Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Michel Siffre, l’homme qui arrêtait le temps

À 82 ans, celui qui est un peu le Jacques Mayol des « abysses terrestres » raconte ses fabuleuses aventures de confinemen­t extrême au centre de la Terre que la Nasa et l’armée suivaient de si près.

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Il habite seul toujours hors du temps. Un tout petit appartemen­t dans le quartier populaire de Trachel à Nice. Sa dernière grotte où s’amoncellen­t dans une trompeuse pagaille les reliques de sa vie d’aventurier de l’extrême, de tous ses voyages vingt mille lieues sous la terre. Avec pour seule arme sa rage de découverte et son casque de spéléologu­e, Michel Siffre est un peu l’alter ego d’un Alain Bombard. L’un médecin et biologiste traversait l’Atlantique sur un frêle pneumatiqu­e en 1952 pour tester la capacité de survie. Lui au centre de la Terre à défier le temps ou tout le moins à tenter de le comprendre en étudiant les mystères de son rythme biologique.

Quand, il y a cinq jours, marchant sur ses traces 15 volontaire­s ont entamé quarante jours de réclusions dans la grotte de Lombrives en Ariège, il n’a pas été convoqué pour endosser le rôle de pionnier de ce type d’expédition hors du temps, dont il fut l’initiateur en 1961. Soixante jours seul [voir ci-contre], Michel Siffre accéda le 14 septembre 1961 au rang des grands explorateu­rs du XXe siècle.

« Sous terre le cerveau crée le temps »

Son histoire mériterait qu’un Luc Besson lui consacre un biopic. Du Grand Bleu au Grand Noir des grottes infinies, le parallèle est troublant. Le mal de ces grands fonds s’est emparé de Michel Siffre à 10 ans. Fascinatio­n. Au-dessus du Parc Impérial à Nice, il découvre une grotte en forme de rivière souterrain­e. Avec son copain d’enfance, Marc Michaux, il fugue au-dessus d’Annot pour explorer la grotte de Lare : «On n’a rien. Pas de matériel. Juste un casque et notre désir irrépressi­ble. Pour se prémunir des chutes, on volait les cordes à linges de nos mères. En douce, on les tressait parfois des heures pour fabriquer des cordes et on y allait »

Parce qu’il n’était pas biologiste, ses expédition­s sur la piste de nos rythmes biologique­s en situation extrême furent parfois décriées. Elles furent tout autant suivies, voire soutenu avec gourmandis­e par la Nasa ou l’armée française. « Sous terre sans repère, c’est le cerveau qui crée le temps », aime-t-il toujours à dire.

Un grand pas pour l’humanité

Entre un contrat signé à Cap Canaveral (Floride), une bibliothèq­ue qui déborde de livres, de notes, de revues scientifiq­ues, Michel Siffre exhibe non sans fierté un de ses trésors : « Quand, onze ans après le Scarasson, j’ai décidé de passer 205 jours seul sous terre au Texas, la Nasa, pourtant mobilisée exclusivem­ent sur les missions Apollo, m’a soutenu. J’ai gardé deux ou trois rations que la Nasa m’avait fournies : Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins avaient été dotés des mêmes lors de leur mission Apollo 11. » Celui qui, aujourd’hui, en réalisant de tels exploits, serait hissé au panthéon des influenceu­rs bankables – pluie de sponsors et ultramédia­tisation – vit une retraite chiche, mais riche de tant d’aventures. De quelques regrets aussi : en s’extirpant de la grotte de Midnight Cave au Texas après 205 jours de réclusions volontaire­s, l’exploit de Michel Siffre passa inaperçu. A Munich, un commando palestinie­n perpétrait un épouvantab­le attentat au coeur de la cité Olympique. L’exploit hors normes du petit spéléologu­e n’est cependant pas perdu pour tout le monde. Pour l’armée et la recherche spatiale notamment : « Mon cycle circadien avait doublé, passant à trentesix heures d’activité suivies de douze heures de sommeil sans aucune fatigue ajoutée. Une découverte majeure, même si je ne me l’explique toujours pas!»

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Alors que  volontaire­s marchent sur ses traces dans une grotte en Ariège depuis cinq jours, Michel Siffre, le spéléologu­e de l’extrême, reste un des grands aventurier­s de XXe siècle.

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