Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
« Derrière les chiffres, il y a des vies brisées, des personnes handicapées, des familles qui pleurent »
« Allô Élisabeth Borne, c’est pour déclarer un accident du travail. » En interpellant ainsi la ministre du Travail sur un compte twitter baptisé « accidents du travail, silence les ouvriers meurent », Matthieu Lépine veut mettre en lumière ce problème. Ce professeur d’histoire à Montreuil collecte les accidents du travail (AT) les plus graves ou mortels, évoqués dans la presse.
Comment est née votre initiative ?
Je travaille sur cette question depuis plusieurs années. Je n’ai pas de lien particulier avec ce sujet, ce n’est pas l’accident d’un proche qui m’a orienté làdessus, au tout début c’est presque par hasard. Le déclic du recensement est né après des propos d’Emmanuel Macron en -. J’ai commencé à recenser les AT une fois par mois, puis au quotidien. Quand on voit tous ces drames on voit l’ampleur du phénomène. En janvier j’ai entamé un recensement plus précis qu’avant, grâce aux articles de la presse en ligne. Tous les AT ne donnent pas lieu à des articles ou passent entre les mailles du filet, ou ne tombent pas sous le coup de la loi, comme lorsqu’il s’agit de livreurs, d’indépendants, d’autoentrepreneurs. J’ai choisi de les garder.
Qui les recense ?
On a des observatoires sur tous les sujets, pas sur celui-là. Les chiffres de l’Assurance maladie publiés une fois par an ne concernent que les travailleurs relevant du régime général. D’après ce bilan, personnes environ meurent d’un AT chaque année et AT débouchent sur un arrêt de travail. La réalité est plus élevée. Au-delà des chutes, des électrocutions, il y a aussi les maladies professionnelles, les suicides, les accidents de trajets, ça fait plus mille morts par an. Dix millions de personnes travaillent et sortent des radars aussi : livreurs, indépendants, agriculteurs, etc. J’ai voulu les rendre visibles.
La problématique des AT estelle prise au sérieux ?
Non, même pas par les journalistes. Je ne tape pas sur toute une profession mais sur les grands médias qui débattent de choses futiles ou anxiogènes car ça attire davantage de monde, où ce sujet est ignoré. Il est mis en avant une fois lors de la publication des chiffres annuels ou si ça se passe à Paris ou dans une grande entreprise. Ou bien, pour alimenter un autre sujet, par exemple la canicule. Quand un AT survient, il n’est pas évoqué, sauf par un média local. Mais globalement, le sujet n’intéresse pas.
Que cela vous inspire-t-il ?
On n’est plus au XIXe siècle mais on peut mourir dans un silo à blé ou pour une course à euros à vélo. Dans le BTP, c’est assez effarant, il y a beaucoup de chutes parce que les mesures de sécurité ne sont pas respectées. Il existe une inégalité entre l’artisan et la grosse entreprise qui a les moyens de payer les équipements de sécurité, les formations. On licencie et on demande à deux de faire le travail de trois, etc. Pour moi, un AT, ce n’est pas juste un ouvrier qui est mort. Derrière tous ces chiffres, il y a des vies brisées, des personnes handicapées, des familles qui pleurent. Je souhaite faire des portraits en entrant en contact avec des familles de victimes mais on a rarement les noms. J’en ai fait deux, à chaque fois c’était des jeunes, des apprentis bûcherons.
Quelles mesures préconisezvous ?
Il faudrait plein de choses. Depuis ans on détricote l’inspection du travail, la médecine du travail, le droit du travail. Avec l’ubérisation du travail on voit les dégâts. Il y a également un gros effort à faire sur la formation dans beaucoup d’entreprises. Les juridictions du travail, c’est un point important. La justice manque de moyens, les démarches sont très longues face à une machine judiciaire, à des responsables qui manquent d’humanité. Les condamnations sont très faibles, c’est du sursis, des amendes. Je suis effaré par la légèreté des condamnations lorsqu’il y a mort d’homme.
Combien d’AT avez-vous recensés depuis le début de l’année ?
graves dont mortels.