Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Romain Gressler, de l’affaire Yann Piat à la réinsertion
Vingt-sept ans après avoir été condamné pour complicité dans l’assassinat de la députée du Var, celui qui est devenu Pagan, un artiste de slam raconte, pour la première fois, son parcours.
Àl’heure où le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti fait de la réinsertion une priorité, Romain Gressler brise le silence vingt-sept ans après l’assassinat de la députée Yann Piat. Celui qui, le 25 février 1994, fut un des maillons de la « machine » qui a conduit au drame raconte son parcours de « réinséré » dans L’Encre de la liberté (Éd. La Boîte à Pandore) coécrit avec le journaliste Max Clanet. Rencontre avec un homme de 47 ans qui revient de loin. En 1994, il est le benjamin des « bébés killers ». Il a 19 ans et il est embarqué dans un engrenage criminel jusqu’à être condamné pour complicité devant la cour d’assises du Var à 15 ans prison. Il en fera 11 et sera libéré par pour bonne conduite comme le veut la formule mais parce qu’un procureur général a constaté une force expiation d’un homme qui a choisi de tourner le dos à la délinquance. À 47 ans, Romain Gressler devenu Pagan, artiste de Slam, pèse le sens des mots pour témoigner de son lourd parcours et vient anéantir les tant fantasmées pistes politico-mafieuse.
■ Une rencontre un soir de Fête de la musique
Aux prémisses de la rédaction d’un livre, il y a une rencontre avec Max Clanet. La rencontre d’un ancien taulard qui fait du slam dans la rue un soir de Fête de la musique et d’un ex-homme de loi devenu journaliste. Au-delà des préjugés, les deux hommes vont débuter une discussion qui ne va jamais s’arrêter… « Il m’a raconté son histoire. Celle d’un homme au passé un peu lourd, difficile qui est devenu artiste de slam. C’est cette histoire que l’on raconte. Ce n’est pas un livre sur l’affaire Yann Piat », commente le journaliste.
De son enfance chaotique à l’embrigadement à l’école de la délinquance, de son rôle dans le meurtre de Yann Piat à la prison, jusqu’à sa furieuse envie de réinsertion, Romain Gressler n’élude rien.
■ La bande des « bébés killers »
En 1994, la France découvre les visages juvéniles des membres de la fameuse bande du Macama , du nom d’une brasserie du port d’Hyères où ces jeunes se rassemblaient autour du boss des lieux, Gérard Finale. Commanditaire de l’assassinat, le cafetier sera condamné en juin 1998 à la réclusion criminelle à perpétuité, comme le tireur Lucien Ferri. Marco Di Caro, le pilote de la moto, prend 20 ans de prison.
Trois autres complices, dont Romain Gressler, n’échappent pas à la justice, encore moins à la prison.
Mais comment de jeunes hommes se sont-ils retrouvés unis dans un dessein criminel ? « Dans la vie, il y a des rencontres charnières » ,décrypte Romain Gressler. «Onavait tous des vies familiales chaotiques. Je dis cela sans esprit de victimisation car des gens qui ont vécu des événements traumatisants avec des vies familiales chaotiques, il y en a des milliers, des millions. Avec cette bande, on a eu ces points communs là, ce désespoir profond de non-reconnaissance et ce sentiment prédominant d’abandon ».
Le quadragénaire évoque l’effet de groupe. « Il y a cet effet qui fait qu’un individu n’est plus un individu mais un membre de la meute. Il y a un membre alpha et une espèce de hiérarchie naturelle s’instaure. C’est intrinsèque à la nature humaine. Il n’a pas fallu grandchose pour que tous ces instincts primaires, ces sentiments, ces ressentiments à l’âge de l’adolescence – période où on est sur le fil du rasoir – se rassemblent. C’est une sorte d’équilibrisme psychologique dans lequel on a basculé du côté obscur de ce que peut être l’âme ou les pensées d’un individu ».
■ « Responsables de nos actes »
Pour le Varois, un contexte familial difficile n’explique pas à lui seul le choix de la délinquance. « Nous sommes responsables de nos actes. En tant qu’individus, nous avons fait nos propres choix. Le basculement était logique. Livré à soimême, à traîner dans la rue. Les copains, les copines. On commence à faire l’intéressant, à fumer une cigarette, à voler un poste de radio dans une voiture, une moto, à fréquenter des gens plus âgés, plus installés dans une criminalité, une violence ». Et d’ajouter : « La violence, c’est quelque chose que nous connaissions dans notre entourage familial. On a été abordés, recrutés, séduits par des gens qui nous apportaient des intérêts qu’à ce momentlà nous n’avions pas ».
■ L’assassinat
Ce 25 février 1994, Romain Gressler fait le guet en pensant surveiller quelqu’un qui possède une sacoche d’argent. Ce quelqu’un, c’est Yann Piat, la députée de la circonscription d’Hyères, qui sort de sa permanence dans le centreville pour rejoindre sa villa sur les hauteurs de la cité des palmiers, avec son attaché-case en main.
« C’était, à cette époque, on vivait de délinquance et de larcins... » ,reconnait-il. Au fil des pages de
L’Encre de la liberté, on découvre comment la petite équipe du Macama répondait aux commandes de Finale. Des cambriolages la plupart du temps en échange d’une centaine de francs.
« Je me suis donc retrouvé à suivre deux personnes dans une voiture et, le lendemain, en ouvrant le journal Var-matin, en regardant la télévision, j’apprends que tout ceci était destiné à cet objectif-là ». Des liens avec la « mafia » ou un contrat « politique » ? Le vécu de la bande du Macama en est loin. De la délinquance à l’état brut, assurément, découvre-t-on. Avec un jeune leader de bande prêt à tuer pour gravir un échelon.
Lorsque Romain Gressler découvre l’horreur, il sait que ses jours de liberté sont comptés. «Jesuis un ado de 19 ans qui se dit que la vie ne sera plus jamais la même. Inconsciemment, on attend l’arrestation. Ce n’est plus de l’insouciance, c’est de l’inconscience. On sait que l’arrestation est inévitable ».
■ « On n’avait pas de rêves. C’est le problème »
Dans le huis clos de sa cellule, l’homme a, durant onze ans, fait le bilan de ses premières années de vie. Quand on lui demande s’il avait des rêves à 19 ans, il réagit immédiatement. « Je crois que c’est ça le problème… On n’avait pas de rêves. C’est là que les choses sont douloureuses quand on fait un travail de rétrospection. Ce qui secoue le plus lorsque je pense aux 19 premières années de ma vie, c’est ce manque de rêves. On était passé dans le domaine du fantasme ». C’est pour cela qu’il tient à faire des concerts-débats et à intervenir auprès de jeunes par le biais de l’association Tandem « pour qu’ils sachent faire la différence entre le rêve et le fantasme. Malheureusement, l’adolescence est une période où l’on peut très vite confondre les deux. On peut prendre des réverbères pour des étoiles ».
■ La prison ? « Comme une chance à saisir »
Si la prison fut son purgatoire, elle fut aussi, l’admet-il, son salut. «Je suis par nature quelqu’un de très indépendant et solitaire et, étant donné que je m’entends bien avec moi-même, je peux me retrouver facilement isolé, sans que cela me dérange outre mesure. Cela a été un moyen mis à ma disposition pour avancer », commente-t-il. «Aulieu de voir cette mise à l’écart comme une punition, je l’ai vécu comme une chance à saisir. Les faits sont abominables. Il y a eu des victimes, des victimes collatérales qui sont nos familles. On aurait pu tous finir dans un caniveau criblé de balles aussi. ».
En juin 1998, lors du procès, il est le seul à présenter des excuses à Jo Arnaud, le chauffeur de Yann Piat, blessé, lors des tirs et à la famille de « Madame Piat ». «Je sentais qu’assumer, c’était pouvoir, en tant qu’homme, se lever et exprimer mes excuses. Ce passage de l’adolescence à l’âge adulte, pour moi, il s’est passé dans une cour d’assises. Le fait de me lever et d’assumer publiquement et de demander pardon le plus sincèrement du monde, je pense que c’était mon passage obligé ».
■ Sauvé par la littérature
La découverte du slam en prison n’a rien de hasardeux ou d’original pour le quadragénaire. « J’ai été conditionné au verbe et aux mélodies. Certains livres ont été des déclencheurs extraordinaires, comme Pensées pour moi-même de Marc Aurèle, Du contrat social de Rousseau » .Ilcitealors: «La force a fait les premiers esclaves et que la lâcheté les a perpétués ».
Des mots qui résonnent. « Quand, à 20 ans, on se retrouve en détention, encore plus en quartier d’isolement pendant 22 mois et que l’on sort deux heures pas jour, ce genre de phrases là prend tout son sens. Imaginez : à 600 détenus contre une centaine de surveillants, si on voulait vraiment s’évader, on serait tous partis en courant vers les murs. Comme je ne suis pas fan de ce genre d’exercices qui pourrissent la vie encore plus, je me suis dit que cela serait bien de s’évader en écrivant et en pensant à autre chose ».
« Je réponds toujours que je ne vais pas me plaindre car personne n’y croirait. Je me suis battu pour me fabriquer cette vie-là et pour me fabriquer ces centres d’intérêt là, des projets et un environnement familial et amical ».
■ Et maintenant ?
Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de sa réinsertion, il marque une pause. « Je réponds toujours que je ne vais pas me plaindre car personne n’y croirait. Je me suis battu pour me fabriquer cette vie-là et pour me fabriquer ces centres d’intérêt là, des projets et un environnement familial et amical » .Pas pour oublier mais pour avancer.