Var-Matin (Grand Toulon)

 : la marine espagnole en déroute à Saint-Tropez

- ANDRÉ PEYREGNE

L’histoire que voici se déroule en 1854, dans le Royaume de Piémont-Sardaigne qui, à l’époque, descendait au sud jusqu’à la côte de la Riviera italienne et englobait, au sud-ouest, la côte de Nice à Menton ainsi que les hautes vallées des actuelles AlpesMarit­imes. Les villes de Cagnes, Saint-Laurent, Grasse, elles, étaient françaises et appartenai­ent au départemen­t du Var. Au cours d’une soirée du mois de mars de cette année 1854, dans une rue de Porto Maurizio près d’Imperia sur la Riviera italienne, le comte de Maricourt roule dans sa voiture, ballotté par les cahots de la chaussée et le trot des chevaux. On aperçoit au loin les feux qui ont été allumés pour brûler des meubles et des carcasses d’animaux. Le choléra fait rage dans la région. Soudain, à l’angle d’une rue, le comte aperçoit le visage d’un pauvre homme, mal vêtu, hirsute. Il a l’air de supplier. Le comte décide de s’arrêter : -« Dove vai ? - Où vas-tu ? » -, interroge le comte. -« Io francese ! - Je suis français -» répond le pauvre homme. -« Ça tombe bien, réplique le comte : je suis consul de France à Porto Maurizio, que faites-vous là ?» -« Je n’ai plus rien pour vivre.» -« Vous êtes en danger. L’épidémie rode. Je viens de perdre ma fille du choléra. Et sa soeur est tombée malade. Je cherche désespérém­ent un médecin !» -« Je suis médecin, répond alors le vieil homme.» Le comte de Maricourt ramène, à tout hasard, chez lui le mystérieux individu. Quelques jours plus tard, la fille allait mieux. Peu après, elle était guérie. La presse de la Riviéra raconta l’histoire du miracle accompli par cet homme. L’évêque d’Albenga s’intéressa à son cas. Le maire de Porto Maurizio le fit engager comme médecin à l’hôpital.

Il soigne jusqu’à Saint-Dalmas-de-Tende

Au fil des jours, l’homme avait fini par raconter son histoire au comte Maricourt : -« Je m’appelle César Provençal, ai 40 ans, suis né à Cagnes-sur-Mer (NDLR : À cette époque, Cagnes faisait partie du départemen­t du Var). J’ai fait mes études de médecine grâce à mon oncle, Michel Provençal, qui enseignait la zoologie à la faculté de Montpellie­r. Là, je tombai moi-même malade et revins vivre dans ma région natale, où le climat était plus favorable. J’ai écrit un ouvrage « Topographi­e médicale du Comté de Nice» . C’est ensuite que les ennuis commencère­nt… -« La santé ?» interrogea le comte Maricourt. -« Non, la politique! En 1848, j’ai créé des «clubs républicai­ns». Le 26 septembre, j’ai organisé un « banquet républicai­n» de quatre cents couverts au château de Cagnes. En 1849, le préfet du Var, Haussmann, devenu, depuis, préfet à Paris, a interdit ces clubs. J’ai été arrêté en novembre 1850, emprisonné à Draguignan, mis deux mois au secret puis relâché. Lors du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, je constituai un groupe d’insurgés à Saint-Laurent-du Var et à Vence. On était une soixantain­e de personnes. Mais on nous a dénoncés. Je me suis enfui. Je n’ai dû mon salut qu’à un patient que je suis allé réveiller dans la nuit au village de la Gaude, et qui m’a fait traverser le fleuve Var à dos d’homme. De l’autre côté du Var, j’étais hors de portée de la police française, me trouvant dans le Royaume de Piémont-Sardaigne. C’est là que j’erre depuis trois ans.» -« Vous n’avez pas d’argent ?» -« Non, j’ai tout perdu en France : le tribunal de Grasse a fait vendre tous mes biens… (N.D.L.R.: Grasse se trouvait dans le départemen­t du Var, à l’époque).» Et voilà que, soudain, à Porto Maurizio, la destinée du docteur Provençal va à nouveau basculer. Il s’avère si efficace à l’hôpital que la presse lui attribue par moins de cinq cents guérisons. Le roi de Piémont-Sardaigne Victor-Emmanuel lui fait décerner une médaille d’or. Au bout de huit ans, César Provençal a envie de revoir sa région natale. Il obtient de Cavour, président du Conseil des ministres du Royaume de Piémont-Sardaigne, l’autorisati­on de se rapprocher de sa ville natale et d’aller vivre à Nice, qui, tout en appartenan­t au Piémont-Sardaigne, est à quelques kilomètres de Cagnes. A Nice, il s’installe au numéro 20 de la rue Droite. L’été, il monte exercer la médecine à Saint-Dalmas-de-Tende. En juin 1859 arrive la nouvelle qu’il espérait depuis tant d’années : l’amnistie des réfugiés politiques. La cavale est terminée. Le Docteur Provençal peut revenir à Cagnes. Il assiste en 1860 au rattacheme­nt de Nice à la France et à la constituti­on du départemen­t des Alpes-Maritimes dont Nice et Cagnes font désormais partie. C’est à Nice qu’il mourra le 8 janvier 1868. Ainsi s’achevait à 53 ans la vie romanesque du docteur qui aimait la République.

Source : Le docteur Provençal, par Léonce Boniface, dans « Nice-Historique », 1953

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 ?? ( Archives municipale­s de Cagnes-sur-Mer) ?? Ci-dessus, l’acte de naissance de César Provençal. Ci-contre, le château Grimaldi dans lequel César Provençal a organisé son «banquet républicai­n» en .
( Archives municipale­s de Cagnes-sur-Mer) Ci-dessus, l’acte de naissance de César Provençal. Ci-contre, le château Grimaldi dans lequel César Provençal a organisé son «banquet républicai­n» en .
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