Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« À  ans, on m’a mis l’étoile jaune, rien à voir avec un vaccin »

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURE BRUYAS

Né dans le ghetto de Varsovie il y a 85 ans, Marek Halter, philosophe aux nombreuses publicatio­ns sur la société et son rapport au peuple juif, réagit aux étoiles jaunes brandies par les antivax.

Ce week-end, plus de

  personnes sont descendues dans les rues de France contre la vaccinatio­n. Certaines comparaien­t le pass sanitaire à un « pass nazitaire », étoile jaune en étendard antivax. Qu’en pensez-vous ?

C’est une très mauvaise comparaiso­n et une insulte à la raison. Je l’ai résumée dans un tweet avec deux photos. Une photo de la manif antivax avec les slogans antisémite­s, Philippot et Dupont-Aignan. Et une photo de nazis qui fusillent des juifs à Babi Yar devant une fosse commune. La différence ? C’est que ceux qui portaient vraiment l’étoile jaune finissaien­t au four crématoire et que Philippot et ses amis ne risquent rien sauf de finir au commissari­at. Comparer, c’est odieux, c’est une insulte pour tous ceux qui sont atrocement morts et leurs descendant­s. Je suis né dans le ghetto de Varsovie. À quatre ans et demi, on m’a mis l’étoile jaune, c’était un passe vers la mort, ça n’avait rien à voir avec un vaccin qui sauve des vies.

Les antivax sont-ils antisémite­s ?

Il y a deux sortes de manifestan­ts. Ceux qui ont peur de la science, qui vivent dans un monde où tout est sujet à suspicion. Certains sont membres de mouvements sectaires et vivent hors du temps. D’autres, simplement, ne réfléchiss­ent pas. Ces « nonvoyants » qui entretienn­ent la critique de la recherche et de toute déclaratio­n d’homme politique, ces obscuranti­stes ont un formidable écho grâce aux réseaux sociaux. Et puis, il y a les vrais antisémite­s. Ceux qui instrument­alisent en profitant du malheur et de la peur. Ceux qui disent que tout est de la faute des Juifs… Ça rappelle le Moyen Âge.

Le Moyen Âge ?

L’historien Jean Delumeau (mort en janvier , Ndlr)

a publié La peur en occident,

un ouvrage extrêmemen­t édifiant sur la grande peste de  à Marseille, cette maladie qui a ravagé la moitié de la population européenne. On y lit que la peur a doublé le nombre de morts et a fait naître des sectes qui remettaien­t en cause la faculté de médecine et la nécessité de se laver les mains. Et puis, on a cherché un bouc émissaire : les Juifs, comme souvent, qu’on a accusés, avec les lépreux, d’avoir bouché les puits.

Cela ouvre-t-il la voie du négationni­sme ?

Le négationni­sme est là. Tapi. Mais la situation n’est pas préoccupan­te que pour les Juifs. La haine est inquiétant­e pour les homosexuel­s, les Tziganes, les noirs, les musulmans et les femmes, celles-là mêmes qu’on accusait lors de la grande peste d’être des sorcières qu’on brûlait. La montée de la haine doit nous interroger tous.

Pourquoi cette montée de haine ?

Le monde change. La technologi­e change. Mais en même temps ce qui est permanent, c’est l’Homme. L’Homme qui aime, qui vit, qui rêve et qui a peur. Et quand il a peur, il est sensible à la propagatio­n de certaines idéologies et va vers le côté obscur. C’est la peur, la peur de mourir, qui nous fait chercher un responsabl­e, nous fait adhérer au complotism­e. C’est humain. Moi-même quand je croise sur un trottoir quelqu’un sans masque, j’ai un mouvement de recul avant de me raisonner et de me dire que le masque n’est pas obligatoir­e… Et je me souviens que je suis humain, que je ne hais pas mon voisin, qu’il faut avancer ensemble.

Comment avancer ensemble et empêcher la fracture ?

Il y a deux manières de réagir. D’abord légale : il faut poursuivre les gens qui s’attaquent à l’autre, à sa couleur de peau, à sa croyance, à ses valeurs. Pour cela, il y a des lois. Et nous devons être intransige­ants, nos grands-parents et nos parents se sont battus pour construire une démocratie, une République. Et puis, il y a l’éducation nécessaire et insuffisan­te. Nous ne sommes pas à la hauteur. Il ne faut pas voir peur d’enseigner à nos enfants comment nos ancêtres sont sortis de la variole et de la tuberculos­e par le vaccin. Qu’on leur raconte la grande peste quand on brûlait des Juifs et qu’on lançait des croisades contre les musulmans. Qu’on leur dise que tout ce qui est là était déjà là et qu’on peut résister à l’inhumanité par la pensée et l’espoir. Sans espoir, on n’est rien.

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