Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

David Khayat : « Je ne crois pas à l’immunité collective »

« C’est maintenant que vont sortir les 30 000 cancers non diagnostiq­ués », avertit à St-Tropez le célèbre cancérolog­ue niçois, qui parle pour la première fois de l’effet « post-Covid »

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT AMALRIC

Passé niçois, présent tropézien, le médiatique professeur David Khayat, jadis proche de Jacques Chirac et aussi connu pour avoir été le dernier médecin d’un Johnny au bord du gouffre à Los Angeles, donne rendezvous à l’Auberge des Maures avant une conférence à l’Hôtel de Paris. Une table qu’il apprécie en amoureux des agapes provençale­s chères à son enfance niçoise, depuis un dîner dans les années 90 avec la réalisatri­ce Danièle Thompson. Mais aussi pour la maîtresse des lieux, Evelyn Bouchet, sportive émérite qu’il traita à deux reprises en 2006 et 2011. L’amitié étant alors doublée d’admiration. Depuis ils ont fondé avec Guillaume Gomez, chef des cuisines de l’Élysée, l’associatio­n Help For Hope pour laquelle était organisé un dîner caritatif ce vendredi autour de chefs de renom. Aux antipodes d’une actualité sanitaire pas forcément facile à digérer ces derniers mois...

Les malades atteints de cancer ont-ils pâti de la pandémie ?

Les problèmes d’accès aux traitement­s, hélas, ne sont pas nouveaux... Les patients ont surtout craint d’aller se faire soigner pendant le confinemen­t, voire après. Et c’est normal... Ils se sentent fragiles. On sait qu’il y a 380 000 nouveaux cas de cancers par an en France. Or au 30 avril, il en manquait 30 000 ! Donc ils sont là, mais ils vont sortir prochainem­ent avec moins de chances de guérir, car le dépistage aura été fait plus tard... Je n’ai jamais voulu parler de la Covid, mais je suis intervenu pour dire : « Venez, les hôpitaux de cancérolog­ie sont toujours là pour vous soigner ! »

Le virus est tout de même rendu responsabl­e d’importants retards de diagnostic...

Il est vrai que durant la crise, les blocs étaient fermés pour ne pas utiliser les réanimatio­ns post-opératoire­s. En fermant les blocs, vous empêchez le chirurgien d’opérer... Or le diagnostic du cancer, il repose toujours sur une biopsie. Cela aussi a joué. Donc on va le ressentir maintenant... Le danger, c’est qu’il y a la peur de la deuxième vague. Sans parler de tous les malades étrangers qui ne viennent plus se faire soigner en France à cause des barrières aux frontières...

Quelle sortie de crise prévoyez-vous ?

Je me suis tu sur la question car je ne suis pas spécialist­e. Maintenant si vous me demandez mon avis personnel, je pense que l’on en a encore pour entre 18 mois et deux ans. Le Président Macron n’a pas totalement tort en disant qu’il va falloir apprendre à vivre avec le virus.

Sur les mesures, c’est la cacophonie. Quel chemin empruntez-vous ?

La solution de laisser circuler le virus comme l’avaient choisi certains pays de Scandinavi­e n’a pas fait ses preuves. Trop de morts... Je pense que ceux qui manifesten­t contre le port du masque ont tort : le virus est très contagieux. La théorie du complot, très peu pour moi ! Il faut durcir les mesures. Après, on peut toujours faire un référendum : « Êtes-vous d’accord d’avoir plus de morts pour que l’on ait plus vite l’immunité collective ? »... Moi, je pars du principe que lorsqu’on peut sauver un être humain, il faut le faire. Même si ça coûte très cher !

Satisfait des retombées de votre dernier ouvrage mêlant cancer, stress et émotions ?

Oui. Avec humilité, j’ai dit que ce n’était en aucun cas une démonstrat­ion scientifiq­ue. On ne peut pas prendre mille mamans, tuer leur bébé devant elles – stress maximum – et voir ensuite si cela crée des cancers. C’est impossible ! Ce lien entre stress et cancer est mon intuition profonde. En fait le problème naît du stress, de la tristesse, du chagrin... que l’on ne peut plus gérer, partager. Ce désespoir, sans issue ni échappatoi­re, est comme une forme de suicide. Et selon moi, cela touche directemen­t les cellules, qui sont notre miroir intégral ! Bien entendu, je n’omets pas tous les facteurs qui affaibliss­ent l’immunité.

Pourquoi la mammograph­ie n’est-elle pas un « bon examen de dépistage » chez la femme avant 40 ans ?

Parce que les seins sont trop denses ! Un cancer c’est une tache blanche, or quand vous êtes jeune, la mammograph­ie c’est tout blanc, donc on ne voit rien. Ce n’est que plus tard que le fond noir, constitué de la graisse, apparaît et rend l’examen fiable. D’où le ciblage de la population, où il y a le plus de cas, entre 50 et 80 ans. Avant 49 ans, je me bats aussi pour le dépistage, mais avec des IRM, car ils détectent même dans les glandes. Une fois encore, ça ne plaît pas aux économiste­s, car ça coûte bien plus cher.

Comment justifiez-vous votre passage du public à une clinique privée du 16e ?

Je suis le plus ancien chef de service de Paris. Vingt-sept ans. Personne n’a jamais fait ça. J’avais une réputation internatio­nale, mais les outils pour faire mon travail n’étaient plus à la hauteur de mes espérances ni de celles des malades. Moyens qui se dégradaien­t, malaise dans les hôpitaux, etc. J’ai dit stop ! Vous savez, après 37 ans de service public, ma retraite, c’est 3 300 € par mois. Je sais que beaucoup ne gagnent pas ça, mais par rapport à mes responsabi­lités passées... Depuis, j’officie quatre après-midi et une matinée par semaine à la clinique Bizet, qui est convention­née.

Pourquoi avoir enterré votre fondation ?

Elle a été liquidée fin 2016, puis dissoute administra­tivement cette année. Sa vocation était d’aider la cancérolog­ie de La Pitié-Salpêtrièr­e (33 millions ont été récoltés, Nldr), donc à partir du moment où je l’ai quittée, cela n’avait plus de sens. Je me consacre désormais à Help For Hope.

Cultivez-vous votre « peopolisat­ion » ?

Pas du tout. Cela m’agace ! Maintenant, est-ce que je suis un bon vivant ? Oui !

En août 2021, vous aurez 65 ans, raccrochez-vous la blouse ?

Non ! Je continue trois à cinq ans pour les malades, même si j’ai d’autres activités.

Justement, un nouveau livre est pressenti pour janvier 2021. Quel angle ?

Mon éditeur (Albin-Michel, Ndlr) m’a interdit d’en parler ! Mais je peux vous annoncer qu’en septembre 2021 sortira Le Cancer pour les nuls.

Avez-vous mis à profit le confinemen­t pour vos marottes artistique­s ?

Oui, j’ai écrit une mini-série médicale. Deux épisodes sont en train d’être proposés à des chaînes. Pour l’instant ça s’appelle Le Mandarin, le surnom que l’on donne aux grands patrons dans les hôpitaux. Une fois encore, l’histoire est tirée de mon expérience. Comme ce que j’ai fait par le passé avec Roger Hanin ou Line Renaud. C’est un exutoire. Vous savez, depuis l’âge de 22 ans à Nice, j’ai donné ma vie à cette maladie. J’y ai cru, j’ai perdu, j’ai vu les révolution­s...

Niçois un jour, Niçois toujours ?

Oui. J’ai deux soeurs et un frère sur place à l’heure actuelle. Mon père, décédé à 97 ans, repose au cimetière du Château, et ma mère vit toujours à Nice. Elle a 90 ans. Finalement, je suis le seul de la famille qui n’est plus là. Paris a été une vie de sacrifices, la compétitio­n, un combat permanent. J’aurais eu une meilleure qualité de vie en restant à Nice. Mais pas la même carrière...

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(Photo Laurent Amalric)

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