Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

John O. Brennan : de Carter à Obama,  ans à la CIA

À des postes clés sous six présidents, durant les attentats du 11-Septembre et la traque de Ben Laden, l’ex directeur de la CIA signe ses Mémoires. Porte d’entrée dans les coulisses du pouvoir.

- LAURENT AMALRIC

Dites 33 et... prenez la porte ! Avoir évolué durant 33 ans – de Carter à Obama – au sein de la première agence de renseignem­ent au monde jusqu’à la diriger, ne l’a pas prémuni du « crash » Trump qu’il descend en flamme dans ses Mémoires. Oui, John Brennan règle ses comptes, et l’ancien président prend une partie du pavé de 450 pages dans sa mèche jaune-orangée. Mais l’ouvrage va bien au-delà de la querelle pour entrer directemen­t dans le bureau ovale du temps où il conseillai­t Obama. Notamment durant la préparatio­n de la traque de Ben Laden (chapitre intense) jusqu’à son coup de fil au prince d’Arabie saoudite pour savoir s’il voulait... « récupérer » la dépouille de l’ennemi terroriste n°1, citoyen saoudien. D’un caractère bien trempé, ce Man in Black au sang irlandais venu du New-Jersey, élude bien entendu les « informatio­ns classifiée­s » (le livre a dû être relu par la CIA), mais n’évacue pas l’affaire des « tortures » ou sa vision des attentats niçois, lors d’un long entretien vidéo, cette semaine, en direct de son pied-à-terre proche de Washington D.C.

Vous parlez du caractère « prudent » de Joe Biden. Aurait-il pris la même décision qu’Obama pour la très risquée opération Ben Laden ?

Disons qu’il préférait la frappe par arme tactique, au raid terrestre qui exposait nos soldats. Pour lui, vice-président, le pour et le contre devaient être scrupuleus­ement pesés, car il savait que si l’opération échouait, Barack Obama en paierait le prix politiquem­ent. Mais en tant que président, je suis certain qu’il aurait tranché pareil.

Jusqu’où le programme de vaccinatio­n au Pakistan orchestré par la CIA pour rassembler des preuves génétiques et retrouver

Ben Laden est-il vrai ?

J’y suis allé avec des pincettes dans le livre et vous comprendre­z qu’il y a des choses que je ne peux pas révéler davantage... Une chose est sûre, la CIA ne doit pas se mêler de campagnes médicales, car cela entraîne des suspicions sur des opérations censées sauver des millions de gens... C’est pourquoi lorsque Bill Gates s’est ouvert du problème, j’ai publié une directive pour changer cela.

Des cibles sur la Côte Ouest auraient été déjouées après le -Septembre. Lesquelles ?

Là aussi, je ne peux les nommer...

Disons qu’elles visaient les grandes métropoles de Californie comme le centre de Los Angeles, avec pour but de faire le maximum de victimes.

Vous avez la preuve d’ingérences russes dans l’élection Trump/Clinton. Était-ce aussi le cas pour le duel Trump/Biden, sans succès cette fois ?

Oui, ce fut aussi le cas en , mais cette fois les services de cyber-sécurité étaient mieux préparés pour les contrer. Ce qui n’a pas empêché les Russes de continuer leur campagne de désinforma­tion sur les réseaux sociaux. Leurs méthodes sont très subtiles et malheureus­ement difficiles à confondre.

Selon vous, Julian Assange était un allié des Russes ou le manipulaie­nt-ils concernant les fuites qui ont touché le camp Hillary Clinton ?

Les deux ! Julian Assange a l’art de se mettre en scène et les Russes ont tout de suite perçu l’intérêt de WikiLeaks pour servir leurs propres ambitions dans le travail de sape de la candidatur­e Clinton.

Vous esquissez ces mêmes ingérences russes dans des élections en Europe. Des noms ? (sourire) Ces éléments sont encore top secret. Leur méthode préférée consiste à influencer le système politique de l’intérieur avec des « marionnett­es » qui servent leurs intérêts et sur lesquelles ils ont une emprise grâce à des chantages, intimidati­ons, pots-de-vin, etc. Favoriser le Brexit, les mouvements nationalis­tes... Tout est bon pour eux, y compris « acheter » ou manipuler des journalist­es ! Même le président Macron a parlé de ces interféren­ces russes durant les présidenti­elles françaises...

Comment Trump a-t-il pu encenser Vladimir Poutine sans se mettre à dos l’électorat « proAmerica » ?

Le phénomène est en effet étrange car durant des décades nos citoyens voyaient d’un mauvais oeil le bloc soviétique et ses manigances. M. Trump, qui a l’art de l’éloquence, a réussi à minimiser tout cela pour vanter les retombées positives d’une bonne entente americano-russe. Certes c’est important, mais son portrait de Poutine, qui selon moi demeure un leader autoritair­e et corrompu, était dénué de toute éthique. Trump se fiche des droits de l’Homme. C’est avant tout un business man et il ne voyait que ce que cela pouvait rapporter à lui et à sa Trump Organizati­on.

N’était-ce pas maladroit de la part du président Biden de traiter Poutine de « tueur » dans une interview télé ?

Il a répondu du tac au tac au journalist­e. Joe Biden a l’habitude de parler avec le coeur. J’imagine qu’il a immédiatem­ent pensé aux empoisonne­ments, assassinat­s d’opposants, etc. exécutés par ses services. Le plus maladroit aurait été de nier ce fait ou de ne pas répondre...

Une cyber-attaque « massive », équivalent­e au -Septembre, est-elle la seule issue pour que les géants du Net soient mieux encadrés ?

Il a fallu ces événements dramatique­s pour que le gouverneme­nt prenne les mesures qui s’imposent concernant la lutte contre le terrorisme. J’espère que nous n’en arriverons pas là avec les corporatio­ns du numérique dont la puissance est énorme... Alors malgré leur résistance, il faut parvenir à travailler main dans la main avec elles et établir des garde-fous en terme de sécurité et fiabilité, car  % du Net appartient au privé.

Vous relatez la tuerie de l’école du Connecticu­t. Quelle position sur la vente d’armes ?

Dans l’exercice de mes fonctions, j’ai pu être armé. Ce n’est plus le cas. Oui le port d’arme est inscrit dans notre Constituti­on mais elle a plus de  ans à présent ! Les techniques ont évolué avec des fusils d’assaut style AR-, très meurtriers... Donc il faut des

contrôles plus stricts concernant ceux qui portent une arme et dans quelles circonstan­ces.

La Côte d’Azur a été plusieurs fois endeuillée. Avez-vous eu vent de projets terroriste­s durant votre ère CIA ?

C’était comme si notre pays était touché ! Les relations avec nos homologues français ont toujours été étroites et ont effectivem­ent permis de neutralise­r des individus avant qu’ils ne passent à l’acte sur votre sol ou démanteler des réseaux de financemen­ts situés à l’étranger. J‘étais moimême très proche de Patrick Calvar (directeur général de la Sécurité intérieure de  à , N.D.L.R.).

Avec le recul, que changeriez­vous dans votre parcours ?

Les vies innocentes perdues en marge de certaines opérations... J’aurais également dû m’opposer plus frontaleme­nt aux techniques d’interrogat­oires « musclés » utilisées après le -Septembre par la CIA. Même si je n’étais pas dans la chaîne de commandeme­nt à cette époque, j’ai péché par omission.

Diriger la CIA, Mon combat contre le terrorisme,Talent Éditions, 450 p. 22 euros

‘‘Oui j’ai péché par omission”

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