Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
LA MÉTHODE CASTEX
La sécurité, une priorité pour le Premier ministre Son appel à la responsabilité des Français
Peut-on se couvrir le visage pour respecter les gestes barrières sans avancer masqué ? Jean Castex le promet : il parle sans tabou. De tout. De sa priorité, la justice. Des Français, qu’il veut embarquer davantage dans la prise de décision. Pourquoi pas en les associant « par tirage au sort » aux concertations. Son accent – « Quel accent ? » – roule et peaufine le profil de « maire de Matignon » qu’il veut incarner. Un Premier ministre des territoires, du « petit », qu’il n’oppose pas à l’Europe, bien utile, si on le croit, par les temps qui courent. Surtout, il veut convaincre les Français qu’il n’avance pas à la boussole mais selon sa propre méthode. Qu’il détaille, dans cette interview exclusive réalisée hier à Nice, la première depuis son arrivée, à un média régional.
Monsieur le Premier ministre, trois semaines après votre nomination, comment allez-vous ? Est-ce que vous tenez le choc ?
Je vais fort bien ! Je suis à la fois passionné par ma mission, concentré sur mes responsabilités et tourné vers l’action. Je ne me pose pas de questions sur moi-même. J’essaye d’abord d’agir. J’ai commencé par me présenter aux Françaises et aux Français qui ne me connaissaient pas et ai essayé de faire entendre le message que les circonstances présentes appellent : c’est une crise et dans une crise, il faut agir, il faut agir vite, et le plus possible dans l’unité.
À votre nomination certains vous ont qualifié de « supercollaborateur » du Président. L’avez-vous pris pour un compliment ?
Je suis Premier ministre, dans le cadre des institutions de la Ve République que je n’ai pas inventées et qui continueront après moi : le président de la République fixe les orientations générales et le Premier ministre, chef de la majorité parlementaire, conduit la politique du gouvernement. En revanche, je pense que le mot collaborateur n’est pas du tout adapté ni à mon tempérament ni à ma fonction. J’ai été collaborateur de ministres et même d’un président de la République [secrétaire général adjoint à l’Elysée, sous Nicolas Sarkozy, Ndlr]. Aujourd’hui, je suis un personnage politique, engagé dans l’action.
Votre réputation, c’est de savoir négocier. Pourtant, à l’issue de votre premier tour de table sur la réforme de l’assurance chômage, FO, la CGT, ont estimé que le projet de décret ne reflétait pas exactement ce que vous vous étiez dit. Avez-vous le contrôle total sur les décisions ou le partagez-vous avec les hauts fonctionnaires ?
La conférence sur le dialogue social s’est, de l’avis général, très bien passée. Vous mettez l’accent sur un petit sujet, à propos de la date à partir de laquelle certaines dispositions de cette réforme, déjà entrées en vigueur, ne s’appliquaient plus. Ce sujet n’a même pas été abordé ce jour-là. Je ne crois pas que ce point mineur invalide en quoi que ce soit le cadre général du dialogue social qui s’est instauré ce jour-là.
Négocier, aller sur le terrain si l’on veut définir votre méthode, quel ingrédient ajouteriez-vous ?
Parce que je suis un homme d’action, je pense que l’on ne perd jamais de temps à dialoguer, à rechercher les voies du consensus. Alors que, souvent, on oppose ces deux notions : discuter serait de la perte de temps alors qu’agir serait synonyme de rapidité et permettrait d’imposer ses vues. Mon expérience personnelle, professionnelle, politique, m’a amené à forger la conviction qu’il faut toujours rechercher à travailler avec les autres. D’autre part, il faut se fixer des objectifs que l’on est capable d’atteindre. Enfin, il faut veiller à la mise en oeuvre, à l’impact sur la vie quotidienne de nos concitoyens. C’est peut-être de la déformation professionnelle du maire que j’ai été si longtemps, mais j’estime que c’est une question de bon sens.
‘‘ Chacun doit se dire qu’il peut être utile”
Sur quels résultats voulez-vous que les Français vous jugent ?
Ils nous jugeront sur notre capacité à les protéger des crises qui touchent notre pays, à savoir les fédérer, à montrer que le gouvernement sait réunir un maximum de forces pour y faire face. Ils nous jugeront aussi, c’est le message du président de la République, sur notre capacité à faire évoluer le pays. Il ne faut pas que l’on joue en défense. Le fait, dans le plan de relance, de faire fabriquer en France des productions qui s’étaient délocalisées au fil des années à l’étranger, c’est du concret. La transition écologique, autre exemple, est l’un de ces leviers de transformation. Sur ce sujet comme sur tous les autres, mon ambition est d’impliquer, de responsabiliser les Français. Ma méthode est la suivante : sur un territoire donné, à Nice, à Toulon, dans l’arrière-pays, il s’agit de réunir autour d’une même table les élus, les partenaires sociaux, les associatifs, pourquoi pas des citoyens tirés au sort, je pense en particulier aux jeunes, autour des autorités locales, et se poser ensemble les questions concrètes : « Combien avons-nous sur ce territoire de pistes cyclables, de logements, de passoires thermiques, de toitures équipées de photovoltaïque ? », « comment les producteurs locaux écoulent-ils sur place leur production ? », etc. Ils feraient un état des lieux et se diraient : « Fin , il faudrait que l’on en soit là ». L’État aiderait, mettrait de l’argent quand c’est nécessaire, dans le cadre du plan de relance qui comportera une forte dimension écologique. Et, ainsi, pour tous les sujets. Si j’annonce le plan depuis Matignon, les Français seront incrédules, comme ils le sont vis-à-vis de tout de ce qui
‘‘ Mettre le paquet sur la justice”
« La République a des ennemis »
vient d’en haut. Alors que si je le fais faire par les territoires, on peut avoir de l’espoir.
Vous tardez à compléter votre équipe en nommant les secrétaires d’État : auriez-vous du mal à en recruter ?
Pas du tout ! Non, les secrétaires d’État sont nommés par le Président sur proposition du Premier ministre. Il est vrai que cela peut paraître long, mais les cinq jours du Conseil européen, qui se sont traduits par une belle réussite pour notre pays, ont décalé l’annonce. Il faut les défalquer de ce délai [sourire]. Mais ça va venir rapidement.
Des malfaiteurs qui règlent leurs comptes à coups de feu en plein jour et en pleine rue, c’est devenu presque banal. Pourquoi vous focaliser ainsi, en vous déplaçant personnellement sur ce qui s’est passé à Nice ?
La protection des Français est au coeur de mes préoccupations : protéger les Français, c’est assurer la pérennité de notre modèle social mais aussi tout simplement assurer leur sécurité. Je me suis déplacé en Seine-Saint-Denis, à Dijon, aujourd’hui, je suis à Nice. Quand des gens veulent par toutes formes de violences, s’accaparer un quartier soit au nom d’idées, de religion, de trafics – peu importe la cause –, qu’ils veulent se séparer de la République ou créer une zone de non-droit, il est de l’impérieux devoir de l’État de remettre tout cela à sa juste place. Avec tous les acteurs qui y concourent. La sécurité est une affaire collective. Si je suis venu ici, c’est non seulement pour dénoncer les faits inadmissibles qui s’y sont produits, mais aussi pour souligner la magnifique coopération entre l’État, ses différents services, la Ville, les bailleurs sociaux. Vous savez, il arrive que des faits se produisent parce que nous mettons notre nez là où certains ne souhaiteraient pas qu’il fût mis. La République doit être partout chez elle.
Vous avez annoncé à Nice qu’une expérimentation allait y être menée afin de tester des prérogatives élargies pour la police municipale. La sécurité relève pourtant du domaine exclusif de l’État.
Non ! Bien sûr, l’État est le premier responsable. Mais pour le reste, c’est l’affaire de la nation, c’est l’affaire de nous tous. Partout il y a dans ce pays des dispositifs « Voisins vigilants », des délégués de quartier, un éducateur de rue qui fait de la prévention, concourt à la sécurité publique... Et le maire, que j’ai été pendant de longues années, est aussi un acteur de sécurité de premier plan. L’État centralise, coordonne, mais il sera aussi jugé à sa capacité à fédérer l’ensemble. Il y a, en revanche, un service public pour lequel l’État est l’unique dépositaire, c’est la justice. Or, ce que ressentent nos concitoyens, ce que me disent les forces de sécurité, c’est : « Nous faisons notre travail, mais pour certaines personnes que nous interpellons, les suites pénales tardent à venir, le jugement est très lointain, on les revoit rapidement en circulation ».
Les habitants que vous avez croisés aux Moulins vous l’ont d’ailleurs rappelé…
Ceux de Nice comme on me le disait à Dijon et comme je l’ai constaté à Prades ! La mauvaise solution serait de s’en prendre à l’autorité judiciaire alors que c’est l’État le responsable. Tous les chiffres sont sur la table : il y a un nombre de magistrats rapporté au nombre d’habitants, ou de faits délictueux, bien moindre qu’en Italie ou en Allemagne. C’est un vrai problème et c’est une de mes priorités, en soutien au garde des Sceaux, Éric DupondMoretti. J’ai annoncé, ce samedi, des renforcements des effectifs de police nationale à Nice, ce qui était nécessaire, mais j’ai le sentiment que si je ne mets pas le paquet sur le service public de la justice, on n’aura pas répondu aux préoccupations de nos concitoyens dans la durée. Ma première décision a donc été de créer des moyens supplémentaires pour la justice, au-delà de ce que le budget avait prévu. Et je ferai pareil en dans la loi de finances. Nous allons nous servir, comme nous l’avons fait pour l’hôtel des polices de Nice, du plan de relance. Le temps relatif que l’on reste Premier ministre, il faut à tout prix donner une impulsion, se fixer des priorités, savoir que l’on ne pourra pas tout faire mais se demander : « Où est l’essentiel ? » Et c’est le cas, concernant la justice. Je n’oublie pas évidemment que je suis à Nice où il s’est passé des choses d’une gravité hors du commun. Je dis aux Françaises et aux Français : la République a des ennemis ! Des ennemis organisés, structurés. Dans les quartiers, les gens en ont assez que ou % terrorisent l’immense majorité de la population qui n’aspire qu’à vivre normalement. Les gens savent que la crise est mondiale, mais sur l’autorité, la laïcité, sur les questions républicaines, la responsabilité, c’est celle de l’État. Si nous disions aux Français que l’on va tout régler du jour au lendemain, ils n’y croiraient pas et ils auraient raison. Ce qu’il faut, c’est afficher notre détermination sans faille, notre unité, et savoir allouer les moyens dont nous disposons et les priorités, là où il faut les mettre.
D’autres villes comme Toulon, connaissent des situations préoccupantes en matière de règlements de comptes. L’État aura-t-il la même politique pour tous et pour tous les territoires ?
Je suis pour des solutions adaptées, différenciées. Le maire de Nice dit qu’il peut créer des policiers municipaux en expliquant qu’il leur faut des prérogatives élargies. Travaillons comme cela, en synergie ! Faisons confiance aux territoires. Certains, au sein de l’État, trouvent que je prononce trop souvent ce mot. J’estime au contraire ne pas le dire assez souvent. Lorsque j’étais en charge du déconfinement, j’ai promu le couple maire-préfet de département, non pas de grandes régions. Parce que la vie quotidienne, c’est à l’échelon local qu’elle se fait. Et il faut savoir faire du surmesure. La République est unique, mais quand elle reconnaîtra que la diversité de ses territoires est une chance, nous progresserons collectivement. Oui, la diversité est une force, elle contribue à l’unité de la nation, sauf lorsque l’on se sert de cette diversité pour se séparer d’elle et pour faire valoir par la violence des velléités qui ne se dissolvent pas dans le pacte républicain. Dans ce cas, cela s’appelle le communautarisme.
Contre ces ennemis de la République plus de police, plus de justice. Il faudrait aussi plus d’emplois.
Évidemment. C’est le grand sujet de la rentrée. Le travail et l’activité sont également des valeurs fondamentales et permanentes au coeur du pacte républicain. Elles sont menacées quand une crise comme celle-ci vient diminuer le nombre d’emplois disponibles. Le gouvernement, à la demande du chef de l’État, entreprend toutes les actions possibles pour l’emploi. Il a commencé à le faire avant mon arrivée, pour éviter que des pans entiers de notre économie s’écroulent. Nous sommes, aujourd’hui, dans un contexte nouveau : la crise sanitaire est toujours présente, elle est pénalisante pour l’économie. J’ai une pensée particulière dans cette région pour tous les professionnels du tourisme, de la culture, très impactés.
Sont-ils suffisamment aidés ?
Nous avons mis en place une série de dispositifs importants. J’ai demandé qu’on les évalue. Je vais prochainement me déplacer sur le terrain, sur le thème de l’économie touristique – je ne prendrai pas beaucoup de vacances, mais je ne suis pas là pour ça ! – afin d’interroger les professionnels et répondre à leurs besoins. Vous savez, à la rentrée, nous risquons d’avoir des plans sociaux qui risquent de s’amplifier. Lorsque j’étais collaborateur d’un Président lors de la crise de -, c’était déjà très dur. Nous avions alors pris les dispositions nécessaires. Là où nous avons progressé, c’est que l’Europe, plus que la fois précédente, considère que la gestion de la crise la concerne. La banque centrale a une position beaucoup plus accommodante. Elle injecte de l’argent dans l’économie, elle veille à ce que les taux d’intérêt restent les plus bas possible. Enfin, il y a cet accord historique signé en début de semaine grâce au couple franco-allemand. Un tiers de notre plan sera pris en charge par l’Union européenne : c’est inédit. La fois précédente, sans l’Europe, après la crise, il y a eu l’austérité et les hausses d’impôts.
Et cette fois, pas d’austérité ni de hausse d’impôts, grâce à l’argent de l’Europe ?
Et de l’argent de la France, et des Français ! C’est pour cela qu’il faut recréer la confiance. Soyons clairs : nous ne souhaitons pas augmenter les impôts. Après l’avoir fait avec les partenaires sociaux, je vais revoir, un à un, les représentants des collectivités territoriales, à commencer par les régions. Mon objectif politique est clair. Nous sommes en crise : il faut que le maximum de gens de bonne volonté assument leurs responsabilités ensemble. Les Français ne nous pardonneraient pas que, dans ce contexte difficile, nous apparaissions divisés. Et le gouvernement doit donner le « la » ! Je m’emploie à recréer un climat propice à la confiance.
De la confiance, pour quoi faire ?
Pour éviter les drames liés au chômage et surtout pour que la croissance reparte. Ce plan de relance ne servira pas seulement à jouer les sapeurs-pompiers. Nous devons aussi investir et reconstruire.
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La protection des Français est au coeur de mes préoccupations”
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La vie quotidienne c’est à l’échelon local qu’elle se fait”