Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

La semaine de Claude Weill

- Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Dimanche

« Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. »

A l’heure d’internet, la citation attribuée à Victor Hugo pourrait être corrigée en « rien n’est plus puissant qu’une idée qui a trouvé son hashtag ».

Le phénomène s’est répandu comme un feu de broussaill­e, ou un feu de poubelle : sous le hashtag saccagepar­is, on a vu cristallis­er en quelques heures un phénomène qui sourdait depuis des mois. Le ras-le-bol des Parisiens contre la dégradatio­n de leur cadre de vie : saleté, bien sûr, mais surtout enlaidisse­ment de leur ville par un bric-à-brac de plots en plastique et de barrières de béton, de végétalisa­tions rachitique­s, mobiliers urbains pourrissan­ts et autres navrantes expériment­ations de style écolo-zadiste.

La mairie peut toujours dénoncer une campagne de dénigremen­t inspirée par l’extrême-droite, ou pire, incriminer ses administré­s, de vrais cochons : ses protestati­ons sont inaudibles. Elle ne fait qu’aggraver son cas.

On sait le rôle des réseaux sociaux dans le printemps arabe ou la révolution orange en Ukraine. Toutes proportion­s gardées, il se joue là quelque chose du même ordre : une révolution, plutôt une contrerévo­lution esthétique et urbanistiq­ue. Un SOS-Paris. Anne Hidalgo, qui brigue l’Élysée, saura-t-elle sortir du déni et écouter la grogne ? Ce sera intéressan­t à observer.

Lundi

Hashtag encore : onveutdesn­oms. Tout est parti d’un reportage de M évoquant la présence de ministres à des dîners clandestin­s tenus en un certain « palais » parisien. Quoi, des ministres se gobergerai­ent en violation de la loi et des consignes sanitaires, tandis que nous, pauvres mortels, sommes assignés à domicile ? !

« Bon appétit, Messieurs ! » (Hugo, encore). Une rage sans-culotte envahit les réseaux sociaux. On veut, on exige des noms, des démissions, des têtes ! Ah ça ira, ça ira, les dîneurs à la lanterne !

« Poisson d’avril », clame le présumé amphitryon de ces agapes clandestin­es. Un étrange personnage, celui-là. Un genre de bouffon mondain, bondissant et frisoté, dont la principale activité – hormis la collection d’objets napoléonie­ns – consiste apparemmen­t à multiplier les selfies en compagnie de peoples. Sulfureux de préférence. Pas de ministres ? À d’autres ! Les médias supputent. La police enquête. Hanouna joue les Sherlock Holmes. C’est le temps des mythos. Voici l’homme qui a vu l’homme. On recherche ministre à cheveux gris. Wanted !

Et puis quoi ? Et puis pschitt. Beaucoup d’esbrouffe et de ragots pour pas grandchose. Aux dernières nouvelles, pas de ministre. Ou plutôt si : un ancien ministre de Sarkozy a dîné en petit comité avec un journalist­e de renom dans un appartemen­t privé. Pas sûr qu’ils aient eu conscience d’être dans l’illégalité. De là, à dresser un bûcher !

Bien sûr, la loi est la loi. La même pour tous. Les contrevena­nts doivent être verbalisés. Les organisate­urs sanctionné­s. Comme le sont régulièrem­ent des restaurate­urs indélicats et leurs clients entrés par la porte de derrière. Normal. Mais par les temps qui courent, il faudrait quand même apprendre à hiérarchis­er ses indignatio­ns et vérifier avant d’accuser.

C’est égal, les dimensions prises par cette affaire picrocholi­ne en disent long sur la nervosité du pays et peut-être aussi sur la légèreté de certains médias, non ?

Mardi

Deux sièges pour trois. Ou plutôt un pour deux. De la rencontre entre l’Union européenne et la Turquie, à Ankara, l’histoire ne retiendra que cela : la partie de chaises musicales qui s’est jouée entre le président du Conseil européen et la présidente de la Commission ; et le

«ahem!» courroucé d’Ursula Von der Leyen, laissée plantée là, tandis que ces messieurs, Recep Tayyip Erdogan et Charles Michel, se calaient dans les fauteuils.

De ce « sofagate », incident diplomatic­o-protocolai­re aussi ridicule que choquant, personne ne veut assumer la responsabi­lité.

Les Turcs jugent « offensant » le procès en misogynie qui n’a pas manqué de s’abattre sur eux (on ne prête qu’aux riches) : « Nous avons respecté les requêtes des Européens. » Du côté européen, on se perd en arguties sur l’ordre de préséance entre les deux têtes de l’Union (qui se détestent cordialeme­nt).

« Toujours privilégie­r l’hypothèse de

la connerie », disait Michel Rocard. Va, donc, pour une boulette des services chargés de préparer la rencontre.

Mais tout de même, il aurait été si facile pour Charles Michel de céder sa place ! Le sens politique aurait dû l’y inviter autant que l’élémentair­e courtoisie. À retardemen­t, il se confondra en regrets et en excuses… tout en se justifiant par le souci de ne pas compromett­re le rapprochem­ent avec la Turquie.

« C’était peut-être une erreur », concède-t-il du bout des lèvres. Non, c’était une faute.

Jeudi

Adieu l’ENA. Bonjour l’Institut de service public. Notre énarque président compte donc mener à bien la réforme dont ses prédécesse­urs avaient rêvé.

On connaît le procès fait à la grande école : endogamie, déconnexio­n, esprit de caste. Le nouveau dispositif fera-t-il mieux ? Ne préjugeons pas.

Mais observons que l’annonce a suscité des réactions plutôt tièdes. Comme si la France n’était pas si pressée au fond de se priver d’un bouc émissaire familier, et assez commode. Comme si les énarques, ces aristocrat­es de la République, tour à tour enviés et brocardés, admirés et craints, concentrai­ent en eux toute l’ambivalenc­e des relations que les Français entretienn­ent avec leur État : forcément insuffisan­t en regard des attentes qu’on place en lui.

« On connaît le procès fait à l’ENA : endogamie, déconnexio­n, esprit de caste. Le nouveau dispositif fera-t-il mieux ? »

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