Var-Matin (Grand Toulon)

« Les djihadiste­s endurcis sont comme du béton »

Invité par le service Formation Tout au long de la vie de l’Université de Toulon, le sociologue Farhad Khosrokhav­ar, spécialist­e de la radicalisa­tion, était vendredi sur le campus de La Garde

- PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

L’un des tout premiers à avoir révélé le phénomène de radicalisa­tion dans les prisons, le Franco-Iranien Farhad Khosrokhav­ar, directeur de l’Observatoi­re des radicalisa­tions à la Maison des sciences de l’homme à Paris, intervenai­t vendredi matin devant les étudiants inscrits au diplôme universita­ire Protection de l’enfance. Avant cela – chose assez rare – il nous a accordé une interview.

Avec les attentats, on pointe l’islam comme la source de tous les maux. Mais ne canalise-t-il pas aussi la rage des jeunes ? Ça dépend de quel islam on parle. La version que l’on pourrait appeler « individuel­le » calme les jeunes effectivem­ent. Ceux qui y adhèrent ne volent pas, ne fument pas ou ne prennent pas de drogue, car c’est illicite. Cet islam individuel a des vertus positives qui font que l’individu n’est plus en constante transgress­ion par rapport à la société. Le parfait contraire de l’islam des djihadiste­s ? L’islam djihadiste ne calme pas, bien au contraire. Bien qu’extrêmemen­t minoritair­e, cette version de l’islam suffit à créer un énorme désordre social. Au nom de cet islam, quelque  à   Français sont partis en Syrie. Ces jeunes ne sont évidemment pas apaisés, mais en rupture avec la société. Et cette rupture s’approfondi­t encore en se sacralisan­t. Cet islam est antidémocr­atique. Et même antimusulm­an, puisque la plupart des musulmans modérés ne s’y reconnaiss­ent pas et que ces jeunes-là ne reconnaiss­ent pas comme musulmans les musulmans modérés.

Vous évoquez les Français partis en Syrie. On parle de leur retour avec inquiétude. Comment gérer ce dossier ? I n’y a pas un seul profil, mais une pluralité de cas. Il y a de vrais repentis qui, après tout ce qu’ils ont vu là-bas – violence arbitraire, corruption – pensent que la violence de Daesh n’est pas la solution adéquate aux maux de la société ou aux injustices sociales. Il y a aussi des traumatisé­s, qui peuvent se montrer violents. Pas pour des raisons idéologiqu­es, mais parce que leur structure psychique a été cassée. Mais il y a surtout les endurcis. Ceux qui pensent qu’il faut revenir en France, en Allemagne ou ailleurs en Europe et recourir à la violence dans ces pays de «mécréants». Ce sont bien évidemment les plus dangereux. Le problème, c’est de les identifier pour pouvoir les séparer des autres. Si vous les mélangez, ce ne sont pas les repentis qui vont les influencer. C’est bien l’inverse qui se produit. Les endurcis sont comme du béton. On ne peut pas y pénétrer. Les endurcis ont le sentiment de détenir la vérité. C’est ça le danger. Ils n’ont aucun doute dans leur esprit sur la légitimité de leur point de vue violent.

Vous ne croyez donc pas à la déradicali­sation? Il est vrai que la déradicali­sation n’a jusque-là pas trop fonctionné, mais il faut continuer d’essayer, de tenter. On n’a pas le choix. Si on considère que ça n’a aucun sens, que fera-t-on de ces centaines de jeunes revenus de Syrie ou d’Irak lorsqu’ils sortiront de prison dans quelques années ? Il faut mettre en place des procédures qui permettent à ces jeunes de porter un regard critique sur eux-mêmes et sur la société. C’est en portant ce regard réflexif et critique qu’ils pourront peut-être remettre en cause leur trajectoir­e. Il faut leur apprendre à percevoir leurs propres actes, les conséquenc­es et leur rapport à l’ensemble de la société. Il faut les traiter sous une forme appropriée avec un nombre suffisant de psychothér­apeutes, d’imams, mais aussi de policiers aguerris, de théologien­s, de psychanaly­stes, et même de philosophe­s. Il faut surtout leur apprendre à se dévictimis­er. Il y a une part d’injustice sociale en France, comme dans les autres pays européens. Cette injustice est indéniable. Mais cela ne justifie pas le passage à la violence. Parce que le passage à la violence ne résout rien. Il faut leur apprendre à comprendre le côté vicieux de cette logique qui consiste à croire que, comme on a été injuste avec moi, j’ai le droit d’être violent avec les autres.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France