Trente ans après Toubib, « Une époque formidable » ? Y a toujours des gens dans la rue, et ils sont de plus en plus tassés dans leur matelas pourri entre deux bretelles d’autoroute. C’est immonde, mais l’humain est pas très sympa avec l’humain.

Rien à attendre des politiques. Ni d’Emmanuel Macron ?

Non, parce qu’ils ont un business. Certains sont plus sincères que d’autres, mais ils ne sont peut-être pas du côté où je croyais qu’ils étaient. Si amertume il y a, elle vient de là… Macron, pff… [longue réflexion]. Il vient du bifton, on peut pas avoir les mêmes points de vue quand même !

Et la mort, elle fait peur ?

J’ai une tête de lard quand même... ”

Je me sens un peu mieux dans ma peau”

Ah oui Monsieur ! On essaie de s’en tenir le plus loin possible, d’être intemporel. Aujourd’hui encore, et peut-être demain…

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(Photo Eric Ottino)

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