Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Nous avons besoin des espèces que nous détruisons »

Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle estime qu’une sixième extinction menace la planète, et que l’Homme risque de se retrouver victime de ses actes d’ici quelques décennies.

- RÉGINE MEUNIER rmeunier@nicematin.fr

Le président du Muséum national d’histoire naturelle publie « À l’aube de la 6e extinction. Comment habiter la Terre » chez Grasset. Ce paléontolo­gue et biologiste marin estime qu’elle menace la planète. L’Homme, comme d’autres espèces, risque de ne pas avoir le temps de s’adapter.

Est-on vraiment à l’aube de la e extinction ?

Nous sommes à l’aube, car une série de signaux assez négatifs, en ce qui concerne la biodiversi­té, devraient nous alerter. Mais j’évoque seulement l’aube dans le titre du livre, parce que si l’on compare la situation actuelle avec celle des cinq grandes extinction­s du passé géologique de la Terre, nous ne sommes pas encore sur les mêmes chiffres.

Aujourd’hui, si l’on regarde le nombre d’espèces qui se sont réellement éteintes, donc qui ont complèteme­nt disparu de la surface de la Terre, leur nombre n’est pas si considérab­le (de l’ordre de  %). En revanche, si l’on considère le nombre d’espèces, qui sont déjà en déclin prononcé, donc qui sont en route vers une possible extinction, il y en a beaucoup plus.

Quelle est l’échéance ?

Le temps qui nous reste pourrait passer assez vite et nous pourrions être confrontés à une crise majeure de la biodiversi­té dans quelques décennies car les processus en cours sont beaucoup plus rapides que ceux à l’oeuvre lors des grandes crises du passé géologique.

Est-ce que l’Homme est menacé ?

A terme, si les écosystème­s dont nous dépendons et auxquels nous sommes vraiment adaptés, étaient trop déstabilis­és, nous pourrions in fine, être menacés.

Nous sommes une espèce complexe et par conséquent fragile.

Ne l’oublions pas.

La Covid- en est une preuve ?

Cela illustre à quel point un petit virus, qui pourtant n’est pas si méchant que cela, si l’on regarde les choses avec une froideur scientifiq­ue, peut faire des dégâts. Et regardez à quel point il déstabilis­e nos sociétés et imaginez qu’il ait été plus agressif.

Quelle part de responsabi­lité a l’Homme dans la transmissi­on des virus comme la Covid- ?

Dans ces cas de zoonoses, où un virus passe de l’animal à l’Homme, nous avons une double responsabi­lité. Nos élevages industriel­s mettent en présence des milliers d’individus qui, sont tous très semblables, pratiqueme­nt issus du même père ou de la même mère, et donc, dès qu’un virus s’introduit dans l’élevage, il provoque un carnage, comme avec la grippe aviaire. L’Homme étant au contact de ces animaux, la probabilit­é de transmissi­on à des humains devient importante.

Et la seconde ?

La seconde c’est lorsque nous allons au contact de la faune sauvage. Par exemple en pratiquant une déforestat­ion qui pousse cette faune sauvage chez nous, car on la prive de son habitat, ou en allant chercher de la viande de brousse. Cela provoque des contacts avec les virus dont cette faune est porteuse, augmentant la probabilit­é d’une transmissi­on, d’une espèce animale vers une autre, y compris vers Homo sapiens.

Pourquoi, le changement climatique est-il une menace pour la biodiversi­té ?

La vitesse des phénomènes rend très difficile l’acclimatat­ion de la biodiversi­té, elle ne peut suivre le mouvement. Les choses vont trop vite pour que cela soit compatible avec les capacités d’adaptation du vivant, qui s’adapte au fil et au rythme des génération­s. Plus les génération­s sont longues, plus l’espèce aura des difficulté­s à s’adapter. Les virus et les bactéries, eux s’adaptent parce qu’ils font un grand nombre de génération­s chaque jour, mais les espèces d’assez grande taille, qui ont des génération­s longues, ne vont pas pouvoir s’adapter. Si l’Homme voulait s’adapter biologique­ment, cela passerait par une modificati­on de sa descendanc­e. Et une génération chez l’Homme c’est  ans.

La diminution du succès de la reproducti­on peut-elle entraîner la disparitio­n de certaines espèces ?

Le déclin du succès reproducte­ur est le mécanisme central des crises. Les extinction­s ne font pas des hécatombes, on ne marche pas sur des cadavres. Les espèces, en fait, ont plus de difficulté­s à se

reproduire, leurs descendant­s survivent moins, ce qui fait que de génération en génération, il y a de moins en moins d’individus. Et si le processus se poursuit, il se termine par une extinction.

Cela pourrait se passer chez l’Homme ?

Oui, mais en y ajoutant d’autres facteurs. En attendant, on constate un déclin de la fertilité, notamment masculine, en

Europe et aux États-Unis, sous l’effet de perturbate­urs endocrinie­ns, qui viennent de certaines pratiques agricoles, donc issus de la nourriture que l’on consomme et des polluants que l’on absorbe. Nous sommes loin du seuil limite et on peut pallier à cela par la fécondatio­n artificiel­le. Mais si nous arrivions au bout de ce processus, avec des individus qui seraient complèteme­nt stériles, cela poserait de grandes difficulté­s.

C’est ce qui est arrivé aux dinosaures ?

Pour les extinction­s du passé géologique de la Terre, y compris celle qui a concerné les dinosaures, c’est plus compliqué. Le changement climatique a souvent, en dernière instance, provoqué des oscillatio­ns chaudfroid, froid-chaud et qui ont fait qu’un grand nombre d’espèces se sont éteintes. Mais il n’y a pas que cela. Il convient de prendre en compte les facteurs qui ont provoqué ce changement climatique, et qui sont multiples.

Quelle est la différence avec les menaces actuelles ?

La différence avec les autres extinction­s, c’est que nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. Nous faisons partie de la biodiversi­té, du monde vivant, nous sommes une espèce parmi d’autres espèces, nous dépendons des autres espèces pour vivre, que ce soit pour respirer, nous nourrir... Nous avons besoin des autres espèces que nous sommes en train de détruire. L’Homme risque de se retrouver en position de victime de ses propres actes.

Est-ce qu’il y a aujourd’hui une compétitio­n pour la survie entre tous les êtres vivants ?

Il y a toujours eu de la compétitio­n entre les espèces. C’est le fondement même du fonctionne­ment du vivant. Mais entre l’Homme et les autres espèces, ce qui se surajoute, c’est que nous avons conscience de nos actes. Du coup, il nous incombe une responsabi­lité sur les conséquenc­es de nos actions. D’où le sous-titre du livre : « Comment habiter le Terre ».

Peut-on encore éviter cette e extinction ?

Oui, je reste relativeme­nt optimiste parce que nous en sommes encore à l’aube, comme le dit le titre de mon livre. Pour le moment, les déclins sont plus nombreux que les véritables extinction­s, mais attention au bout d’un déclin il risque d’y avoir une extinction. On sait quelles sont les pressions que l’on exerce sur la biodiversi­té, donc si nous les diminuons, cela ira mieux. Mais il faut agir, changer la façon dont nous nous comportons et réduire ces pressions.

“Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis.”

“Attention, au bout d’un déclin il risque d’y avoir une extinction.”

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(Photo Mnhn-Agnès Iatzoura) Bruno David.

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