Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Impuissant­es, les bergères en proie au doute et au traumatism­e

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Dans une bergerie de Ginasservi­s, Marion Giraud panse les plaies de ses bêtes et de son âme. Elle est l’une des deux bergères qui a subi l’attaque des loups, sur place, le 27 février, après celle, en plein jour, en forêt de La Verdière, en janvier. Sa collègue, secouée par l’événement, a préféré prendre du recul.

Elle montre les quelques bêtes qui se trouvent dans le hangar. « Là, vous voyez celles qui s’en sont sorties. Et encore. Quand il y a une attaque, vous en avez pour une bonne quinzaine de jours avant de les voir retrouver leur calme. » Dehors, il y a les agneaux, qui ont été écartés et, dans un autre hangar tout proche, les blessés. « Vous voulez voir les mordus ? Venez. Ils sont là. » Une quinzaine de bêtes, qui ne semblent pourtant pas mourantes, sont à l’isolement. « Aucune ne pourra réintégrer le troupeau. Certaines, infectées par les morsures, vont mourir à coup sûr. Les autres… Je leur donne des antibiotiq­ues. On verra bien. C’est une question de jours. Il y a un truc dans la salive… Ils attrapent une fièvre et se laissent mourir. » Au sol, juste à nos pieds, couchée dans la paille, une bête semble à demi-morte. Même sa laine est noircie, comme enduite de graisse. « C’est fini pour elle. Je devrais probableme­nt l’achever. L’égorger, là, maintenant. Mais je n’ai plus le courage. J’en ai “fait” tellement ces derniers jours. C’est au-dessus de mes forces… »

Elle dit sa fatigue, mais la bergère est manifestem­ent en colère froide, certaine que les choses ne peuvent rester en l’état. « Je ne vois pas ce qu’on peut faire de plus : ici, tout est fermé, gardé. On dort sur place. Il y a des chiens, un parc, des portes… Je suis capable de garder 1 500 bêtes en alpage, mais là, on n’en sortira pas si on ne fait rien contre le loup. Enfin… “le loup”… Je dois être la seule bergère qui ne le haïsse pas complèteme­nt. Ceux qui nous ont attaqués à La Verdière, c’était pas des loups. J’en mettrais ma main à couper. Des hybrides, sûrement. Enfin… De toute façon, on est coincés : les sous-bois sont mal entretenus, difficiles à surveiller… On m’a dit “arme-toi !”. Sans rire. Vous me voyez avec un fusil ? Non… » Parce que “la bête” ne lui a pas encore fait renoncer à ce qu’elle considère comme une passion, Marion ira, cet été, garder les moutons en altitude. « Là-haut, on sera tranquille­s. C’est drôle : avant, on disait l’inverse… » Courageuse ? Peut-être. Sûrement un trait de famille : la fille de Marion, lycéenne, s’oriente, elle aussi, cette année, vers les métiers de l’élevage.

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Marion Giraud est au chevet de son troupeau, dans la bergerie de Ginasservi­s, attaquée le  février.

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