Var-Matin (Grand Toulon)

Azouz Begag : « Il faut valoriser la diversité ! »

L’ancien ministre à la promotion de l’égalité des chances soutient un mouvement citoyen qui donne la parole aux gens de quartier. Et souhaite plus d’élus d’origine immigrée

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Incontrôla­ble, Azouz Begag ? C’est ce que disaient de lui ses ennemis lorsqu’il était ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances dans le gouverneme­nt Villepin. Depuis sa démission en 2007, lui se dit plutôt libre. De prendre la parole sans s’astreindre aux consignes d’une famille partisane. De dire ce qu’il pense de Nicolas Sarkozy. De voter Hollande à la primaire 2012, et de se planter avec Bayrou et son MoDem aux élections européenne­s. Libre aussi de soutenir un mouvement citoyen, notamment à Cannes avec le collectif Républik qui filme les gens du quartier pour un documentai­re. Ancien gamin de cité lyonnaise, le gône a la fierté un brin fanfaronne de l’« immigré (fils d’Algériens) qui a réussi ». Mais le chercheur au CNRS, directeur de l’institut français au Portugal, sait aussi tout ce que notre pays doit accomplir afin que d’autres empruntent le même chemin que lui. Le sien n’est pas fini. Après le perron de l’Élysée en costard-cravate, Azouz espère gravir les marches du Palais des festivals en smoking. En tant que scénariste d’un film. Mais surtout comme acteur de la vie publique. Et non pas «comédien » de la vie politique…

Pourquoi soutenir l’initiative du collectif Républik à Cannes ? À travers la France, Je suis à la recherche de gens qui veulent créer un lien direct entre les citoyens et l’action publique, sans la médiation des hommes politiques. Ce travail documentai­re permet de ne pas trahir la parole des gens, ni ce qu’ils réclament. Il n’y a pas d’intérêt électoral, donc pas de langue de bois ni de manipulati­on. Je soutiens cette démarche à Cannes, mais aussi Roubaix, Strasbourg, St-Etienne…

Pourquoi vous? (Large sourire) J’étais la grande gueule du gouverneme­nt Villepin, qui n’avait pas peur de dire les choses. Je suis aussi un écrivain et un chercheur, dont le travail se nourrit des quartiers depuis une trentaine d’années. La démarche, apolitique et citoyenne, ressemble à celle d’Alexandre Jardin… qui est candidat à la présidenti­elle ! Alexandre Jardin a tort ! Les gens attendent qu’on ne récupère pas leur confiance et leur parole pour se rendre sur le marché électoral. Le but n’est pas non plus de déboulonne­r les maires élus,

mais de faire entendre la voix des autres, de ces gens frustrés qui n’ont pas accès à la parole publique, sinon c’est peine perdue. Nous souhaitons lever une force civique dans tout le pays et présenter ce documentai­re, pourquoi pas au Festival de Cannes ?

Vous étiez ministre à la Promotion de l’égalité des chances il y a dix ans. La situation est-elle meilleure ? Non, ça va moins bien. Les valeurs de la République s’érodent comme le littoral azuréen sous les assauts de la mer. Un rapport du ministère du Travail dénonce encore la brutalité du rapport à l’embauche lorsqu’on se prénomme Rachid ou Mohamed. Alain Juppé a perdu la primaire en partie parce qu’il y a eu cette cabale sur « Ali Juppé, l’ami des musulmans ». Et depuis dix ans, le vote FN s’affirme de plus en plus avec fierté, alors qu’avant, c’était comme sortir d’un sex-shop !

La crise économique, seule explicatio­n des difficulté­s d’intégratio­n pour les population­s issues de l’immigratio­n ? Moins le gâteau est gros, et plus les jalousies sont exacerbées, ce qui accroît les discrimina­tions. À cela, le terrorisme ajoute une surcharge émotionnel­le dont pâtissent ceux qui s’appellent Abdel ou Mohamed. Tout est ouvert pour l’expression libre du racisme, et le refus de chercher de vraies solutions. L’identité heureuse, une utopie ? Non, c’est juste un concept. Mais moi, je n’ai jamais vraiment compris ce qu’est une identité nationale, ou même personnell­e, car elle ne cesse d’évoluer au gré des rencontres, tout au long de la vie. Je préfère parler d’identifica­tion, avec pour terreau commun les valeurs républicai­nes, dont la laïcité. Gardons toutes les questions de religion dans l’espace privé ! Stop aussi à la surenchère, à la stigmatisa­tion, car l’islamophob­ie nourrit l’islamisme, surtout chez les jeunes.

L’islamophob­ie nourrit l’islamisme ” Sarkozy, c’était ma hantise ”

Vous préconisez l’expression d’une plus grande diversité par la discrimina­tion positive ? J’étais le premier ministre issu de l’immigratio­n maghrébine, mais j’étais sûr que ma présence ferait effet cliquet, avec d’autres qui suivraient. Cette diversité, il faut encore la faire, alors que le modèle français n’est basé que sur des incantatio­ns. Il n’y a que deux députés maghrébins sur , trois sénateurs sur  ; cinq maires sur  , un ambassadeu­r sur . Les islamistes se servent de ça pour dire aux jeunes que lorsqu’on porte un nom arabe, on est condamné à être dealer ou footballeu­r. Faire entrer  députés arabes et noirs à l’Assemblée, ça choquerait qui ? Il faudrait aussi réserver une partie des postes à des gens dont la politique n’est pas le métier, supprimer le trop-plein de privilèges liés à la fonction, et rendre le vote obligatoir­e, afin que chaque citoyen soit pris en considérat­ion.

La politique et vous, c’est fini ? Oui. Je pratique la politique de la vie. À droite comme à gauche, les partis m’ont tous dragué, mais aucun élu ne voulait me laisser sa place. Hé, c’est fini l’époque du serveur de thé à la menthe !

Avec Sarkozy, qui vous surnommait «VidéoBégag», ce n’était pas l’amour fou ? Sarkozy, c’était ma hantise, un danger public, l’anti-France. Je ne comprends pas que Villepin se soit rabiboché. Fillon, je ne le connais pas, son programme est très clair, et très clivant aussi. Mais la bipolarisa­tion de la politique française est stérile, d’où l’intérêt d’une candidatur­e Macron.

Vous allez vous exprimer ? Je sors un livre début février, La Faute aux autres, sur  ans d’observatio­n des banlieues, de l’intégratio­n au terrorisme, en gros. Je suis aussi scénariste d’un film, Le Gône de la République, tiré de mon expérience : une comédie à l’italienne !

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