Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Chronique d’un désastre bureaucrat­ique

Accusés de négligence­s, l’État italien et Atlantia, la filiale du groupe Benetton chargée de la manutentio­n du pont, se renvoient la balle. La justice tente de démêler les fils

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ÀGênes, on l’appelait « Il Ponte », « le pont ». Le viaduc Morandi n’était pas seulement un lieu de passage, qui permettait de réunir les deux berges de Gênes, il était un symbole de la ville. C’était la route des vacances, celles des travailleu­rs et du fret. Lorsqu’il s’écroule, le 14 août 2018, entraînant dans son effondreme­nt, 16 véhicules et faisant 43 victimes, c’est la ville qui s’arrête. Gênes la Superbe est sonnée, le désastre humain est dans tous les esprits, le bruit assourdiss­ant du pylône qui s’effondre hante les riverains. Voici la ville revenue au point de départ. On est loin de l’euphorie de 1967, année de son inaugurati­on. « Gênes résout le problème du trafic », titrait

à l’époque la Domenica del Corriere alors que la ville exhibait fièrement son viaduc.

Des problèmes en cascade

Mais rapidement, les problèmes se multiplien­t. Les matériaux utilisés s’usent plus vite que prévu, les poussières d’acier qui s’échappent des entreprise­s avoisinant­es, implantées au fond de la vallée

Valpolceve­ra abîment la structure. Sous le pont, le malaise grandit. Depuis une dizaine d’années, les habitants de la via Porro’, située à l’ombre des pylônes, se sont constitués en comité. « Nous sommes inquiets, témoignent-ils, de voir des morceaux du pont s’en détacher régulièrem­ent et tomber sur nos habitation­s. » Interpellé, Autostrade, responsabl­e de la manutentio­n, se veut rassurant. Mais le 14 août 2018, tout vole en éclat. « Le pont était pourri », titre alors la presse italienne qui pointe du doigt, dans un premier temps, le système d’écoulement des eaux de pluie, jugé défaillant, et la corrosion du pont. Dans cette région sujette aux intempérie­s, les ouvrages s’abîment plus qu’ailleurs murmurent les experts. Le procureur de Gênes,

Franco Cozzi, ouvre une enquête dans la foulée pour désastre écologique et homicides multiples.

Enquêtes parallèles

Sur toutes les lèvres, un seul mot : pourquoi ? Sur la table du magistrat se mêlent fragilités structurel­les, mauvaise manutentio­n, communicat­ion désastreus­e entre les parties chargées de surveiller l’état du pont.

La magistratu­re se heurte aussi à l’épineux problème de la bureaucrat­ie italienne, tentaculai­re, opaque, parfois même, négligente. Des dirigeants peu scrupuleux finissent à la barre, des documents de la filiale d’Autostrade déléguée à l’entretien, Atlantia, échouent entre les mains des juges. Dans l’un d’entre eux, daté de 2014 et reproduit dans la Repubblica, le risque d’effondreme­nt du pont Morandi

est reconnu noir sur blanc. Sans que ce constat, pour autant, ne déclenche les contrôles nécessaire­s. Des enquêtes parallèles sont menées sur d’autres viaducs. La magistratu­re découvre que les documents qui en attestent la sécurité ont été falsifiés. C’est un scandale dans le scandale. Les juges de Gênes descendent jusqu’à Rome, recueillen­t les déclaratio­ns d’un repenti mafieux qui affirme que des marchés publics attribués par Autostrade auraient fini entre les mains de la Camorra grâce au concours d’employés corrompus à coup de Rolex. Problèmes minimisés, interventi­ons superficie­lles, 71 personnes ont fini à la barre dans cet interminab­le feuilleton judiciaire où l’État doit rendre des comptes non seulement aux familles des 43 victimes mais à l’Italie entière, lassée de ces « inganni » (farces). Car des membres de la direction générale de vigilance sur les concession­s autoroutiè­res sont également poursuivis pour négligence. Un bras de fer qui a pris fin le 15 juillet dernier avec une reprise partielle d’Autostrade par l’État italien.

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(Photo J.-F. Ottonello) Le viaduc Morandi s’est effondré le  août , entraînant la mort de  personnes.

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