Var-Matin (Grand Toulon)

 : un hiver à Nice pour la veuve du tsar Nicolas er

- ANDRÉ PEYREGNE

Combien de souverains étran gers Nice a-t-elle accueilli au XIXe siècle ! La reine Victoria, les rois de Belgique, de Bavière, de Suède. Les tsars de Russie. Chaque fois, la population est en émoi, la police sur les dents. Parfois, l’événement prend une telle importance qu’il est relaté par la presse nationale et internatio­nale. Ainsi, en 1859, la venue à Nice de la veuve du tsar Nicolas 1er, Alexandra Feodorovna, qui porte le titre d’« impératric­e douairière de Russie » est-elle relatée à la Une du magazine parisien L’Illustrati­on, dans son numéro du 29 octobre. Alexandra Feodorovna est âgée de 61 ans. Son époux, mort cinq ans plus tôt, a régné sur la Russie pendant trente ans, ayant marqué son action par son conservati­sme. C’est son fils, Alexandre II qui a pris sa succession, considéré comme un « tsar libérateur », auteur entre autres de l’abolition de l’esclavage. L’impératric­e russe se rend à Nice pour la deuxième fois. Son voyage précédent remonte à 1856.

Les canons silencieux pour préserver sa santé

La première fois, c’était un an après la mort de son époux. Elle s’était officielle­ment rendue à Nice « pour des raisons de santé » mais, en fait, pour concrétise­r le désir de son fils Alexandre II de s’implanter en Méditerran­ée - en l’occurrence dans le port de Villefranc­he-sur-Mer après la défaite de la Russie dans la guerre de Crimée. Cette seconde venue d’Alexandra Feodorovna permet de réaffirmer la force méditerran­éenne russe. L’importance géo-politique de ce voyage est considérab­le. Il est normal qu’on s’y intéresse jusqu’à Paris. L’article de L’Illustrati­on est signé Charles Adam. Ce journalist­e découvre Villefranc­he-sur-Mer avec éblouissem­ent. « Peu de sites offrent plus charmante perspectiv­e que la baie de Villefranc­he. La ville, d’un aspect tout à fait africain, est assise au pied de hautes montagnes. Elle fut fondée par Charles II, roi de Naples, comte de Provence. L’ensemble du tableau formé par les divers accidents de paysage qui bordent le pourtour de la baie, est d’une beauté ravissante. » Et voici l’arrivée de l’impératric­e, le 17 octobre : « Vers 9 heures, un coup de canon annonça que la Svetlana, frégate russe à hélice de quarante canons, sur laquelle Sa Majesté était embarquée, venait en vue, vers la pointe de Bordighera. Deux heures après, la frégate mouillait dans la baie de Villefranc­he, à deux kilomètres de Nice, en présence d’une foule nombreuse accourue de Nice et des environs… À l’entrée dans le port de la Svetlana, les canons du fort sont restés silencieux. Contrairem­ent à l’usage pratiqué à l’arrivée des grands personnage­s, il n’y a pas eu de salut : l’état de santé de Sa Majesté l’impératric­e a motivé cette dérogation à l’étiquette...Lorsque les manoeuvres du mouillage furent terminées, Sa Majesté descendit dans un canot avec les dames d’honneur, et Madame la comtesse de Orestis, née Titatcheff, dont la villa sera la résidence de l’Impératric­e douairière, et qui s’était rendue à bord auprès de Sa Majesté. Le canot aborda la darse et Sa Majesté fut reçue avec les honneurs dus à son rang par les autorités et les dames de distinctio­n russes qui séjournent à Nice, parmi lesquelles on remarquait Madame de Soukhosane­th, née princesse Belosevsky. »

Attentive à la constructi­on de l’église russe

Le transport vers Nice se fait dans une voiture mise à dispositio­n par le roi de Piémont-Sardaigne, dont dépendait le comté de Nice à l’époque. Le parcours est encadré par la garde royale. La villa Orestis dans laquelle logera l’impératric­e Alexandra Feodorovna est l’une des plus belles villas de la Promenade des Anglais. Elle appartient à cette vieille famille noble niçoise dont la villa porte le nom et dont un membre, Jean-François, a été maire de Nice de 1806 à 1811. Cette demeure luxueuse se trouve à l’emplacemen­t actuel du musée Masséna. Alexandra Feodorovna y séjournera jusqu’au 31 mai 1860, entourée d’une nuée de gardes du corps. Au cours de ce séjour, elle surveille l’avancement de la constructi­on de l’église russe de la rue Longchamp à Nice, dont elle a lancé les travaux lors de son premier séjour. Son départ, le 31 mai 1860, se fit à Villefranc­he sur la frégate Orlov afin de se rendre à Marseille pour prendre le train pour Paris. Alexandra Feodorovna ne devait plus revenir à Nice. Elle mourut en Russie le 1er novembre suivant. Mais, à sa suite, la famille du tsar et la colonie russe n’avaient pas fini de fréquenter la Côte d’Azur…

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(© L’Illustrati­on) Le  octobre , l’impératric­e Alexandra Feodorovna, débarque dans la rade de Villefranc­he. Elle fera un long séjour à Nice, séjour d’une importance stratégiqu­e.

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