Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Faut-il avoir peur du vaccin AstraZeneca ?
Des suspicions sont apparues sur de possibles effets secondaires rares mais graves chez des personnes vaccinées avec le sérum anglo-suédois. Les soignants martèlent la balance « bénéfice-risque »
Douze cas de thromboses « atypiques » rapportés en France sur des patients vaccinés à l’AstraZeneca. Des pays comme le Danemark ou la Norvège qui suspendent son utilisation. Et un membre de l’agence européenne du médicament (EMA) qui dévoile qu’on peut « désormais lier de manière claire » ces thromboses à l’injection de ce sérum. Une information rectifiée dans la foulée par l’EMA : « Nous n’avons pas encore abouti à une conclusion et l’examen est en cours ». AstraZeneca, distribué par le géant suédo-britannique, est sous le feu nourri des critiques, sujet à toutes les suspicions. Et donc à de nombreuses réticences.
De quoi désespérer les professionnels de santé engagés dans la lutte contre l’épidémie.
Ils voient de plus en plus de patients déprogrammer leur première injection de ce vaccin, autorisé en France pour les plus de 55 ans, en priorité avec comorbidités.
Vrai risque ou faux procès ?
« Globalement, les patients sont de plus en plus réticents à être vaccinés avec AstraZeneca », déplore Ladislas Polski, médecin généraliste et maire de La Trinité, dans les AlpesMaritimes. « Demain [aujourd’hui, Ndlr] j’ai programmé 10 patients et je sais que je vais probablement avoir des désistements », indique-til. Avec un flacon d’Astra, 10 injections peuvent être réalisées et pas question pour lui de gaspiller une seule dose. « Je m’arrange toujours pour appeler d’autres patients, toujours de plus de 55 ans, bien sûr, mais avec ou sans comorbidités », explique le docteur Polski.
Qui comprend, cependant, pourquoi certains Français ont de moins en moins confiance en ce sérum, le seul autorisé en France à ne pas être à ARN messager comme le Pfizer ou le Moderna. « Le discours très ferme du Président pour continuer à vacciner avec l’Astra alors que des pays avaient suspendu son utilisation, puis sa suspension une seule journée avant une reprise des injections, a affaibli la confiance dans ce vaccin. Les changements permanents ont pu nourrir les inquiétudes de certains et je le comprends », argumente-t-il. Il le comprend mais le « déplore ». Sans oublier, dit encore Ladislas Polski, « les rares événements survenus, comme la mort de ce jeune étudiant en médecine à Nantes, qui ont encore augmenté les réticences ». Il souffle : « Aujourd’hui, vacciner avec AstraZeneca sollicite beaucoup d’énergie et d’explications. » Il mise sur la « confiance entre un patient et son généraliste » et met en avant « la balance bénéfice-risque ». « Il y a infiniment plus de chance d’avoir une forme grave de Covid que de manifester des effets secondaires graves du vaccin », conclut-il.
« Renoncer aux soins de réanimation ? »
Le docteur Renaud Ferrier, a, lui aussi, des annulations à son cabinet. « Il y a d’abord la réticence globale à la vaccination. Et la réticence particulière à ce vaccin. Il y a les vaccino-sceptiques et les Astratrouillards », entame ce généraliste cannois.
Membre élu à l’URPS ML Paca, l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux, il poursuit : « J’essaie de discuter avec mes patients, j’essaie de leur expliquer que le risque est infinitésimal. Certains me répondent : “J’ai le droit de ne pas vouloir”. Et c’est vrai, mais je leur explique que leur responsabilité individuelle va à l’encontre du bien-être collectif. » Le docteur Ferrier peut même aller plus loin : « Parfois pour des patients cardiaques et âgés qui refuseraient d’être vaccinés, je peux leur dire : vous renoncez au vaccin, OK, mais êtes-vous prêts à renoncer aux soins de réanimation ? Il faut qu’ils comprennent qu’ils vont peut-être prendre une place en réa à quelqu’un qui en aurait besoin, non pas à cause de sa négligence, mais à cause d’un simple effet de malchance. »
Et ces deux généralistes de regretter que ces réticences grandissantes, couplées à toutes les contraintes vaccinales, « ralentissent le processus de vaccination de la population ».
« On est dans l’irrationnel »
AstraZeneca a mauvaise presse et les pharmaciens le ressentent de la même façon. C’est le cas du docteur en pharmacie, Jean-Luc Martin. « Il est compliqué de faire entendre à des gens qui ne sont pas malades qu’ils doivent se faire vacciner quand ils ont l’impression qu’ils prennent un risque. Avec tout ce qui se dit sur AstraZeneca, on est dans l’irrationnel. Alors qu’il n’y a pas plus de risques que de prendre la pilule, par exemple », argumente le praticien. Dans sa pharmacie, lui aussi doit faire face à des difficultés : « Au début, on avait beaucoup d’inscriptions et là ça ralentit vraiment. Je vais recevoir deux flacons demain [aujourd’hui] et je sais que je vais avoir des défections cette fin de semaine sur les 20 injections programmées. » Jean-Luc Martin martèle lui aussi : « Il faut rassurer au maximum, faire comprendre l’importance de la vaccination dans la lutte que nous menons tous. Et faire entendre ce discours est malheureusement de plus en plus difficile. »
Face à cette polémique, l’Organisation mondiale de la santé a tenu à rappeler, elle aussi, hier soir, «que la balance risque-bénéfice continue à peser largement en faveur de l’utilisation du vaccin » produit par le laboratoire anglo-suédois.