Var-Matin (Grand Toulon)

Jérôme Fénoglio, le Toulonnais qui dirige Le Monde

À la tête du journal Le Monde, Jérôme Fenoglio fait la preuve que papier et numérique peuvent cohabiter. Face à une liberté de la presse menacée, il défend l’indépendan­ce éditoriale

- PROPOS RECUEILLIS PAR K. M. kmichel@nicematin.fr

Il dirige l’un des journaux les plus emblématiq­ues et les plus respectés de France, et en affichant plus de 25 ans de carrière au sein de cette même entreprise, il en a l’ADN vissé au corps. À la tête du Monde depuis un an et demi, le Toulonnais Jérôme Fenoglio est un « directeur plutôt heureux», parvenu à (ré)concilier édition papier et numérique. Sa venue à Toulon lundi soir, pour un échange avec le Club de la presse, est aussi l’occasion de revenir dans sa ville natale. Entretien.

Comment se porte Le Monde ? Ça va plutôt bien. La crise de la presse écrite n’est pas totalement dernière nous mais on en voit la sortie : nous avons un modèle économique de plus en plus stable. Il y a historique­ment une érosion très forte de la vente en kiosque que nous avons tous connu. Mais depuis deux ans, et particuliè­rement cette année, cette érosion est compensée par la montée très forte du recrutemen­t d’abonnés numériques. Cette année on a eu une diffusion France payée positive – ce qui ne nous était pas arrivés depuis longtemps – parce que les abonnés numériques compensent la baisse des ventes en kiosque. On a plus de   abonnés numérique et des ventes papier qui se tiennent très bien. Et puis, par ailleurs, on a énormément de lecteurs sur notre offre premium (à la fois du gratuit et du payant). On a été très en avance sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, aujourd’hui Snapchat), on n’a jamais eu autant de lecteurs. C’est vrai qu’on n’a jamais eu une période aussi riche en actualités qui suscite la curiosité, qui a besoin de décryptage, le type de journalism­e qu’on pratique est extrêmemen­t utile pour se faire un jugement et agir en citoyen dans la société.

Vous faites la preuve que la presse papier est compatible avec le numérique ? Absolument. Il n’y a pas d’impossibil­ité à concilier les deux. Le travail qu’on a fait historique­ment sur le papier fonctionne très bien avec de nouvelles manières de le présenter. Le numérique amène de nouvelles manières de s’adresser à des nouveaux publics. On a développé très récemment sur Snapchat, le réseau social préféré des jeunes, une édition quotidienn­e qui permet de s’adresser à eux. C’est une prise de contact. Et puis, pour un journal du soir, le numérique nous permet d’être présents dès le matin avec une édition sur mobile, complément­aire de notre journal du soir.

Vous avez pris la plume en début d’année pour dénoncer des mesures d’intimidati­on de la part du ministère de la Défense. Ça représente quoi la liberté d’informer? C’est le plus important. Aujourd’hui, de plus en plus de journalist­es dans le monde entier ont du mal à travailler. Le plus important est d’être vigilant sur notre volonté d’informer, de ne pas se contenter des versions officielle­s. C’est important d’aller aux nouvelles. Tout n’a pas à rester secret et c’est à nous, de manière très responsabl­e, de continuer à alimenter le débat public avec les meilleures informatio­ns possibles. En , la France avait été mal classée en matière de liberté de la presse. Parmi les raisons : la concentrat­ion des médias entre les mains de financiers. Votre avis ? Je crois que cela dépend de comment sont organisés les journaux. Quand nous avons été rachetés par trois hommes d’affaires (Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre Bergé), l’essentiel pour nous, journalist­es, a été de conserver les pouvoirs liés à l’indépendan­ce rédactionn­elle. De poser des limites très claires sur la question. Récemment encore, malgré de nouvelles réorganisa­tions, tous nos pouvoirs en matière de maîtrise éditoriale ont été, disons, « sanctuaris­és ». Nous avons encore des verrous qui protègent notre indépendan­ce éditoriale. Mais c’est fragile, il faut être vigilant. Et puis, c’est aussi à chaque journalist­e de résister à toutes les tentations comme l’autocensur­e. C’est à chaque journalist­e d’éviter d’être en connivence avec ses sources, etc. Enfin, une rédaction, c’est aussi la manière dont elle est dirigée. Il y a différente­s manières aujourd’hui de porter cette indépendan­ce éditoriale...

, année présidenti­elle. Comment Le Monde se prépare à cette échéance ? C’est un grand rendez-vous pour Le Monde puisqu’historique­ment nous sommes identifiés à cette vie politique. Mais nous sommes aussi face à la crise du politique, on essaie d’être beaucoup plus en résonance avec ce qui nous remonte des électeurs ou des non électeurs. De ne pas rester enfermés dans la cour des candidats, dans les rivalités de partis. C’est très important de donner le fond des dossiers et de ne pas rester dans la course de petits chevaux… De pouvoir les comparer, de pouvoir aussi immédiatem­ent vérifier les déclaratio­ns des candidats puisque maintenant on a les moyens avec le numérique. Autant éviter qu’ils ne s’engagent sur des mesures sur lesquelles ils peuvent changer leur version...

On voit ce que ça donne d’ailleurs avec l’affaire Fillon… Il y a toujours un devoir d’enquête. Les hommes politiques qui se présentent à la fonction suprême doivent être exemplaire­s. Il est tout à fait légitime, pour chacun d’entre eux, de voir si leur comporteme­nt correspond à ce qu’ils disent dans leur discours public. Il y a une exigence vis-à-vis d’eux, vis-à-vis des électeurs et vis-à-vis de nous-mêmes. On n’est pas là pour rouler pour quelqu’un mais pour rendre compte d’un moment important dans la vie de ce pays, un moment de débat public qui fait vivre notre démocratie.

Une rédaction, c’est aussi la manière dont elle est dirigée”

Comment intrégrez-vous les outils numériques dans la couverture de la campagne? On va se servir de Snapchat bien sûr. Tous les jours, on racontera la campagne aux jeunes d’une manière qui correspond davantage à leurs temps de lecture. Il y a un vrai enjeu citoyen à raconter une présidenti­elle auprès du jeune public. On utilisera également Facebook et Twitter. Et puis, on vient de lancer le « décodex », un outil qui permet au lecteur de vérifier la fiabilité du site sur lequel il navigue, s’il donne des informatio­ns vérifiées selon les pratiques du journalism­e telles qu’elles existent, ou s’il colporte manipulati­on ou mensonge...

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