Var-Matin (Grand Toulon)

Christian Estrosi: «J’en aimarre d’être caricaturé»

Il faut tout changer !, s’époumone le président de la Région dans un livre à paraître le 9 février. Se présentant en réformateu­r, il dénonce les conservati­smes qui font, à ses yeux, le jeu du FN

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr 1.AlbinMiche­l,270pages,19 Sortie jeudi 9 février. Séance de dédicace le soir même à 18 h, librairie Jean-Jaurès, 2, rue Centrale dans le Vieux-Nice.

Nous sommes tous pétris de contradict­ions. Christian Estrosi se nourrit des siennes pour forger une dialectiqu­e de l’action. Pour lui, par-delà la droite et la gauche, le seul clivage véritable sépare les conservate­urs des réformateu­rs. Son livre d’entretiens avec Maurice Szafran aurait pu s’intituler Faire, comme celui de François Fillon. Question de tempéramen­t, l’interpella­tion est plus vigoureuse : Il faut tout changer ! (1), s’exclame le président de la Région, qui veut s’attaquer aux blocages et aux renoncemen­ts qui fortifient le Front national.

Pourquoi ce livre maintenant ? Albin Michel a estimé que je disais souvent des choses reprises par d’autres ensuite, que j’étais en pointe sur l’innovation. Et puis, il y a eu ce -Juillet où, pour la première fois, un élu local a résisté à l’appareil d’État et aux pressions. La condition était de ne pas parler que du -Juillet. Il donne du sens parce qu’il illustre des choses à modifier dans notre pays. Mais l’esprit du livre est d’expliquer pourquoi j’estime que si nous ne changeons pas tout, nous irons vers des lendemains compliqués. Ce livre a été pour moi l’occasion de tirer les leçons des régionales. Le combat contre le FN m’a fait prendre conscience de l’urgence d’une réforme profonde du pays.

Vous revenez longuement sur l’attentat. N’était-il pas temps de laisser les choses s’apaiser ? L’apaisement ne peut pas venir de moi. Il ne peut venir que des réponses qu’attendent les victimes. J’ai posé des questions, on commence à avoir des éléments de réponses, mais pas tous. La France n’a tiré les conséquenc­es ni de Charlie Hebdo ,nidu Bataclan, ni de Nice. On ne pourrait pas comprendre que je dise qu’il faut tout changer et que je n’évoque pas la façon dont se comporte le pouvoir, son incapacité à garantir la transparen­ce aux Français comme à combattre l’ennemi. Mon livre dénonce cette espèce de chape de plomb qui pèse sur notre pays, où dix mille personnes se sont accaparées la démocratie. Si on ne la restitue pas aux Français, le FN arrivera au pouvoir. Il ne peut plus y avoir une élite, un entre-soi qui bloque tout.

Vous voulez sortir des catégories toutes faites, droite ou gauche. Comprenez-vous cependant être difficile à suivre, contradict­oire ? Avant d’être de droite ou de gauche, je développe une vision de mes territoire­s. Lorsque je parle de la cinquième colonne, je suis classé à l’extrême droite. Lorsque je reprends en régie l’eau, les cantines scolaires ou les transports, on me dit socialiste. Tout ça, ce sont des caricature­s et j’en ai marre d’être caricaturé : vous êtes du sud, donc vous êtes d’extrême droite, je m’intéresse à la culture et je deviens de gauche. Eh bien non ! Je suis gaulliste, social, libéral en économie. Il y a aujourd’hui sur l’échiquier politique deux catégories : les conservate­urs et les réformateu­rs, qui voient bien que ne pas s’adapter aux changement­s du monde, c’est aller vers la décroissan­ce. Je suis un réformateu­r, j’ai ce sens de la réforme, je l’ai prouvé dans les territoire­s que j’administre.

Vous parlez de gaullisme social, mais vous apparaisse­z surtout très libéral en économie… Je comprends la remarque. Mais être libéral en économie, selon ma vision, est de faire en sorte que l’État reste stratège. Le libéralism­e et le protection­nisme se confondent pour moi. La liberté économique est la liberté d’un pouvoir politique de soutenir sa production. En proposant par exemple d’exonérer d’impôt ceux qui réinvestis­sent dans leur entreprise, je veux qu’ils investisse­nt chez nous et ne partent pas à Londres. C’est un libéralism­e économique dirigé.

Qu’est-ce qui vous distingue finalement d’un Macron ? D’abord, je n’ai pas participé au gouverneme­nt de M. Hollande. Les politiques d’innovation que j’ai conduites avec Nicolas Sarkozy étaient plus audacieuse­s que les siennes. Ceci étant, je ne

pourrai répondre à cette question que lorsqu’il aura dévoilé son projet, que je ne connais pas. Mais je ne veux pas m’enfermer dans une idéologie et dire que tout nous oppose. J’ai du respect pour lui, c’est le seul ministre qui se soit bien comporté au lendemain du -Juillet. Il a une présence sur l’échiquier politique qui est indéniable. Je ne fais pas partie de ceux qui le dénigrent, j’attends de voir ses propositio­ns.

Ces dix mille personnes qui phagocyter­aient la France, n’est-ce pas un peu nébuleux, populiste ? Un grand chef d’entreprise italien me disait qu’en France, nous avons la force d’une administra­tion très bien structurée, mais la faiblesse qu’à  ou  ans, les carrières sont faites pour une vie entière pour ceux qui ont le diplôme qu’il faut. On ne facilite pas l’accession à des responsabi­lités pour tous ceux qui représente­nt la vraie vie, ouvriers, agriculteu­rs, artisans, commerçant­s, petits chefs d’entreprise, sportifs, artistes. Le pouvoir se partage entre quelques-uns. M. Pepy, à la tête de la SNCF, l’était déjà quand j’étais ministre de l’Industrie. Certains m’accusent de trumpisme. Mais l’entourage de Trump, c’est un club de milliardai­res, l’élite du dollar, on est dans la consanguin­ité la plus totale. Je suis tout l’inverse : je n’appartiens ni à l’élite de l’argent, ni à celle du système, cet entre-soi qui fait que jamais rien ne bouge.

Cette aristocrat­ie que vous dénoncez, vous en faites partie, vous qui êtes dans la politique depuis plus de trente ans… Je ne suis pas contre les élites et les responsabi­lités que j’exerce me placent de facto dans cette catégorie. Ce que je dénonce, c’est que la caste des élites soit cadenassée de l’intérieur, à quelques exceptions près dont je suis. Dans notre pays, le passeport, c’est le diplôme. Si vous êtes polytechni­cien ou énarque, tout est simple. On sent chez vous une blessure de ne pas être du sérail. Vous citez ce terme de motodidact­e qui vous a peiné, visiblemen­t. Votre parcours de méritocrat­ie républicai­ne devrait au contraire vous rendre fier… Si vous saviez les combats que j’ai dû mener. Je venais du Sud, je sentais mauvais, en plus j’étais un sportif, il était impensable pour certains que j’arrive à occuper des places. J’ai dû m’imposer par des combats homériques, là où c’était distribué automatiqu­ement à d’autres. Je n’en souffre plus, je suis très fier de mon parcours, mais j’en souffre pour mon pays et je veux qu’il puisse se réformer avec une jeunesse venue de tous les horizons. Je sortirais de l’ENA, je pense que je n’aurais jamais réussi à faire revenir le Grand Prix de France de F et que je n’aurais jamais dit à la SNCF : « Ça suffit ! ».

Puisqu’il faut tout changer, ne devrait-on pas interdire aux parlementa­ires, comme c’est le cas pour les députés européens, d’avoir des collaborat­eurs issus de leur famille ? J’ai mis en place à Nice et à la Région une déontologu­e et une commission d’éthique, afin justement qu’un organe indépendan­t puisse juger de ce type de situation. Moi, je ne jette pas a priori l’opprobre. On ne peut pas interdire que des politiques aient comme collaborat­eurs des membres de leur famille. En revanche, dans ces cas-là, il faut que leurs compétence­s soient vérifiées.

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