Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Avec Dive, un Toulonnais invente le jeu de plongée
Ancien professeur d’anglais, Anthony Perone s’est lancé dans le jeu de société il y a trois ans. Son troisième opus sort dans le monde entier demain et quatre autres sont déjà signés.
L’Europe ce lundi, puis le Canada, les États-Unis, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Chine… Les joueurs du monde entier vont pouvoir mettre un autre masque et des palmes pour plonger dans les profondeurs d’un jeu esthétiquement très réussi et à l’originalité avérée. « C’est un jeu totalement novateur dans sa mécanique et dans le matériel utilisé, avance Romain Bré, blogueur varois du Labo des jeux qui a pu tester Dive en avant-première. Il y a un travail fantastique sur le graphisme et il se crée une émulation autour de la table ».
Derrière ce petit bijou rayonnent non pas un, mais deux Toulonnais : Romain Caterdjian et Anthony Perone. Si le premier nommé vit à Taïwan, le deuxième tient depuis peu et pour quelques mois la boutique JEUxDREDI à Hyères. À 32 ans, Anthony mène une vie remplie de virages, de nids-de-poule et de belles courbes plongeantes. Entre hésitations et révélations.
La création, une évidence
Dans la musique d’abord avec le groupe Joy Harvee (blues/rock/ psyché) qui écume les scènes locales entre 2013 et 2014. Le goût de la création, déjà. Il valide un
Master en civilisation et rédige un mémoire sur l’émancipation de la musique afro-américaine dans les années 1920, part faire le tour du monde pendant un an avec son meilleur ami, travaille dans une ferme dans le Mississippi, revient tenir une supérette en avril à Porquerolles. Craquage.
Un mois seulement pour préparer le Capes d’anglais. Banco ! Il se classe 55e national. Septembre 2014, il endosse le costume de prof au lycée Rouvière de Toulon. Puis vient la révélation du jeu. « Je découvre Mysterium , un Cluedo moderne. Moi qui venais du jeu vidéo, enfermé dans ma chambre, je vis un moment d’émotion et de communion. Je prends une claque. »
L’Éducation nationale l’envoie exercer dans le Pas-de-Calais. Il s’improvise scratcheur compulsif
(1) dans les soirées. Deux ans plus tard, il est muté dans un collège Rep + de Marseille. Il est temps de réaliser l’alchimie entre la révélation et l’action.
Il ambitionne de faire un jeu de rallye (son père André est un ancien coureur automobile) mais se pose un problème technique : comment reproduire la sensation du paysage qui défile ? C’est là que germe l’idée de la transparence. Il découpe des feuilles de rétroprojecteur, dessine des arbres et empile les tuiles. Ça marche ! L’idée évolue ensuite vers une course-poursuite dans une forêt pour échapper à une sorcière.
Jeune espoir à Cannes
Février 2019, festival international du jeu de Cannes. Anthony Perone y présente son deuxième jeu, Formz et rencontre Romain Cartedjian, qui vient de sortir 13 Couronnes chez le même éditeur. Les deux hommes se retrouvent sur le port de Toulon pour parler de leur passion commune. Anthony lui présente son projet « transparence ». La connexion est établie avec son désormais partenaire qui évoque sa vie d’expatrié en Chine et à Taïwan.
Anthony est subjugué. Sur son corps tatoué, un Sanguku et son voisin de jambe, Totoro, témoignent de son amour inconditionnel pour le Japon et les mangas. Difficile retour à la réalité. « Professionnellement, j’étais en train de craquer, se rappelle-t-il. Les élèves étaient en difficulté et auraient tellement eu besoin que je leur apporte autre chose que de l’anglais ». Il quitte l’Éducation nationale. On le retrouve vendeur à La Crypte du jeu à Marseille.
Pendant huit mois, il découvre et teste tous les jeux qui lui tombent
dans les mains. « Je me suis fait une culture. » En août, il s’envole pour Taïwan afin de travailler avec Romain sur son jeu en devenir.
Taïwan, appel de l’âme
« Pendant un mois, je loge dans une auberge de jeunesse à Taïpei, la ville au monde où il y a le plus de bars à jeux. Là, on trouve l’idée de la plongée, toute la mécanique du jeu et je tombe complètement amoureux de Taïwan. C’était un appel de l’âme ». Une virée au Japon – « stressant et étouffant »– le confirme dans son choix. Il revient s’installer sur l’ancienne Formose. Et rentre en Europe pour participer aux festivals d’Essen (Allemagne) puis Cannes, en février 2020. La pandémie de Covid19 gagne la partie. Taïwan ferme ses frontières. Game over.
« On a continué à travailler à distance avec notre éditeur et une usine chinoise qui fabriquait le jeu. On recevait des échantillons et on testait la transparence des tuiles. On faisait ajouter des filtres, des couleurs… » Fin 2020, Dive est bouclé et part en production. L’éditeur belge « Sit Down ! » met le paquet avec un premier gros tirage de 20 000 boîtes pour des ambitions élevées : séduire un large public et pourquoi pas le festival d’Essen qui remet le prestigieux Spiel des Jahres, l’équivalent d’un Oscar pour le meilleur jeu de l’année. « Ce serait incroyable mais faire partie de la longue liste des vingt meilleurs jeux serait déjà énorme ! », clignote le Varois. Une simple nomination au Spiel et ce sont des centaines de milliers de boîtes rééditées et l’assurance pour son auteur de s’installer durablement dans un milieu où ceux qui en vivent pleinement ne sont pas légion.
Statistiquement, la plupart des créateurs n’en sortent qu’un seul dans leur vie… « J’aimerais tellement en vivre », glisse l’auteur de Dive qui, pour l’heure, alterne création, vente à la boutique de jeux d’Hyères, charpenterie familiale et une mission confiée par Taïwan boardgame design : convaincre des éditeurs français d’importer ses jeux. Un sésame pour décrocher un contrat de travail sur l’île de ses rêves. Et accompagner la sortie de quatre nouveaux jeux jusqu’en 2022.
Savoir +
Dive édité par « Sit Down ! » Prix : 30 €. Disponible dans les boutiques de jeu L’Atanière à Toulon, JEUxDREDI à Hyères et sur philibertnet.com.
Ses autres jeux : Knock Knock Dungeon et Formz.