Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Vincent : « Je ne géolocalise plus mes photos »
Vincent a 29 ans. Depuis deux ans, il poste une photo tous les matins sur le réseau social des belles images : Instagram.
Son compte « @Calanques_et_voyages » affiche 8 882 abonnés au compteur – ce qui est bien, mais pas top (le statut de « micro-influenceur » exigeant généralement d’avoir passé la barre des 10 000) – mais les centaines de commentaires et milliers de « j’aime », en réponses à chacune de ses photos, correspondent à un « fort taux d’engagement » comme le qualifie la plateforme. Traduction : ce qu’il poste ne passe jamais inaperçu. C’est aussi pour cela qu’il use rarement de la fonction « localisation ». À la place, il enregistre « I protect nature », géolocalisation fictive qui renvoie au siège de WWF France, une initiative lancée l’an dernier pour sensibiliser à la préservation du milieu naturel, ou une formule maison : « Perdu dans la forêt ».
« Ce type de non-localocalisation apparaîtra de plus en plus »
« Je n’ai pas eu ce réflexe tout de suite, c’est venu avec le temps. Parce que les gens se jettent sur les endroits les plus partagés », explique l’Instagrameur, qui justifie régulièrement son choix de ne pas divulguer ses coins de paradis sur le réseau social. « Je suis obligé. Il ne faut pas oublier que les sources de l’Huveaune ont été détruites à cause des réseaux sociaux (1). Alors, on se contente de voir des photos. Les vrais aventuriers trouveront toujours de beaux endroits, ceux qui attendent des coordonnées GPS continueront de pourrir les endroits à touristes ! En privé, selon qui demande, je le dis sans problème, mais de là à vendre publiquement un petit paradis comme ça… », répond-il à un « bien ouej [joué en verlan, Ndlr] pour #ilovenature », envoyé en commentaire.
« Bien sûr, des gens me demandent systématiquement “c’est où ?”, mais globalement, je sens une communauté nature très mobilisée sur cette question. C’est en train de prendre de l’ampleur et je pense que dans la région, ce type de “non localisation” apparaîtra de plus en plus. »Ilnuance:« Attention, le but ce n’est pas que personne n’y aille, hein, mais il y a des endroits qu’on a beaucoup de mal à préserver. » Avec d’autres collègues amoureux des calanques – Vincent vit à la frontière entre le Var et les Bouches-du-Rhône – il veille : « Ce matin encore, j’ai réagi à un post sur la grotte bleue. C’est un endroit très fragile, pas facilement accessible, pas facile à repérer et il faut nager 2 kilomètres pour y aller ! C’est pas possible de partager sur Instagram les coordonnées GPS pour s’y rendre ! »
Quelques minutes après notre échange, Vincent me partage un autre post mettant en lumière ce lieu. Dans les commentaires, un échange qu’il juge assez représentatif : « - Il faut qu’on aille là !!! C’est instagramable à fond. - grave - Je viens de voir la publication sur Facebook ! Faut vraiment aller là-bas !! » Il complète : « Ce qu’il faut aussi, c’est éduquer. C’est à ceux qui dégradent qu’il faut jeter la pierre. Les responsables ne sont pas ceux qui partagent ces endroits, du moins pas directement .» Un point de vue que partage Pati, 52 ans, Marseillais et lui aussi « posteur » de belles images sur son compte Instagram @cheznousamarseille – 37 500 abonnés. Ce sont des photos qu’on lui envoie ou qu’il choisit parmi celles postées sur le réseau sous le hashtag renvoyant à son compte. « La localisation, je la mets, oui. Parfois, elle est plus générale dans les lieux qui doivent rester préservés », complète-t-il, tout en considérant que « des coins vraiment secrets, il n’y en a plus trop aujourd’hui. Sur Internet, on trouve des références sur tout ». Lui a créé son compte en 2015, pour « lutter contre le Marseille Bashing. Je voulais mettre en avant des gens, des lieux, de beaux endroits. J’essaye de diversifier. » Il reprend : « Bien sûr, je sais qu’il y a des soucis dans les calanques. Quand je poste une photo, en parallèle, j’adresse un message d’éco-citoyenneté et de respect du lieu. »
Difficile de savoir s’il est bien reçu. Régulièrement, Pati participe à des actions de ramassage de déchets. « Moi ce que j’aimerais, c’est que tout le monde ait accès à ce genre de spot mais que ça soit régulé. Peut-être avec plus d’employés de mairie ? »
1. En avril 2019, une photo avait circulé sur un groupe Facebook marseillais, faisant bondir le nombre de quelques dizaines à plusieurs centaines. Le site est aujourd’hui sous surveillance renforcée.