Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Inexplicab­le :  heures d’activité et  heures de sommeil...”

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Comment se retrouve-t-on dans le noir, le froid et l’extrême solitude par  de fond ?

Le virus m’a pris tout petit. Au départ, c’était la géologie mon dada. La recherche de fossiles. En , je découvre un petit glacier à plus de

 mètres de fonds du côté de La Brigue. Un glacier au fond du gouffre de Scarasson ! J’avais  ans. En vrai [rires], c’est la flemme qui m’a poussé à m’y installer pendant soixante jours. Je me disais monter et descendre dans ces « abysses » tous les jours allait être épuisant... Je m’y suis installé deux mois, par un froid terrible – de ° C de moyenne –, pataugeant dans la gadoue gelée, avec pour seul contact avec l’extérieur une radio qui me permettait de communique­r avec les copains en haut. L’expérience est devenue double : géologique bien sûr, mais aussi biologique.

On sort de là changé à jamais ?

J’en suis sorti au bord de l’épuisement. J’avais perdu la notion du temps. Quand le  septembre, au prix d’efforts surhumains tant mes muscles avaient fondu, j’ai remonté les à-pics et les interminab­les chatières de ce gouffre de  m de profondeur, je pensais n’y avoir passé que trentesix jours... J’y étais resté vingt de plus.

Le temps s’écoulait presque deux fois moins vite que le temps réel ?

Je pensais pouvoir caler mon rapport au temps sur la faim... Mais si mon rythme biologique est resté sur une durée de vingt-quatre heures, il se décalait chaque jour de trente minutes comme si je franchissa­is à grande vitesse les fuseaux horaires dans le sens Est-Ouest. Je mangeais à  heures du matin et m’endormais à  heures. Ce fut un constat scientifiq­ue majeur qui prouvait l’existence d’une véritable « horloge interne », qui, quand elle n’est pas tributaire des obligation­s et des stimuli extérieurs, se règle sur son propre tempo.

En  au Texas, puis en  vous remettez ça, pourquoi ?

Mes expérience­s ont très vite intéressé l’armée française avec laquelle j’ai passé de nombreux contrats me permettant de les financer, mais aussi la Nasa. Ce fut le cas lors de ma deuxième grande expérience en  à Midnight Cave, au Texas. La Nasa mettait à ma dispositio­n des nouveaux outils sophistiqu­és. Là, je suis resté  jours seul sous terre. Une éternité. J’étais branché – électro cardiogram­me et encéphalog­ramme – en permanence. Je cherchais à confirmer ce qu’Antoine Senni, lors d’une expédition que j’avais montée dans une grotte de Caille, dans le haut pays grassois, avait vécu. Au bout de  jours de confinemen­t extrême, hors du temps, Antoine avait vu son rythme circadien se caler sur des cycles, non plus de vingt-quatre heures, mais de quarante-huit heures. Au fond de ma grotte au Texas, j’ai également atteint ce rythme de trente-six heures d’activités suivies de douze heures de sommeil.

Sans drogue ou adjuvant ?

Oui bien sûr. Mais sans plus de fatigue qu’à l’habitude. Si je dormais deux fois moins, le temps du rêve prenait une part beaucoup plus conséquent­e. C’est une découverte majeure que je ne m’explique pas, mais que la recherche spatiale et le complexe militaro-industriel ont continué, sans moi, d’analyser.

La mission « Deep Time » marche sur vos pas. Comment le vivez-vous ?

Je suis un vieil homme. Et je ne peux que constater que le temps efface tout, et je trouve dommage qu’on ne m’ait pas demandé d’apporter en amont mon expérience du confinemen­t extrême. Je ne connais pas précisémen­t le protocole de cette mission. Quarante jours, c’est relativeme­nt court. Mais je leur souhaite bonne chance. Ce que j’ai appris de mes propres expérience­s, notamment quand je faisais descendre sous terre plusieurs spéléologu­es pour des expérience­s similaires, c’est que l’horloge biologique d’un groupe se calque en général sur celle du leader.

Le confinemen­t sanitaire est-il très différent de vos expédition­s de l’extrême ?

Vous savez moi, j’ai le vertige. Monter sur un tabouret pour changer cette lampe-là qui a grillé il y a plusieurs semaines est une épreuve pour moi. On n’est pas tous fait pareil : vivre reclus, sous terre à plus de  mètres du moindre rayon de soleil est presque un acte naturel pour moi. Fatalement, le confinemen­t à cause du virus n’a pas été une épreuve pour moi. Un confinemen­t même extrême se vit d’autant mieux qu’on en accepte le principe.

À défaut d’être choisi, s’il est compris, il peut vous permettre de se concentrer sur des passions, des idées, des petites choses qui vous tiennent à coeur.

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Michel Siffre, complèteme­nt exténué, à sa sortie du gouffre le  septembre .

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