Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Germaine Sablon : une héroïne face au lion

L’histoire n’a pas retenu le prénom de cette femme exceptionn­elle, soeur de Jean Sablon et maîtresse de Joseph Kessel, Résistante à Agay puis à Londres. Un livre lui rend hommage

- LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

Dans le petit port d’Agay, le vent est glacial. Mais estce réellement le vent, en cette fin d’automne 1942, qui fait frissonner Germaine Sablon ? Ou la peur d’être dénoncée et passée par les armes, comme tant d’autres Résistants ? Cela fait près de deux ans que la vedette de music-hall, sans quitter la scène, est entrée dans la clandestin­ité. Sous le pseudonyme de « Tante Aurélie », elle a rejoint le réseau d’André Girard (1). D’abord réfugiée chez sa mère à Anthéor, la soeur de Jean Sablon (2) a déménagé à la Villa Maritana, à Camp-Long, entre Boulouris et Agay. Sa première résidence était située sous un viaduc : une cible que les alliés avaient prévu de bombarder, tôt ou tard, pour couper la route des troupes allemandes. Sa mission ? Organiser depuis les criques raphaëlois­es, de nuit, l’arrivée et le départ d’agents de liaison envoyés par Londres. C’était déjà périlleux. Depuis peu, cela frôle la roulette russe. Le 11 novembre 1942, les Allemands ont envahi la Zone libre. La traque des « terroriste­s » français, rétifs au « nouvel ordre » germanique, s’est intensifié­e. Début décembre, un membre du réseau Girard s’est assoupi dans le train Marseille-Paris. On lui a volé sa serviette qui contenait près de deux cents contacts ! Germaine tressaille. L’étau se resserre. Elle va devoir partir. Mais pas seule.

Une jalousie maladive

À ses côtés, entre les roches volcanique­s déchiqueté­es, se dessine la silhouette massive de son amant. Joseph Kessel. Journalist­e. Écrivain. Monstre de talent, de vitalité. Excessif en tout. Lui aussi voulait « être utile ». Mais bien que Kessel habite chez elle, avec son neveu Maurice Druon, depuis fin 1940, Germaine a longtemps hésité avant de lui dévoiler ses activités. Le tempétueux homme de lettres est jugé trop bavard. Avec une vodka dans le nez – ce qui lui arrive plus souvent qu’à son tour –, qu’estil capable d’éructer à portée d’oreille de l’ennemi ? L’associer à l’armée secrète, lui dont le visage est si connu, n’estce pas prendre le risque de compromett­re la sécurité de centaines de « petites mains » anonymes ? N’est-ce pas le mettre lui-même en danger ? Si Germaine finit par le mettre dans la confidence, c’est autant pour désamorcer la jalousie maladive du romancier que pour lui offrir, enfin, une occasion d’agir. Désormais, ils combattent côte à côte. Et c’est ensemble que, le 20 décembre 1942, ils fuient la France occupée pour rejoindre le général De Gaulle. Dans les pas du jeune Maurice, ils franchisse­nt les Pyrénées à pied, dans un froid glacial, puis traversent l’Espagne clandestin­ement jusqu’à atteindre Lisbonne et, enfin, Londres où ils atterrisse­nt le 6 février 1943.

Kessel met aussitôt sa plume au service de la Résistance : L’Armée des ombres sera publié en novembre 1943 à Alger.

« Ami, entends-tu... »

Germaine, elle, pose sa voix grave et passionnée sur une mélodie aux sonorités slaves que Joseph et Maurice ont habillée de paroles de circonstan­ce. En mai, elle enregistre Le Chant des partisans. C’est un triomphe. Mais elle n’a pas le temps de le savourer. Apprenant que l’un de ses fils est blessé à Alger, elle part le rejoindre. Et trouve, une fois encore, l’occasion d’aider les soldats... comme ambulanciè­re. Kessel, lui, reste à Londres. L’écrivain – qui n’a jamais eu moins de deux maîtresses à la fois – n’accepte pas ce qu’il considère comme une trahison.

Leurs retrouvail­les, huit mois plus tard, seront polaires. Démobilisé­e le 18 juin 1945, Germaine peine à renouer avec ses succès d’antan. Elle a 46 ans. Son regard d’azur a conservé son éclat, mais son visage, raviné par les épreuves, a perdu les rondeurs de la jeunesse. C’est le temps des hommages. Après lui avoir remis la Croix de guerre avec palmes, on lui décerne la médaille de la Résistance française et la Légion d’honneur. Puis vient le temps de l’oubli. En 1955, elle interrompt sa carrière et se retire dans sa Villa Maritana,

au côté de son dernier mari Georges Reynal (3). Elle s’éteint à Saint-Raphaël le 17 avril 1985. Presque 40 ans, jour pour jour, après avoir croisé l’auteur du Lion pour la dernière fois.

Qu’est-il capable d’éructer à portée d’oreille de l’ennemi ?”

1. Père de la comédienne Danièle Delorme. 2. Immense vedette de la chanson à l’époque. Il a notamment créé Vous qui passez sans me voir. 3. Maire de Saint-Raphaël de 1965 à 1971.

Savoir +

Pour aller plus loin : Un amour de Kessel, par Dominique Missika, éditions du Seuil, 18 euros.

 ?? (Photos DR/ André Zucca/ BHVP/ Roger-Viollet/ Éditions du Seuil) ?? 1 Germaine Sablon et Joseph Kessel en uniforme, complice, au temps des amours. 2 Germaine dans les années trente au zénith de sa beauté. 3 Au tournant de la guerre en 1942. 4 À Londres en 1943, Joseph et Germaine boivent du champagne pour fêter une liberté conquise après un périple extravagan­t.
(Photos DR/ André Zucca/ BHVP/ Roger-Viollet/ Éditions du Seuil) 1 Germaine Sablon et Joseph Kessel en uniforme, complice, au temps des amours. 2 Germaine dans les années trente au zénith de sa beauté. 3 Au tournant de la guerre en 1942. 4 À Londres en 1943, Joseph et Germaine boivent du champagne pour fêter une liberté conquise après un périple extravagan­t.
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