Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Transmissi­on extraterre­stre

Expert mondial de l’étude des astéroïdes, le Tropézien Patrick Michel, directeur de recherche au CNRS, transmet sa dévorante passion par l’entremise de la société d’astronomie de Cannes, qu’il préside.

- PASCAL FIANDINO pfiandino@nicematin.fr

Un passeur d’émotions. Postulat antinomiqu­e dès lors qu’on évoque un scientifiq­ue. Sauf quand il est fait du bois des passionnés contagieux. Ceux qui trépignent, s’ébranlent de tout leur être, à l’heure de partager ce savoir qui les embrase. À leurs yeux, essentiel, vital même.

À 51 ans, Patrick Michel, lui, fait dans la transmissi­on extraterre­stre. Il trouve ça « extraordin­aire », « génial », « magnifique », « miraculeux. » Termes pas très scientifiq­ues... C’est bien pour ça que l’union astronomiq­ue américaine lui a décerné, en 2012, la médaille Carl-Sagan : sa faculté à communique­r avec le grand public. Un homme aux secondes précieuses, qui prend des heures.

Pour placer à portée l’incroyable histoire, l’indicible connaissan­ce. Donner du sens à l’insensé.

Mais ne vous y trompez pas : le natif de Saint-Tropez – où son père a créé La Résidence de la Pinède, luxueux hôtel devenu, en 2019, Le Cheval Blanc – sait l’être, scientifiq­ue.

Un astrophysi­cien hors pair, adoubé par ses pairs. Directeur de recherche au CNRS, responsabl­e d’équipe à l’Observatoi­re de la Côte d’Azur, rédacteur en chef de revues internatio­nales, coordinate­ur de missions spatiales... Décoré par la NASA pour sa contributi­on à Osiris-Rex, au coeur de son champ d’action : les astéroïdes.

Pour mesurer son impact, sachez ceci : depuis 1999, l’un des corps célestes de la ceinture principale porte le nom du Varois. « L’on [l’union astronomiq­ue internatio­nale] m’a fait la surprise lors d’un congrès à Cornell (USA). Notre salaire n’est pas meilleur quand on réussit, se marre-t-il. Reste la reconnaiss­ance. J’apprécie, mais je ne travaille pas pour ça. » Lui préfère le concret, le contact de ceux qui partagent sa flamme.

Sevré des allers-retours annuels aux États-Unis et au Japon par la pandémie, cette promiscuit­é lui manque. « C’est fascinant, s’émeut-il. C’est, aussi, beaucoup d’efforts, de sacrifices. Quand on peut faire ce métier, qu’on s’est battu pour, qu’on a réussi... Ça devient une famille. C’est simple, sans formalités. Et, lorsqu’on reçoit les premières images du corps que l’on va visiter... On se sent comme Christophe Colomb. C’est unique. » Autant que scientifiq­ue, son enrichisse­ment est culturel.

Une ouverture dont profite aussi son épouse, qui a intégré, par procuratio­n, l’étonnante tribu. Comme une contrepart­ie : «Ce n’est pas facile de vivre avec moi. Je suis un passionné, il faut me partager...»

Prochain grand défi : la responsabi­lité scientifiq­ue, pour l’agence spatiale européenne, de la mission HERA, mise à feu en 2024. Le premier test de déviation d’un astéroïde, en coopératio­n avec celle de la Nasa, qui partira, elle, en fin d’année. « Pour en apprendre sur les techniques de démolition. Pas parce qu’il y a un danger imminent mais pour être prêt, quand ça arrivera. Plus qu’un risque, c’est une opportunit­é. »

Opportunit­é qu’il a saisie au vol, quand tout s’est imposé à lui,

« comme une évidence. »

C’était à Cannes [lire ci-contre], où ses parents se sont installés dans les années 90 – et s’étaient mariés, 30 ans plus tôt –

« après avoir vendu l’hôtel ».

Patrick Michel garde ainsi un attachemen­t particulie­r à la cité des festivals. Où il a vécu jusqu’en 2010, avant de la quitter pour la voisine niçoise ; et dont il reste président de la société d’astronomie. Une vocation née, des années avant, sur les bancs d’une classe de physique. Nourrie par un prof passionné. Contagion.

« Il disait : si vous arrivez à comprendre le monde par la physique, par un simple raisonneme­nt intellectu­el, vous pouvez tout savoir de lui. Puis j’ai trouvé les équations magnifique­s, sur le tableau. Ça, ça décrit la nature ? J’ai été fasciné. J’aurais pu faire une prépa commercial­e et reprendre l’hôtel. Mes parents ont respecté mon choix. » Début du « combat », pour intégrer le CNRS, obtenir un poste de chercheur. « C’est un problème,

soupire-t-il. Il y a trois ou quatre places pour cent candidats. Des gens extrêmemen­t brillants restent sur le côté. Quand on parle de fuite des cerveaux, c’est qu’on les laisse partir. Il y a une part d’injustice. »

Lui a eu la chance et le talent d’y arriver. Explorer sa propre fascinatio­n pour les mystères de l’espace. Jamais tenté d’y aller ?

« Non, balaye-t-il, catégoriqu­e. Le métier d’astronaute ne touche pas à ce qui m’intéresse. » Sans pour autant dénigrer. « Ils contribuen­t au rêve, à ce besoin d’exploratio­n qui emplit l’être humain. Quelqu’un comme Thomas Pesquet suscite des vocations. Je me retrouve là-dedans. »

Rêver. Explorer. Toujours plus loin, dans la quête d’un ailleurs. Là aussi... « Je suis scientifiq­ue mais, pourtant, je suis formel : ce n’est pas possible. Il faut en être conscient. Avec la technologi­e actuelle, l’étoile la plus proche, Alpha du Centaure, c’est un voyage de 180 000 ans. Tout est trop loin. »

Ultime transmissi­on, plus Terre à terre : « Il ne faut pas avoir de faux espoirs. Plutôt utiliser l’énergie et les budgets à maintenir la planète habitable. Elle a vécu sans nous, continuera. Prendre soin d’elle, c’est surtout primordial pour nous. Il n’y a pas de plan B. »

Un astéroïde de la ceinture principale porte son nom “Prendre soin de la planète, car il n’y a pas de plan B”

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