Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Patrick Michel : « Rêver, ce n’est pas un péché »

Directeur de recherche au CNRS, Patrick Michel revient, depuis l’Observatoi­re de Nice, sur l’aventure spatiale au coeur de la guerre froide et sur les perspectiv­es des missions à venir

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC

Thomas Pesquet : la vitrine. Derrière lui, une armée de chercheurs et d’ingénieurs éminents. Dont Patrick Michel, à Nice. Cet astrophysi­cien évoque les grandes heures de l’aventure spatiale, la prochaine mission sur la Lune et l’enjeu des décennies à venir : un vol habité à destinatio­n de Mars.

Gagarine… Qu’évoque ce nom dans votre culture et dans votre imaginaire ?

Un moment clé. Pour la première fois, l’homme parvient à s’extraire de la Terre. Réussir à quitter sa planète, c’est extraordin­airement compliqué. Mais c’est aussi, sur le plan symbolique, extrêmemen­t important.

Quel tournant ce premier vol habité représente-t-il dans l’aventure humaine ?

Jusqu’alors, les explorateu­rs traversaie­nt des océans pour aller découvrir de nouveaux territoire­s. Avec cette mission, pour la première fois, on a ouvert une route vers des territoire­s n’étant plus liés à la Terre. Le premier d’entre eux étant, évidemment, la Lune.

De Gagarine à Apollo , sept ans seulement. C’est allé incroyable­ment vite ! L’exploratio­n humaine de l’espace a bénéficié du contexte de la guerre froide. Cette course opposait deux mondes, l’un capitalist­e et l’autre communiste. Il s’agissait d’un enjeu politique et non pas de la science qui aurait entraîné l’engouement. Raison pour laquelle le budget consacré à l’exploratio­n spatiale a depuis ralenti, la motivation n’étant plus de même nature. Nous sommes passés de l’ère de la compétitio­n à celle de la coopératio­n. Qui a aussi un avantage, celui de mutualiser les moyens. C’est le cas pour la prochaine mission lunaire, pilotée par la Nasa mais avec la participat­ion de l’Agence spatiale européenne.

Que reste-t-il d’intéressan­t à explorer sur la Lune ?

Oh, il y a énormément de choses à faire sur la Lune ! On continue d’ailleurs à l‘explorer, sur des bases scientifiq­ues, avec des robots. Une mission chinoise est revenue en décembre avec , kg d’échantillo­ns. Une prochaine mission devant aller en chercher sur la face cachée. Grâce à ce qu’a rapporté Apollo, on a pu affiner l’hypothèse de la naissance de la Lune, résultant de l’impact d’un corps de la taille de Mars avec la Terre. Même si ce scénario est juste, la connaissan­ce de la façon dont il s’est produit nécessiter­ait d’avoir plus d’informatio­ns. Par ailleurs, la Lune est le meilleur témoin des impacts passés dans le système solaire interne, parce qu’elle en garde toutes les traces. Les cratères que l’on voit sont un enregistre­ment de ce qui s’est passé pendant les  derniers milliards d’années. Alors que sur Terre, ces traces s’effacent. L’érosion, deux tiers d’eau, la tectonique des plaques… Donc, pour comprendre, il est utile d’aller chercher d’autres échantillo­ns, plus jeunes et plus anciens.

L’avenir des missions est à l’homme ou au robot ? L’avantage d’un homme, c’est qu’il est plus flexible dans la possibilit­é d’interagir avec la surface. Mais le coût n’est pas le même. Envoyer un robot, c’est mille fois moins cher. Et le risque n’est pas le même.

À quand le prochain humain sur la Lune ?

Ce devrait être une femme, et Trump avait parlé de . La date ne sera pas celle-là, mais la Nasa travaille sur un lanceur. L’idée étant de construire une base lunaire, ce que l’Agence spatiale européenne appelle le « Moon Village ». Un équivalent de la Station spatiale internatio­nale tournant autour de la Lune. Pour y installer des télescopes permettant de s’affranchir de l’atmosphère terrestre. Pour disposer aussi d’une base afin d’exploiter les ressources. Et pour en faire un relais vers d’autres destinatio­ns. Le premier volet de cette mission devrait se concrétise­r dans le courant de la décennie.

Pourquoi un tel délai ?

La technologi­e a changé, il faut donc tout requalifie­r. Par ailleurs, le niveau de risque que ces équipages ont pris, c’est incroyable. C’était de l’artisanat. On ne l’accepterai­t plus. Aujourd’hui. On choisit de tout consolider et cela prend un temps fou.

Que reste-t-il du rêve ?

La part du rêve est fondamenta­le. Quand on élabore un programme dans les agences, le volet communicat­ion est très important. Nous en avons un bel exemple avec la mission Juno, actuelleme­nt sur Jupiter. Elle a été dotée d’une caméra sans nécessité scientifiq­ue. Pour le public. Et qui fournit des images extraordin­aires : tapez « Juno », « Jupiter » et allez voir les images, on dirait des tableaux de maître. Fabuleux ! Ça fait rêver. Ça donne envie. Envie de comprendre, envie d’apprendre. L’intelligen­ce humaine, quand elle se met au service des connaissan­ces, est capable de prouesses exceptionn­elles. Il faut mettre ensemble des gens passionnés n’ayant pas peur des risques et sachant travailler en équipe.

Ce que Thomas Pesquet incarne aussi. Et il repart…

Oui, ses photos avaient aussi pour but de montrer la beauté de notre planète. Un bijou auquel il est important de faire attention. Thomas repart, en plus il sera commandant de bord pendant une partie de la mission. C’est très bien. Il est, en plus, un bon communican­t. Qui a compris comment fonctionne­nt les réseaux sociaux. Il suscite des vocations et montre un exemple de courage. Parce qu’il en faut, pour monter dans une fusée. Même entraîné.

Quand on reste au sol, pas de frustratio­n ?

Aucune. Je rêverais de me transférer en une fraction de seconde à bord de l’ISS. Mais autant je suis prêt à tous les sacrifices pour élaborer une mission, autant je ne suis pas fait pour m’entraîner. Même si l’astronaute est une super vitrine. Tout ceci relève d’une grande communauté dans laquelle chaque rouage compte.

Quelques hurluberlu­s contestent la réalité de l’homme sur la Lune…

Pitié… Toutes ces théories de la conspirati­on relèvent d’un problème psychologi­que. Des individus ont cette personnali­télà qui fait que, quoi qu’on leur explique, ils diront que c’est faux. Pour ce public, on ne peut rien. Tandis qu’une autre fraction de la population a besoin d’être éduquée. Des gens qui sont prêts à croire à tout parce qu’ils ont le minimum de culture permettant de comprendre, mais pas d’interpréte­r. Et ça, c’est dangereux. On trouve sur leurs sites des trucs par lesquels on peut se laisser convaincre. Mais dès lors que l’on a cette culture, toutes les réponses existent. Un jour, des conspirati­onnistes sont venus me voir à la fin d’une conférence. Je leur ai expliqué que, depuis le plateau de Caussols, à Nice, on mesure au laser la distance Terre-Lune au centimètre près. Soit des êtres humains ont installé des réflecteur­s sur la Lune, soit ce sont des extraterre­stres qui l’ont fait. Entre ces deux options, je leur ai suggéré de choisir la moins absurde.

Rêver, mais pas délirer ?

Bien sûr. C’est ce que j’aime chez des gens comme Elon Musk. Rêver, ce n’est pas un péché. Ne mettons pas de limites à nos rêves. On n’en accomplira peutêtre que  %. Mais au final, on aura avancé.

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(Photo Franck Fernandes) « Ne mettons pas de limites à nos rêves », suggère l’astrophysi­cien.

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