Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Le bruit de la chute du pont nous hante encore »

- ...

Franco Ravera parle sans discontinu­er. Ce fonctionna­ire à la retraite est le président du Comité des évacués de la via Porro’, cette rue située juste sous le pont et dont une partie a été évacuée à la suite de l’effondreme­nt du viaduc Morandi le 14 août 2018. Il regarde son ancien immeuble à l’accès aujourd’hui condamné. « Là, là, j’habitais à cet étage », indique-t-il en tendant le doigt. La façade est à moitié mangée par les arbres, on devine les fenêtres. Franco Ravera, lui, revoit tout. La via Porro’, c’est celle de son enfance, celle où il a fait ses premiers pas, appris à rouler à vélo. « Ça faisait un moment que je n’étais pas venu », lance-t-il sans parvenir à détacher son regard de l’édifice. Deux ans ont passé mais la douleur est toujours là, toujours vive. « Nous avons dû laisser presque tout dans nos appartemen­ts, se souvient Franco. Après le 14 août, les autorités nous ont laissé quelques cartons et vider en quarante-cinq minutes des années de vie. »

Continuer à vivre

Sur les 270 familles qui ont perdu leur habitation dans le drame, la majeure partie a été relogée dans les rues avoisinant­es. Toutes ont été indemnisée­s. Franco, lui, est parti. Mais une partie de lui est restée à Certosa, du nom de ce quartier situé sous le pont. «Jevaisenco­re chez mon boucher, raconte-t-il. Pour moi, il n’y a pas meilleur “prosciutto” (jambon) que chez lui. » Sous le soleil brûlant de midi, quelques habitants s’offrent un café, à l’ombre de la place. « Avec l’effondreme­nt du pont, Certosa s’est retrouvé complèteme­nt isolé », commente Tina, gérante d’un petit bar à l’entrée. « Tout le monde avait peur, les gens mettaient plusieurs heures pour rejoindre leur lieu de travail, c’était épuisant. » « Les mois qui ont suivi le drame, nous nous sommes retrouvés coupés du monde », soufflent les habitants. Et la Covid-19 n’a rien arrangé. Nombreux, d’ailleurs, sont ceux qui refusent de s’exprimer. Il faut attendre la fin de l’après-midi pour que le quartier s’anime. « Mais ce n’est plus comme avant », murmure Franco. « Mon fils a ouvert son bar quelques mois après l’effondreme­nt du pont, raconte Tina. Les gens avaient peur, notre bar, qui vit avec le quartier, le passage, a eu beaucoup de difficulté­s à démarrer. » « De nombreux commerces ont fermé, raconte Michela. Mais ils ont fait des miracles en reconstrui­sant le pont aussi vite. En Italie, on parle même de “modello Genova” (modèle de Gênes). Petit à petit, le quartier se reprend, il faut avoir confiance en l’avenir. »

Composer avec les traumatism­es

« Le bruit de la chute du pont nous hante encore, raconte Giusy, membre du comité et figure des évacués de la via

Porro’. Un éclair dans le ciel, le bruit du couvercle d’une casserole qui tombe et nous ne pouvons pas nous empêcher de penser : “C’est comme le 14”. » Nombreux sont les habitants qui se font suivre pour tenter de combler les blessures du traumatism­e. « Deux ans après, nous avons toujours des difficulté­s à dormir la nuit », poursuit Giusy. Le Comité de la via Porro’ continue de se réunir en ligne mais aussi dans le petit cloître de Saint-Barthélemy, une petite merveille architectu­rale qui a longtemps accueilli les réunions des évacués, quand leur destin était encore incertain. Depuis, le comité soutient la vie de quartier. Il a également financé des bourses d’études pour les enfants des pompiers ayant porté secours aux victimes du pont.

Aller de l’avant, sans rien effacer pour autant

Construire demain, sans oublier le passé, c’est le leitmotiv de Giusy. Cette membre du Comité des évacués de la via Porro’ ne mâche pas ses mots. « Nous nous sommes sentis trahis car nous avions averti les autorités depuis longtemps sur l’état du pont. L’Etat et Autostrade ont été défaillant­s, d’autres viaducs font l’objet d’une enquête. Quarantetr­ois personnes sont mortes, en Italie, on dit que ce sont des “morti di Stato” ,des morts d’Etat. Ça, il ne faudra jamais l’oublier. »

...

Lire la suite de notre dossier en pages suivantes

 ??  ?? Franco Ravera est le président du Comité des évacués de la via Porro’.
Franco Ravera est le président du Comité des évacués de la via Porro’.
 ??  ?? Michela et Tina, habitantes du quartier Certosa, se souviennen­t.
Michela et Tina, habitantes du quartier Certosa, se souviennen­t.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France