Christian Estrosi: «J’en aimarre d’être caricaturé»
Il faut tout changer !, s’époumone le président de la Région dans un livre à paraître le 9 février. Se présentant en réformateur, il dénonce les conservatismes qui font, à ses yeux, le jeu du FN
Nous sommes tous pétris de contradictions. Christian Estrosi se nourrit des siennes pour forger une dialectique de l’action. Pour lui, par-delà la droite et la gauche, le seul clivage véritable sépare les conservateurs des réformateurs. Son livre d’entretiens avec Maurice Szafran aurait pu s’intituler Faire, comme celui de François Fillon. Question de tempérament, l’interpellation est plus vigoureuse : Il faut tout changer ! (1), s’exclame le président de la Région, qui veut s’attaquer aux blocages et aux renoncements qui fortifient le Front national.
Pourquoi ce livre maintenant ? Albin Michel a estimé que je disais souvent des choses reprises par d’autres ensuite, que j’étais en pointe sur l’innovation. Et puis, il y a eu ce -Juillet où, pour la première fois, un élu local a résisté à l’appareil d’État et aux pressions. La condition était de ne pas parler que du -Juillet. Il donne du sens parce qu’il illustre des choses à modifier dans notre pays. Mais l’esprit du livre est d’expliquer pourquoi j’estime que si nous ne changeons pas tout, nous irons vers des lendemains compliqués. Ce livre a été pour moi l’occasion de tirer les leçons des régionales. Le combat contre le FN m’a fait prendre conscience de l’urgence d’une réforme profonde du pays.
Vous revenez longuement sur l’attentat. N’était-il pas temps de laisser les choses s’apaiser ? L’apaisement ne peut pas venir de moi. Il ne peut venir que des réponses qu’attendent les victimes. J’ai posé des questions, on commence à avoir des éléments de réponses, mais pas tous. La France n’a tiré les conséquences ni de Charlie Hebdo ,nidu Bataclan, ni de Nice. On ne pourrait pas comprendre que je dise qu’il faut tout changer et que je n’évoque pas la façon dont se comporte le pouvoir, son incapacité à garantir la transparence aux Français comme à combattre l’ennemi. Mon livre dénonce cette espèce de chape de plomb qui pèse sur notre pays, où dix mille personnes se sont accaparées la démocratie. Si on ne la restitue pas aux Français, le FN arrivera au pouvoir. Il ne peut plus y avoir une élite, un entre-soi qui bloque tout.
Vous voulez sortir des catégories toutes faites, droite ou gauche. Comprenez-vous cependant être difficile à suivre, contradictoire ? Avant d’être de droite ou de gauche, je développe une vision de mes territoires. Lorsque je parle de la cinquième colonne, je suis classé à l’extrême droite. Lorsque je reprends en régie l’eau, les cantines scolaires ou les transports, on me dit socialiste. Tout ça, ce sont des caricatures et j’en ai marre d’être caricaturé : vous êtes du sud, donc vous êtes d’extrême droite, je m’intéresse à la culture et je deviens de gauche. Eh bien non ! Je suis gaulliste, social, libéral en économie. Il y a aujourd’hui sur l’échiquier politique deux catégories : les conservateurs et les réformateurs, qui voient bien que ne pas s’adapter aux changements du monde, c’est aller vers la décroissance. Je suis un réformateur, j’ai ce sens de la réforme, je l’ai prouvé dans les territoires que j’administre.
Vous parlez de gaullisme social, mais vous apparaissez surtout très libéral en économie… Je comprends la remarque. Mais être libéral en économie, selon ma vision, est de faire en sorte que l’État reste stratège. Le libéralisme et le protectionnisme se confondent pour moi. La liberté économique est la liberté d’un pouvoir politique de soutenir sa production. En proposant par exemple d’exonérer d’impôt ceux qui réinvestissent dans leur entreprise, je veux qu’ils investissent chez nous et ne partent pas à Londres. C’est un libéralisme économique dirigé.
Qu’est-ce qui vous distingue finalement d’un Macron ? D’abord, je n’ai pas participé au gouvernement de M. Hollande. Les politiques d’innovation que j’ai conduites avec Nicolas Sarkozy étaient plus audacieuses que les siennes. Ceci étant, je ne
pourrai répondre à cette question que lorsqu’il aura dévoilé son projet, que je ne connais pas. Mais je ne veux pas m’enfermer dans une idéologie et dire que tout nous oppose. J’ai du respect pour lui, c’est le seul ministre qui se soit bien comporté au lendemain du -Juillet. Il a une présence sur l’échiquier politique qui est indéniable. Je ne fais pas partie de ceux qui le dénigrent, j’attends de voir ses propositions.
Ces dix mille personnes qui phagocyteraient la France, n’est-ce pas un peu nébuleux, populiste ? Un grand chef d’entreprise italien me disait qu’en France, nous avons la force d’une administration très bien structurée, mais la faiblesse qu’à ou ans, les carrières sont faites pour une vie entière pour ceux qui ont le diplôme qu’il faut. On ne facilite pas l’accession à des responsabilités pour tous ceux qui représentent la vraie vie, ouvriers, agriculteurs, artisans, commerçants, petits chefs d’entreprise, sportifs, artistes. Le pouvoir se partage entre quelques-uns. M. Pepy, à la tête de la SNCF, l’était déjà quand j’étais ministre de l’Industrie. Certains m’accusent de trumpisme. Mais l’entourage de Trump, c’est un club de milliardaires, l’élite du dollar, on est dans la consanguinité la plus totale. Je suis tout l’inverse : je n’appartiens ni à l’élite de l’argent, ni à celle du système, cet entre-soi qui fait que jamais rien ne bouge.
Cette aristocratie que vous dénoncez, vous en faites partie, vous qui êtes dans la politique depuis plus de trente ans… Je ne suis pas contre les élites et les responsabilités que j’exerce me placent de facto dans cette catégorie. Ce que je dénonce, c’est que la caste des élites soit cadenassée de l’intérieur, à quelques exceptions près dont je suis. Dans notre pays, le passeport, c’est le diplôme. Si vous êtes polytechnicien ou énarque, tout est simple. On sent chez vous une blessure de ne pas être du sérail. Vous citez ce terme de motodidacte qui vous a peiné, visiblement. Votre parcours de méritocratie républicaine devrait au contraire vous rendre fier… Si vous saviez les combats que j’ai dû mener. Je venais du Sud, je sentais mauvais, en plus j’étais un sportif, il était impensable pour certains que j’arrive à occuper des places. J’ai dû m’imposer par des combats homériques, là où c’était distribué automatiquement à d’autres. Je n’en souffre plus, je suis très fier de mon parcours, mais j’en souffre pour mon pays et je veux qu’il puisse se réformer avec une jeunesse venue de tous les horizons. Je sortirais de l’ENA, je pense que je n’aurais jamais réussi à faire revenir le Grand Prix de France de F et que je n’aurais jamais dit à la SNCF : « Ça suffit ! ».
Puisqu’il faut tout changer, ne devrait-on pas interdire aux parlementaires, comme c’est le cas pour les députés européens, d’avoir des collaborateurs issus de leur famille ? J’ai mis en place à Nice et à la Région une déontologue et une commission d’éthique, afin justement qu’un organe indépendant puisse juger de ce type de situation. Moi, je ne jette pas a priori l’opprobre. On ne peut pas interdire que des politiques aient comme collaborateurs des membres de leur famille. En revanche, dans ces cas-là, il faut que leurs compétences soient vérifiées.