Philippe Torreton: ses passions et ses colères
En halte varoise avec une «pièce politique», le comédien allume les curseurs d’alerte face à une démocratie menacée par la «bête immonde». Et travaille à une adaptation de Giono pour le cinéma
Philippe Torreton a le cuir épais. Ses saillies contre l’exil fiscal de certains de ses petits camarades, ses soutiens politiques, il assume tout ! Comme à l’accoutumée avec le comédien rencontré durant son passage à Châteauvallon pour cinq soirées dans le costume d’un dictateur naissant (La Résistible Ascension d’Arturo Ui, signée Brecht), les brûlots engagés s’envolent en tous sens pour former de jolies gerbes de mots. De retour d’une promenade de deux heures dans la pinède voisine, c’est toutefois sur un ton serein qu’il les distille, avec pour tout carburant une cigarette électronique compacte qu’il étrenne depuis sa bonne résolution 2017 d’arrêter de fumer.
Cette nouvelle pièce fait-elle office de lanceur d’alerte ? Oui. Avec le metteur en scène Dominique Pitoiset, nous voulions aller vers du théâtre politique pour cette année présidentielle. Sartre figurait parmi les possibilités. Et puis je suis revenu à la charge avec cette pièce de Brecht en me disant, quitte à faire de la politique, autant aller montrer ce qui nous fait le plus peur. Ce qui nous pend au nez. Le mécanisme qui fait qu’une démocratie tombe…
L’utilisation d’images de violences urbaines mises en parallèle avec la montée du nazisme, sujet de la pièce, ne crée-t-elle pas l’amalgame ? Nous sommes dans la récupération. Comme les hommes politiques. Cet amalgame, on le recherche. Dit vulgairement, nous sommes des putes ! On se sert de tout, le drapeau national, etc., pour mettre mal à l’aise le spectateur et dénoncer les gouvernements ultra-nationalistes déjà en place en Pologne, Hongrie… Tout comme le fascisme rampant chez nous. On n’a jamais été aussi proche, dans l’histoire de l’après-guerre, d’une possible victoire de l’extrême droite. Pas de quoi rigoler avec ça… Voilà pourquoi le spectacle peut déranger. Si on en sort en disant « Quelle belle soirée ! », c’est un échec pour moi. On parle de crise économique, corruption, montée du nationalisme, focalisation sur l’insécurité… Un peu comme le monde dans lequel on vit… Ça pose question, non ?
La lepenisation des esprits n’a jamais été aussi vraie ? Ce qui m’affole, ce sont tous ceux qui récupèrent le discours FN. Quand on est président de Région et qu’on se vante de soutenir les maires qui ne veulent pas accueillir de réfugiés, c’est scandaleux… Mais ça passe. Ça veut dire que les choses s’installent confortablement… Le discours d’Arturo Ui : « Si un monstre abominable peut débouler dans n’importe quel lieu public, une arme à la main, alors c’est la guerre de tous contre tous, et donc, le règne du chaos », pas mal d’hommes politiques dont le nom se termine par « i » auraient pu le dire au lendemain du -Juillet à Nice. Je crois qu’Estrosi l’a dit d’ailleurs ! (sourire)
Président sur grand écran, élu à Paris et chroniqueur pour L’Humanité. D’autres ambitions ? Je n’ai aucun plan. Mais le débat politique me passionne et ces billets hebdomadaires écrits bénévolement sont une façon d’être présent. C’est un équilibre avec mon métier de comédien. Métier que je n’abandonnerai pour rien. Je jouis en plus d’une liberté totale et sans idées pro-PC puisque je soutiens Yannick Jadot (candidat écologiste à la présidentielle, Ndlr). Une tête émerge-t-elle de la primaire à gauche ? Aucune personnalité ne me passionne. Je ne vois pas comment la gauche si dispersée peut être présente au second tour. Et même si Macron montait haut, est-ce que c’est la gauche ? Pour moi, non.
Fillon-Le Pen au second tour, vous votez? Non. Malheureusement, il y a eu . Et on a vu que Chirac, pour qui on s’est déplacé en masse pour contrer Le Pen père, s’est assis sur le vote citoyen… On s’est senti floué. Pour faire appel au vote républicain, Fillon devrait sacrément revoir son programme libéral… Moi, je suis partisan d’un axe Jaurès-abbé PierreSitting Bull ! Jusqu’où Hollande a-t-il failli ? Dans mon livre Cher François… je lui reprochais de ménager constamment la chèvre et le chou. D’être l’arbitre de choses contradictoires. Composer. Gouverner, c’est choisir et accepter de déplaire. Comment peut-on dire « Mon ennemi, c’est la finance » et avoir cette politique ensuite ? L’exil fiscal, c’est toujours cent milliards qui seraient bien mieux dans les caisses de l’État.
D’où viennent les germes de cette France en repli sur soi ? La société marchande. Le capitalisme, c’est diviser pour mieux régner. Pour générer de la pulsion d’achat, il faut créer de la frustration et de l’individualisme. Surtout ne pas tisser du lien social.
Trump, vous n’y croyiez pas, et pourtant ça y est… Comme l’écrivait Audiard dans Les Tontons Flingueurs, « les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. » On entre dans une période où tout est possible. C’est là que l’on va voir, entre l’arme nucléaire et les accords commerciaux, ce qui maintiendra le plus la paix. Car de la provocation, il va y en avoir. Et il y en a déjà !
Restez-vous disponible pour le cinéma ? Bien sûr. Je tourne au printemps en Ardèche le prochain Gérard Mordillat, Mélancolie ouvrière [adaptation de l’essai de Michelle Perrot sur la pionnière syndicaliste dauphinoise de la fin du XIXe siècle Lucie Baud, Ndlr]. Je finalise mon scénario que je compte réaliser, produit par Jean Louis Livi [le neveu d’Yves Montand, Ndlr] d’après la nouvelle de Giono L’Homme qui plantait des arbres. Sinon, j’aurais bien fait la suite de Capitaine Conan ou de L’Équipier. Un rôle récurrent à la télé, initier une série, me plairaient également. J’aimerais que ma vie d’acteur passe aussi par là.
Estrosi aurait pu avoir le discours d’Ui ”