Var-Matin (Grand Toulon)

« Un personnage de transition »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD Agence locale de presse

L’historien Alexandre Adler analyse (1) au plus près les raisons de l’élection de Donald Trump et envisage surtout les conséquenc­es de sa politique. Quelles sont les chances de réussite de ce « Danton de fête foraine » ?

L’avènement de Trump, c’est la conséquenc­e d’un peuple abandonné et méprisé ? Oui, c’est d’abord et avant tout cela. Il suffit de voir les états qui se situent à l’ouest de New York et à l’est de San Francisco pour constater qui a voté Trump : ce sont les ouvriers et le petit peuple américain, qui ont bâti la révolution industriel­le américaine, notamment dans le Middle West, autour de l’automobile et de la sidérurgie, et qui ont eu le sentiment d’avoir été abandonnés. Cette colère a été capturée par Trump avec beaucoup de talent, il faut bien le dire, et pas mal de folie.

Quel est son talent ? C’est le talent d’un entreprene­ur en bâtiment, qui n’est pas un génie dans ce domaine mais qui sait parler aux ouvriers depuis toujours. Il les connaît et a su mêler toute une rhétorique réactionna­ire bien connue avec des thèmes de protestati­on sociale, de sentiment d’abandon et de mépris. A l’origine, ce sont plutôt les thèmes d’un Michael Moore, exprimés par une gauche minoritair­e. Mais c’est le mélange des deux, et ce culot incroyable, qui ont provoqué l’alchimie qui a tout précipité. Cette chose extraordin­aire sonne le discrédit du vieux parti Républicai­n, ensuite celui de Clinton et des Démocrates moderniste­s.

Raison pour laquelle vous fustigez les intellectu­els et les artistes qui ont méprisé ces classes moyennes ? C’est absolument évident. Quand on voit la manière dont une certaine élite new-yorkaise ou californie­nne considère au fond le petit peuple Blanc comme des cons qui n’ont pas su prendre le train de la modernité, et qui exprime une espèce de suffisance qui s’accompagne d’une prospérité très grande, on comprend l’agacement et l’irritation qui se sont emparés du peuple. Ce n’était pas le cas avec les intellectu­els et les artistes de l’époque de Roosevelt.

Ce constat est-il, selon vous transposab­le en France ? Jusqu’à un certain point, mais nous n’en sommes pas tout à fait là. D’abord parce qu’il y a un Etat providence et une fonction publique qui sont plus forts, ensuite parce qu’il y a des idées de gauche qui suscitent une plus grande adhésion, même si Marine Le Pen a réussi son opération dans le nord de la France. Il y a beaucoup de choses qui sont comparable­s mais elles n’ont pas, me semble-t-il, la même intensité.

Pourquoi selon vous, en termes de politique étrangère, est-ce l’attitude de Donald Trump envers le Mexique qui apparaît la plus préoccupan­te ? Il y a au Mexique et autour une centaine de millions de personnes qui ne sont pas des latinoamér­icains comme les autres. Le Mexique n’a pas connu le servage, ni le pillage. C’est un pays discipliné, avec un état de droit et un sentiment très égalitaire, notamment de la part de tous ces mexicains d’origine indienne. Ils savent qu’ils font partie intégrante de la nation. De fait, ils ont constitué une communauté nationale qui n’était pas hostile aux Etats-Unis. Dans les années , le Mexique de gauche a fait bon ménage avec l’Amérique de droite. Aujourd’hui, le Mexique est en crise mais il n’est pas prêt à accepter le discours incendiair­e et méprisant de Trump. On se prépare à la naissance d’un mouvement des droits civiques latino-américains, aux Etats-Unis, porté par des gens qui veulent faire partie des USA. Trump les a insultés d’une manière tellement radicale et définitive que cela ne me semble pas rattrapabl­e. Par ailleurs, en ayant fait à la Chine le cadeau d’une alliance avec le Japon, Trump facilite l’unité d’un bloc asiatique qui va faire jeu égal avec les Etats-Unis. Ce sont les deux grands problèmes de politique étrangère. Si, de leur côté, les Européens parviennen­t à s’entendre, notamment avec Poutine, la situation ne sera pas bonne pour l’Amérique. L’accumulati­on de ces problèmes peut rapidement remettre en cause la présidence de Trump.

Quelle sera la prochaine étape ? Après ce Danton de fête foraine, l’Amérique devra se trouver un homme fort. Mais je ne pense pas non plus que Trump va faire faillite dans la minute, et je ne pense pas que tout ce qu’il propose aujourd’hui soit absurde. Un peu de protection­nisme, une politique industriel­le plus marquée, un repli des Etats-Unis sur leurs intérêts nationaux, au sens strict du terme, ce sont des choses qui ont commencé sous Obama. Il n’en demeure pas moins que les excès du nouveau président peuvent conduire à une fatigue très importante. Trump est un personnage de transition qui inaugure une nouvelle Amérique. Il sera rejoint par ses erreurs, mais il aura engagé le pays vers une nouvelle direction, que d’autres iront compléter. 1. « La Chute de l’empire américain » (Grasset) 122 pages, 13 euros

 ?? (DR) ??
(DR)

Newspapers in French

Newspapers from France