Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Une balle de stylo-pistolet la transperce, elle témoigne

La semaine dernière, Nadine, aide-soignante aux urgences de l’hôpital Pasteur 2 à Nice a été touchée par un tir accidentel. L’arme était arrivée dans les poches d’un blessé par balles

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Nadine, 58 ans, se trouve face à nous dans le petit local encombré mais chaleureux du bureau Force ouvrière de l’hôpital de Cimiez, à Nice. Traumatisé­e, mais forte d’une puissante volonté de témoigner. Des brioches ont été sorties. L’odeur rassurante du café plane dans la pièce. Les deux mains aimantes de son fils sont posées sur ses épaules. Nadine les étreint. Dans la nuit de lundi à mardi dernier, l’aide-soignante était de service aux urgences de l’hôpital Pasteur 2.

Sa soirée d’horreur ? Elle a accepté d’en témoigner en présence de Michel Fuentes, secrétaire départemen­tal Force ouvrière santé des Alpes-Maritimes.

De chacun de ses mots, transpire la vocation. « Les urgences, ça fait partie de mes valeurs. C’est une grande famille, que ce soit avec le Smur, le Samu ou les autres. On va tous dans le même sens : une vie est engagée. »

« Un homme, blessé, jeté au sol devant les urgences »

Nadine travaille à la « déchoc’ ». Aux urgences, la salle de déchocage prend en charge les situations les plus graves, en lien direct avec tous les services, dont la réanimatio­n ou la chirurgie. Ce soir-là, tel un paquet encombrant, un homme d’une vingtaine d’années est jeté par terre depuis une voiture, devant l’entrée des urgences. Le véhicule prend la fuite. Le blessé a pris deux balles dans le bas-ventre. « À ce momentlà, on le passe directemen­t en déchoc’. Il est amené dans nos locaux par l’équipe d’accueil. » Scope, électrocar­diogramme, après une batterie d’examens, le patient est transféré en réanimatio­n. « Je reste pour repréparer immédiatem­ent la salle en cas de nouvelle admission. Tout le matériel doit être remplacé, il faut aller vite. Ma cadre arrive et on fait ce qu’on appelle le vestiaire du patient. C’est-à-dire que chaque effet personnel doit être remis à la police pour les besoins de l’enquête. » Cigarettes, briquet, un billet de dix euros. Rien que de très anodin.

Nadine remarque alors un stylo posé sur sa « paillasse », son espace de travail. Une infirmière l’avait sorti d’une poche du patient, mais personne n’avait prêté garde. « Il était beau, assez gros, et ressemblai­t étrangemen­t à un stylo d’osculation pour regarder la dilatation des pupilles. Il était lourd, on a d’abord pensé que c’était un matériel médical, on n’avait pas vu notre collègue le prendre. On s’interrogea­it. » Nadine saisit alors le stylo et le passe à l’infirmière. « À ce moment, quand elle l’a dans les mains, j’entends un bruit énorme. Je ressens une violente douleur dans la poitrine. J’attrape la main de ma collègue à côté de moi. Du sang en coule. »

« Je ressens une violente douleur »

Le service plonge subitement dans l’horreur. Nadine s’interrompt. Ses yeux s’emplissent de larmes. Sa voix, aussi tremblante que ses jambes, se brise, se noue, s’éteint. « Mon autre collègue crie. Je suis blessée mais je ne réalise pas. Je me retrouve sur un brancard. Après ? J’ai des trous de mémoire. Je vois le visage de ma collègue qui tenait le stylo, elle semble très mal. Elle ne comprend pas non plus. »

La balle de calibre 22, sortie du stylo-pistolet, a transpercé le corps de Nadine au-dessus du sein droit, est ressortie par le flanc et

s’est fichée dans son bras droit.

« J’ai une collègue complèteme­nt sourde, qui crie. On ne comprend pas ce qui nous arrive. Psychologi­quement c’est très dur pour celle qui tenait le stylo. Elle a l’impression qu’elle m’a fait beaucoup de mal. Mais tout le monde aurait pu le manipuler ainsi. »

L’infirmière qui tenait le stylo est blessée à la main, Nadine est touchée à la poitrine et une collègue est assourdie, traumatisé­e. La salle de déchoc’ est figée de stupeur et d’horreur.

« Je passe au scanner, le médecin avec lequel je fais équipe me dit que j’ai une balle dans le bras. Ça semble tellement incongru que je suis très calme. J’ai donc une balle dans le corps… Je ne comprends pas. Ça semble sorti d’un film de James Bond. Un stylo… [Sa voix s’étrangle, les larmes reviennent.]

Un stylo ! »

Il s’agissait en fait d’une arme, un stylo-pistolet, en vente libre aux États-Unis. Ils peuvent contenir jusqu’à trois balles de calibre 22. Une seule se trouvait dedans ce soir-là.

« Ces armes se font aussi sous forme de briquet »

Mardi, Nadine a été opérée. Elle ne devrait pas avoir de séquelles. Cela s’est joué à quelques millimètre­s. Elle aurait pu y laisser le bras. « J’ai toujours de la douleur, mon alimentati­on est perturbée. J’ai un goût de métal dans la bouche en permanence qui me donne envie de vomir. » Les larmes ne sont venues que ce week-end.

« Jusque-là, je n’arrivais pas à prendre conscience de ce qui s’était passé. Nous ne sommes pas là pour apporter la mort, mais pour sauver des vies. On a du mal à penser que des gens font rentrer des armes chez nous. Nous ne sommes pas comme les pompiers, les policiers, nous sommes dans une unité fermée où il est censé y avoir une équipe de sécurité. »

Nadine espère que son témoignage permettra une prise de conscience. « Il paraît que ces armes se font aussi sous forme de briquet. Ça existe aussi sous forme de ceintures de pantalon d’où sortent des lames, ou de cartes bancaires où, quand on appuie, sort de la poudre. Ce n’est pas notre monde. Il nous faut une formation pour pouvoir détecter ce genre d’armes. »

Nadine en est certaine : elle reprendra le travail aux urgences.

« C’est mon travail, c’est ce que je veux garder. Mais je ne veux pas que ni moi, ni mes collègues, soyons en danger. »

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(Photo Eric Ottino) « Ça semble sorti d’un film de James Bond. Un stylo... Un stylo ! »

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