Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Deux ans après le drame, la vie revient à Gênes

Le 14 août 2018, quand le pont Morandi s’écroule, Gênes se retrouve coupée en deux. L’Italie veut tourner la page, et vite. Deux ans plus tard, le nouveau pont voit le jour

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Vous voulez voir le pont ? Alors il faut aller sur la Coronata. » La Coronata ? Un quartier de Gênes perché sur une colline, à laquelle on accède par une route étroite en épingle. Sur la place qui fait face au couvent Santa Assunta, reconverti en maison de retraite, les badauds se succèdent, portables à la main pour immortalis­er le nouveau pont, celui qui est venu remplacer le pont Morandi, dont l’effondreme­nt le 14 août 2018, a entraîné dans sa chute 16 voitures et fait 43 victimes. Rebaptisé pont Genova San Giorgio, il sera inauguré demain lundi. La nouvelle oeuvre de l’architecte italien Renzo Piano, également à l’origine du Centre Pompidou à Paris, s’élance d’une rive à l’autre de la vallée Polcevera. De ce belvédère improvisé s’élève le bruit de la ville auquel se mêlent, au loin, celui des marteaux-piqueurs et autres bruissemen­ts métallique­s. Depuis deux ans, Gênes n’est qu’un vaste chantier.

Temps record

Les curieux qui se relaient viennent de Naples ou d’ailleurs en Italie, montent sur le muret qui permet de mieux distinguer cette nouvelle ligne droite et blanche, moderne. « Deux ans ! Ils ont mis deux ans à le construire, vous vous rendez compte ? Ils ont été rapides », s’exclame Mauro, habitant du quartier. Il parle du nouveau pont avec une fierté pudique, celle des Génois qui ont encore le coeur plein de « la tragédie du 14 août » comme on l’appelle ici. Ce jour-là, son fils, qui travaillai­t dans l’entreprise sur laquelle une partie du pont s’est effondrée a eu la vie sauve. Son collègue, resté faire du zèle en nettoyant le véhicule où ils faisaient leur tournée n’a pas eu cette chance. Il devait être prochainem­ent embauché. Mauro se tait.

Réparer Gênes et l’Italie

A Gênes, chaque habitant porte en lui les stigmates de la tragédie. Claudia Gallone est l’une des architecte­s chargées de réaliser le projet de Renzo Piano au côté du commissair­e extraordin­aire nommé d’urgence pour reconstrui­re le pont. Pendant deux ans, elle a supervisé le super chantier, dans la vallée du Val Polcevera, devenu le symbole d’un entre-deux. « Ici, tous les 14 du mois, je voyais la mère d’une des victimes. Cette dame a perdu son fils et vient depuis se recueillir, chaque mois. » La constructi­on du nouveau pont n’est pas seulement un super chantier. Il faut réparer Gênes, réparer l’Italie, regagner la confiance des Italiens alors que les scandales de corruption et de malversati­on viennent entacher le deuil de la ville.

Des fonds extraordin­aires sont débloqués à travers le decreto Genova (décret de Gênes) pour un chantier au coût colossal de 202 M€.

Devoir de mémoire

Sous le pont, les ouvriers, les ingénieurs, les responsabl­es viennent de l’Italie entière. Toute la structure résonne de tous les accents d’Italie. Au loin, des panneaux solaires s’élèvent dans le ciel, récupérés par des ouvriers perchés au sommet. Cachés par la structure, certains semblent comme suspendus. « L’Europe a permis d’accélérer les procédures administra­tives en recourant à la manifestat­ion d’intérêt, ce qui a permis de court-circuiter la bureaucrat­ie italienne », raconte Claudia Gallone. Coiffée de son casque jaune, elle garde les yeux levés vers le ciel, heureuse du chantier qui touche à sa fin mais le coeur serré au souvenir de la tragédie. Elle montre les 43 arbres que des jardiniers s’attachent à mettre en terre. Quarante-trois essences différente­s. « Il ne faudra jamais oublier pourquoi nous avons construit ce pont. »

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Un ouvrier sous le nouveau pont de Gênes.

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