Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
LA GUERRE AUX OBUS
75 ans après la guerre, le Var est toujours infesté Des découvertes à ne pas prendre à la légère
Même à 13 ans on peut se faire rattraper par la Seconde Guerre mondiale. Une leçon d’histoire pour Tom, un adolescent de Saône-et-Loire, en vacances avec sa famille. Lundi dernier, en maillot de bain, il tombe par hasard sur un obus, le long de la plage Langley, à Saint-Raphaël. « On venait de se baigner. Pour nous sécher, on s’est posé sur un rocher » ,raconte son père, Christophe. Comme chacune des seize dernières années, cet habitué des plages varoises emmène sa femme et ses deux enfants au camping de l’Île d’Or. Ses beaux-parents y ont un mobile-home. De l’autre côté de la départementale, uniquement accessible à pied, la plage de Langley ressemble plus à une crique, au calme, sans touriste.
Un obus coincé entre deux roches
Coincé en dessous des roches, entre deux pierres polies par le reflux de la mer, un obus. « Il était super bien camouflé, il fallait mettre le nez dedans pour le voir. C’est Tom qui l’a repéré. Il faisait 40 mm de long environ », estime Christophe d’un ton fier. De quoi alerter les forces de l’ordre. Le coup de fil passé, deux agents de police arrivent, confirment la prise de guerre des deux vacanciers et en informent leurs confrères du déminage. Une fois sur place, l’équipe de démineurs passe l’engin au peigne fin et décide de le faire exploser sur place. La plage est évacuée, le périmètre sécurisé. « Ça fait une belle déflagration, la détonation est impressionnante, souligne Christophe, tout le camping a dû l’entendre... Quand on y est retourné après, il n’y avait plus aucune trace. » D’après les démineurs, le père et son fils étaient nez à nez avec un obus de 40 mm de canon antiaériens Bofors, qui a dû rouler jusque-là sous l’effet de l’eau. « Pas grand-chose, résume l’un d’eux. Mais elle n’était pas transportable. Trop risqué. » L’équipe a préféré placer une micro-charge, « de moins de 100 g de plastique » pour s’en débarrasser.
Des déminages chaque semaine
Basée à Marseille, l’équipe de démineurs de la Sécurité civile est spécialisée dans ce genre d’intervention, « assez commune et très fréquente. » Selon un gradé, le Groupement d’intervention du déminage (GID) tourne autour de« 400 à 500 » sorties annuelles. « On est dans le Var toutes les semaines, assuret-il. Parfois, c’est juste une grille de foreuse qui ressemble à un explosif... Mais la plupart du temps on intervient sur des munitions nonexplosées. Mieux vaut se déplacer pour rien, on ne sait jamais... »
Des vestiges du Débarquement
La plage de Langley est écrasée entre la pointe de Pierre Blave et le Dramont, l’une des plages du Débarquement d’août 1944. Cet épisode de la Libération, entre Toulon et Cannes, et les combats qui s’en sont suivis dans le Var et les Alpes-Maritimes jusqu’en 1945 n’y sont pas pour rien (lire par ailleurs). Les bombardements ont émaillé le littoral, mais aussi l’arrière-pays, d’obus et autres munitions alliées et nazies. Il n’existe, d’après nos informations, pas d’estimation du nombre d’explosifs déversés pendant la Seconde Guerre mondiale, encore moins de ce qui reste à déminer. « L’été, beaucoup de monde se promène sur les plages, beaucoup de monde trouve des munitions non-explosées, explique un gradé du GID. C’est vrai partout, en ville, dans des montagnes, ou en périurbain comme à Boulouris [le quartier de Saint-Raphaël où se situe la plage de Langley. Ndlr.] » Tom et Christophe n’en sont pas à leur première découverte près de leur camping fétiche. « Mon fils avait déjà trouvé un étui de 7. 62 [sorte de douille pour gros calibre. Ndlr.] il y a quelques années sur la plage du Dramont » ,se souvient le père de famille.
à tonnes d’explosifs par an
Une grenade à fragmentation encastrée dans la roche repérée début août dans le quartier de la Mitre à Toulon, mais aussi un obus de 10 mètres au large de la plage du Palm Beach de Cannes, un autre près du rivage de La Croix-Valmer... Dans Var et les Alpes-Maritimes, les découvertes de munitions non-explosées sont monnaie courante. « Le phénomène est important, mais c’est sans commune mesure avec la Normandie et surtout le nord et l’est de la France, décryptet-on du côté du GID. Ici, les zones ont été urbanisées, il y a eu un important déminage après-guerre. Dans le nord et l’est, en revanche, les champs de bataille sont devenus des champs agricoles. Chaque année, on oscille entre 400 et 500 tonnes d’explosifs retrouvés sur le territoire national. Ça n’arrête pas. » Selon les experts du déminage, la France en aurait encore pour des centaines d’années, avec ses engins de mort sur les bras.