Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
L’explosion de la Maison des têtes, un secret d’État ?
La déclassification des archives militaires annoncée par Emmanuel Macron pourrait lever des doutes sur l’explosion de la Maison des têtes, à Toulon, qui a fait 13 morts le 15 février 1989
Le chef de l’État a pris la décision de permettre aux services d’archives de procéder dès ce mercredi 10 mars aux déclassifications des documents couverts par le secret de la Défense nationale jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse. S’il n’entre pas dans les critères fixés par Emmanuel Macron, l’histoire de l’explosion de la Maison des têtes, à Toulon, le 15 février 1989 se heurte à un silence de la Grande muette. Explications.
Décidé à favoriser le respect de la vérité historique, comme l’indique le site de l’Élysée, « le Président de la République a entendu les demandes de la communauté universitaire pour que soit facilité l’accès aux archives classifiées de plus de cinquante ans ».
Dans le Var, il est un drame qui reste dans toutes les mémoires, la tragédie de La Maison des têtes, du nom d’un immeuble toulonnais de cinq étages, totalement détruit à la suite d’une explosion le 15 février 1989. Si la justice conclue rapidement à un suicide au gaz et classe définitivement le dossier en 1994, trente ans plus tard des doutes liés à des manoeuvres militaires subsistent.
L’horreur en plein centre-ville
Ce 15 février 1989, il est 14 h 26 lorsque dans un bruit presque irréel ce bâtiment situé sur la place à l’huile, dans le centre-ville de Toulon, à deux pas du port et de l’hôtel de ville s’écroule comme un château de cartes. Une épaisse vague de poussière envahit les rues. L’air est suffoquant. De cet édifice construit au XVIIIe siècle il ne reste rien qu’une gigantesque montagne de gravats qui vient d’engloutir treize victimes dans ce tombeau funèbre de pierres et de débris en tout genre. En équilibre instable, accroché péniblement à un pan de mur toujours debout, un blessé s’accroche encore à la vie. Toulon découvre l’horreur en son coeur de ville. Les sapeurs-pompiers s’activent alors pour secourir, déblayer. Il règne un climat pesant dans un paysage digne d’une scène de guerre. Très rapidement, les circonstances de l’explosion sont officiellement annoncées : il s’agit d’un suicide au gaz. Une occupante du troisième étage, que l’on dit dépressive, aurait ouvert les vannes, occasionnant ainsi une déflagration gigantesque. Sur place, dans les heures précédentes, personne n’évoque pourtant d’odeur de gaz mais surtout une odeur de poudre.
La piste du gaz remise en cause
Dès lors, la piste officielle va être mise à mal par des témoignages et quelques éléments perturbateurs. (Photo doc F. B.)
Sur le suicide par gaz d’abord... Les relevés effectués laissent entendre que la « suicidaire » a laissé ouvert le gaz depuis 8 heures du matin. Soit plus de 4 heures avant l’explosion sans qu’un seul occupant ne sente une quelconque odeur.
Dans les minutes qui suivent l’écroulement de la Maison des têtes, une étrange alerte au gaz est déclenchée obligeant les sauveteurs à évacuer les lieux. Pourtant, à ce moment-là, toutes les arrivées de gaz ont été coupées. Journaliste d’investigation, Max
Clanet, auteur de Blessures de guerre, ou comment l’affaire de la Maison des têtes de Toulon a été étouffée pour raison d’État, paru en 2014, découvre l’existence d’un film où il voit apparaître dans ce laps de temps six hommes portant des mallettes passer outre le cordon de sécurité pour monter sur les décombres. Pourquoi ? Qui sont-ils ? Ont-ils fait des prélèvements ? Durant sont enquête qui dure quatre ans, le journaliste ne trouve pas de réponse à cette présence. « Entre 15 h 15 et 15 h 45, il se passe des choses très bizarres sur place », relève Max Clanet.
Présence de titane
Le mystère s’épaissit lorsque l’on constate la disparition des vêtements des victimes, incinérés « par erreur ». Le transport des gravats pose aussi question. Ils sont évacués vers un lieu de décharge aux Bonnes Herbes, vers Châteauvallon, bien loin du secteur de Lagoubran où ils auraient dû transférer. Ils seront recouverts de terre et des proches de victimes y retrouveront des effets personnels mêlés. L’une des victimes extraite miraculeusement de ces monceaux de gravats au corps meurtri et criblé de minuscules morceaux de métaux acceptera, face à l’inertie de la justice, de se prêter à un prélèvement cutané analysé dans un laboratoire privé. Le bilan tombe et révèle la présence d’un métal rare. Il s’agit de titane. Enseveli sous des tonnes de débris, l’homme victime se souvient aussi, « à jamais », d’une odeur. Pas celle du gaz, celle de la poudre, ne cessera-t-il de répéter.