Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Le Charles-de-Gaulle prêt à lutter contre Daesh
Il est le patron du groupe aéronaval constitué autour du porte-avions, parti le 21 février de Toulon. Entretien avec le contre-amiral Marc Aussedat quelque part en Méditerranée centrale
Le groupe aéronaval (GAN) n’est pas encore arrivé en Méditerranée orientale. Quand les choses sérieuses, à savoir la lutte contre les résurgences de Daesh en Syrie et en Irak, vontelles commencer ?
Le groupe aéronaval, qui s’étend sur plusieurs centaines de milles nautiques, est un objet d’une telle complexité à mettre en oeuvre, et d’un tel poids politique, que les choses sérieuses débutent dès lors qu’il quitte Toulon ! Mais avant même que les avions Rafale soient engagés dans l’opération Chammal (contribution française
à Inherent Resolve, Ndlr) ,la consolidation de notre connaissance et de notre appréciation autonome de la situation en Méditerranée, comme plus tard en océan Indien ou dans le Golfe arabo-persique, est aussi très sérieuse. Pour en revenir à l’opération Inherent
Resolve, menée par la coalition internationale contre Daesh, sans donner de dates précises, nous devrions nous y intégrer dans les toutes prochaines semaines.
Avez-vous d’ores et déjà récupéré les bâtiments étrangers censés vous accompagner pendant toute ou partie de la mission Clemenceau ?
À partir du - février, les navires étrangers nous ont progressivement rejoints. Parmi eux, la frégate belge Léopold er, mais aussi la frégate grecque
Kanaris et le destroyer lancemissiles américain USS Donald
Cook. Mais avant cela déjà, pendant la phase préparatoire, le GAN a eu l’occasion de s’entraîner avec un navire marocain, et avec les frégates multimissions italiennes Luigi Rizzo et Carlo
Margottini, notamment pendant l’exercice Dynamic Manta de lutte anti-sous-marine à l’issue duquel les pleines capacités opérationnelles du GAN ont été validées.
La frégate Kanaris et le destroyer Donald Cook n’étaient pas les navires annoncés.
Non, effectivement. Ils ont remplacé l’Hydra et l’USS Porter initialement prévus. Ces changements de dernière minute font partie de la vie normale des marines. Mais cette volonté d’intégrer à tout prix le groupe aéronaval français prouve une nouvelle fois l’attractivité du
Charles-de-Gaulle et de son
escorte.
Outre les exercices avec les marines alliées, avez-vous mis à profit ces dix premiers jours de mission pour longer la côte libyenne ?
Sans être trop précis, les moyens du GAN, que ce soit les avions Rafale et Hawkeye, ou les capteurs des bateaux qui le constituent (sous-marin nucléaire d’attaque de type Rubis, frégate de défense aérienne Chevalier
Paul, pétrolier Var) participent à la réactualisation de nos connaissances de la situation géopolitique des zones de notre déploiement. En d’autres termes, on observe, on écoute tout ce qui se passe dans les zones que nous traversons.
Et avez-vous pu constater des changements, par exemple de comportement des marines turque ou russe, par rapport à l’an dernier ?
Nous sommes arrivés en Méditerranée centrale il y a deux jours seulement. Il est donc encore trop tôt pour répondre. On retrouve les mêmes acteurs qu’on connaissait lors de la mission Foch l’an dernier. Aucun comportement escalatoire n’a été constaté. Et puisque vous évoquez la Turquie, je rappelle que c’est un allié dans le cadre de l’Otan. Et à ce sujet, des moyens turcs ont d’ailleurs participé à l’exercice Dynamic Manta évoqué précédemment.
La mission Clemenceau prévoit le déploiement du GAN en océan Indien et dans le Golfe arabo-persique, des zones extrêmement instables. Malgré la puissance qu’il dégage, le GAN pourrait-il être pris pour cible ?
Le monde est incertain. Ça nous pousse à être vigilant à chaque instant. Mais la France doit continuer à être présente dans ses zones d’intérêt stratégique. Lorsqu’on navigue en eaux resserrées, comme ce sera le cas dans les détroits d’Ormuz ou de Bab-el-Mandeb, on garde bien évidemment à l’esprit l’existence de risques. Notamment la menace asymétrique. Mais militairement, tactiquement et intellectuellement, on est préparé. Pendant la phase d’échauffement, on s’est entraîné nuit et jour à toute la palette du spectre des menaces.
Vous étiez à bord du Charles-deGaulle il y a un an lorsque l’épidémie de Covid- a frappé l’équipage. L’ambiance sur le bateau a-t-elle changé ?
Le groupe aéronaval a bien évidemment été marqué par l’épidémie de Covid qui s’était déclarée à bord l’an dernier. Mais toutes les enquêtes, qu’elles soient épidémiologiques ou de commandement, ont permis de comprendre ce qui s’était passé. Toutes les leçons tirées de la crise sanitaire de l’an dernier ont été intégrées dans la préparation de la mission Clemenceau . Que ce soit dans l’organisation du travail à bord, comme du choix des escales auxquelles je reste très attaché car elles sont primordiales pour la régénération des marins. Et puis par rapport à la mission Foch , il y a une grande différence : la totalité des marins du GAN ont été vaccinés avant d’appareiller. Ça apporte quand même une plus grande sérénité.
Un mot sur le décès, le février, du maître principal Éric Genestine (), marin à bord de la frégate Chevalier Paul ?
Mes premières pensées vont bien sûr à la famille du MP Genestine. En mission, ma préoccupation de tous les instants est de ramener tous les marins. C’est toujours une grande tristesse d’en voir partir un. Une tristesse partagée bien évidemment par tous les marins du groupe aéronaval. Ses frères d’armes. Ses frères de mer. La notion d’équipage est très forte. Tous les marins sont donc touchés par cette disparition. Et le meilleur hommage qu’on peut rendre au MP Genestine est de faire naviguer son souvenir tout au long de cette mission Clemenceau .
1. Dans la soirée du 24 février, le maître principal Éric Genestine, 54 ans, marin à bord de la frégate
Chevalier Paul, a fait un malaise. Transporté en urgence par hélicoptère vers l’hôpital militaire SainteAnne à Toulon, il est décédé des suites d’un arrêt cardiaque le 25 février.