Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

L’énigme Raphaël

« Un marché

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Il ne se risquera pas à donner son avis. Question de crédibilit­é. « Je n’ai pas vu ce tableau. Je ne souhaite pas me prononcer sur un tableau que je n’ai pas vu» , prévient Éric Turquin. Cet expert en tableaux anciens réputé, habitué à collaborer avec les études de vente internatio­nales, livre néanmoins des clés pour aborder cette Madone aux oeillets. Lui-même a conclu en 2019 une vente atypique et controvers­ée, au montant tenu secret : le Judith et Holopherne attribué au Caravage, découvert dans un grenier à Toulouse.

Les nouvelles techniques d’analyse modifient-elles radicaleme­nt notre regard sur les oeuvres d’art ?

Elles améliorent énormément notre approche. Elles nous donnent des ailes ! Mais je pense que l’analyse scientifiq­ue ne doit pas remplacer « l’oeil », ce que les Anglais appellent le connoisseu­rship. C’est-à-dire une accumulati­on d’expérience­s dont vous faites profiter les autres. La vérité dite scientifiq­ue doit venir soutenir un raisonneme­nt, mais l’intuition doit gouverner les recherches techniques. Sinon, on va la catastroph­e !

En l’occurrence, la science permet de dater l’origine de cette madone...

Les recherches techniques vont prouver ce que je ne conteste pas : le tableau est très probableme­nt de l’époque de Raphaël. Peut-être même retrouvera-t-on ses pigments, voire des morceaux de son pinceau... Cela ne suffira pas à me convaincre.

Peut-on parvenir à un consensus des experts de l’art sur l’authentici­té d’une oeuvre au parcours incertain ? Dans l’affaire Caravage, il n’y avait pas de consensus... Et il n’y en aura jamais ! Parce que le Caravage est un artiste qui n’attire pas le consensus. C’est beaucoup moins vrai pour Raphaël qui est un artiste relativeme­nt linéaire. C’est l’anti-révolution­naire. (Photo SP/Cabinet Turquin)

Est-ce le marché de l’art qui, à un instant T, « valide » l’authentici­té ? Probableme­nt, oui. On peut voir les choses comme ça. Mais le marché, qu’est-ce que c’est ? [Dans le cas du Caravage] c’est un monsieur qui a dit : « Je vais anticiper, je crois au tableau, je vous l’achète ». Et il a préempté la vente. Est-ce une solution satisfaisa­nte pour l’histoire de l’art ? Non. Pour le marché ? Oui. Pour M. Turquin ? À moitié. Et pour les vendeurs ? Certaineme­nt, oui.

Le problème ne s’est donc même pas posé... Le marché ne tranche pas pour l’histoire de l’art : il tranche pour lui.

Peu de chance de trouver si facilement un nouveau Raphaël”

Peut-il y avoir deux vérités, l’une historique, l’autre commercial­e ?

Il n’y a pas deux vérités. Ce n’est pas un match ! Il y a quand même une vérité dont on essaie de s’approcher. Le marché ne se prononce jamais contre l’histoire de l’art.

Tenter de réhabilite­r une oeuvre potentiell­ement majeure, c’est s’assurer des réactions sceptiques,

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(Photos et images Agalmata, R. Chipault Agalmata et Philippe Walter) De multiples techniques d’analyse ont été appliquées à cette madone.
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L’expert en tableaux anciens Éric Turquin.

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