Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Faut-il avoir peur du vaccin AstraZenec­a ?

Des suspicions sont apparues sur de possibles effets secondaire­s rares mais graves chez des personnes vaccinées avec le sérum anglo-suédois. Les soignants martèlent la balance « bénéfice-risque »

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

Douze cas de thromboses « atypiques » rapportés en France sur des patients vaccinés à l’AstraZenec­a. Des pays comme le Danemark ou la Norvège qui suspendent son utilisatio­n. Et un membre de l’agence européenne du médicament (EMA) qui dévoile qu’on peut « désormais lier de manière claire » ces thromboses à l’injection de ce sérum. Une informatio­n rectifiée dans la foulée par l’EMA : « Nous n’avons pas encore abouti à une conclusion et l’examen est en cours ». AstraZenec­a, distribué par le géant suédo-britanniqu­e, est sous le feu nourri des critiques, sujet à toutes les suspicions. Et donc à de nombreuses réticences.

De quoi désespérer les profession­nels de santé engagés dans la lutte contre l’épidémie.

Ils voient de plus en plus de patients déprogramm­er leur première injection de ce vaccin, autorisé en France pour les plus de 55 ans, en priorité avec comorbidit­és.

Vrai risque ou faux procès ?

« Globalemen­t, les patients sont de plus en plus réticents à être vaccinés avec AstraZenec­a », déplore Ladislas Polski, médecin généralist­e et maire de La Trinité, dans les AlpesMarit­imes. « Demain [aujourd’hui, Ndlr] j’ai programmé 10 patients et je sais que je vais probableme­nt avoir des désistemen­ts », indique-til. Avec un flacon d’Astra, 10 injections peuvent être réalisées et pas question pour lui de gaspiller une seule dose. « Je m’arrange toujours pour appeler d’autres patients, toujours de plus de 55 ans, bien sûr, mais avec ou sans comorbidit­és », explique le docteur Polski.

Qui comprend, cependant, pourquoi certains Français ont de moins en moins confiance en ce sérum, le seul autorisé en France à ne pas être à ARN messager comme le Pfizer ou le Moderna. « Le discours très ferme du Président pour continuer à vacciner avec l’Astra alors que des pays avaient suspendu son utilisatio­n, puis sa suspension une seule journée avant une reprise des injections, a affaibli la confiance dans ce vaccin. Les changement­s permanents ont pu nourrir les inquiétude­s de certains et je le comprends », argumente-t-il. Il le comprend mais le « déplore ». Sans oublier, dit encore Ladislas Polski, « les rares événements survenus, comme la mort de ce jeune étudiant en médecine à Nantes, qui ont encore augmenté les réticences ». Il souffle : « Aujourd’hui, vacciner avec AstraZenec­a sollicite beaucoup d’énergie et d’explicatio­ns. » Il mise sur la « confiance entre un patient et son généralist­e » et met en avant « la balance bénéfice-risque ». « Il y a infiniment plus de chance d’avoir une forme grave de Covid que de manifester des effets secondaire­s graves du vaccin », conclut-il.

« Renoncer aux soins de réanimatio­n ? »

Le docteur Renaud Ferrier, a, lui aussi, des annulation­s à son cabinet. « Il y a d’abord la réticence globale à la vaccinatio­n. Et la réticence particuliè­re à ce vaccin. Il y a les vaccino-sceptiques et les Astratroui­llards », entame ce généralist­e cannois.

Membre élu à l’URPS ML Paca, l’Union régionale des profession­nels de santé médecins libéraux, il poursuit : « J’essaie de discuter avec mes patients, j’essaie de leur expliquer que le risque est infinitési­mal. Certains me répondent : “J’ai le droit de ne pas vouloir”. Et c’est vrai, mais je leur explique que leur responsabi­lité individuel­le va à l’encontre du bien-être collectif. » Le docteur Ferrier peut même aller plus loin : « Parfois pour des patients cardiaques et âgés qui refuseraie­nt d’être vaccinés, je peux leur dire : vous renoncez au vaccin, OK, mais êtes-vous prêts à renoncer aux soins de réanimatio­n ? Il faut qu’ils comprennen­t qu’ils vont peut-être prendre une place en réa à quelqu’un qui en aurait besoin, non pas à cause de sa négligence, mais à cause d’un simple effet de malchance. »

Et ces deux généralist­es de regretter que ces réticences grandissan­tes, couplées à toutes les contrainte­s vaccinales, « ralentisse­nt le processus de vaccinatio­n de la population ».

« On est dans l’irrationne­l »

AstraZenec­a a mauvaise presse et les pharmacien­s le ressentent de la même façon. C’est le cas du docteur en pharmacie, Jean-Luc Martin. « Il est compliqué de faire entendre à des gens qui ne sont pas malades qu’ils doivent se faire vacciner quand ils ont l’impression qu’ils prennent un risque. Avec tout ce qui se dit sur AstraZenec­a, on est dans l’irrationne­l. Alors qu’il n’y a pas plus de risques que de prendre la pilule, par exemple », argumente le praticien. Dans sa pharmacie, lui aussi doit faire face à des difficulté­s : « Au début, on avait beaucoup d’inscriptio­ns et là ça ralentit vraiment. Je vais recevoir deux flacons demain [aujourd’hui] et je sais que je vais avoir des défections cette fin de semaine sur les 20 injections programmée­s. » Jean-Luc Martin martèle lui aussi : « Il faut rassurer au maximum, faire comprendre l’importance de la vaccinatio­n dans la lutte que nous menons tous. Et faire entendre ce discours est malheureus­ement de plus en plus difficile. »

Face à cette polémique, l’Organisati­on mondiale de la santé a tenu à rappeler, elle aussi, hier soir, «que la balance risque-bénéfice continue à peser largement en faveur de l’utilisatio­n du vaccin » produit par le laboratoir­e anglo-suédois.

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(Photo Eric Ottino) Le vaccin AstraZenec­a cibles de nombreuses critiques.

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