Var-Matin (Grand Toulon)

Signé Roselyne

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité

« Le succès de Hamon n’est pas une conséquenc­e conjonctur­elle des échecs réitérés de Hollande mais la volonté désespérée d’un peuple de gauche de se réfugier dans l’utopie. »

Lundi

Il n’y a pas si longtemps à la rentrée des vacances, une éternité en fait, nous composions tranquille­ment le paysage de l’élection présidenti­elle. François Hollande ne pouvait pas renoncer à défendre son bilan et serait battu, Marine Le Pen virerait en tête au premier tour mais verrait la logique implacable du front républicai­n la priver d’une victoire au profit d’un Alain Juppé archi-favori des sondages. Quant aux autres, le tour de piste effectué tournerait pour Jean-Luc Mélenchon à la cérémonie des adieux et pour Emmanuel Macron à une séance d’entraîneme­nt pour l’élection de . Il n’a fallu que quelques semaines pour qu’un effrayant jeu de massacre se mette en branle. Nous n’assistons pas à une recomposit­ion du paysage politique mais bien à sa décomposit­ion. Les Républicai­ns et le Parti socialiste, les deux grandes forces qui structuren­t la démocratie française depuis des décennies, sont en train de mourir et les spasmes d’agonie sont saisissant­s. Le succès de Benoît Hamon n’est pas une conséquenc­e conjonctur­elle des échecs réitérés de François Hollande mais la volonté désespérée d’un peuple de gauche de se réfugier dans l’utopie faute de vouloir affronter le réel. Quant aux malheurs de François Fillon, il serait tout aussi fallacieux de les considérer simplement comme une éventuelle faute personnell­e qu’il suffirait de lever en changeant de candidat ou de laver par l’abandon des poursuites judiciaire­s. La droite aurait pu surmonter cette catastroph­e mais elle vient après trop de fautes : les condamnati­ons de Jacques Chirac et d’Alain Juppé, les folies de la campagne de Nicolas Sarkozy et l’affaire Bygmalion, la complaisan­ce pour un Patrick Balkany et pour bien d’autres, la crispation de tant d’élus pour refuser d’interdire le cumul des mandats ou de donner leur juste place aux femmes et aux jeunes. Au secours de Gaulle, ils sont devenus fous !

Mercredi

Dans ce champ de ruines qu’est la vie publique de notre pays, la soirée documentai­re, réalisée par Fabien Béziat et Hugues Nancy, offerte par France  sur l’histoire de la mine et des mineurs était un bain d’émotion qui arrachait les larmes. La première partie du programme était consacrée aux témoignage­s des épouvantab­les conditions de travail qui régnaient « au fond » : la températur­e qui atteignait  degrés, la peur au ventre, la mort lente de la silicose, la mort brutale des coups de grisou comme à Courrières où le  mars ,  mineurs perdirent la vie. La dignité tranquille des anciens mineurs était impression­nante : pas d’imprécatio­ns ni de misérabili­sme, mais la simple noblesse de ceux qui ont la certitude que leurs existences ont été utiles au pays et que ceux qui seraient tentés d’oublier leurs sacrifices commettrai­ent un crime. La seconde partie de soirée – hélas, trop tardive comme la plupart des émissions vraiment intéressan­tes à la télévision – décrivait la « vie après la mine ». Elle fut l’occasion de découvrir un élu écologiste, Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle, ancien vice-président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Sa lucidité faisait plaisir à voir. Il avait pris la tête du mouvement qui avait permis d’inscrire le bassin minier au patrimoine mondial de l’UNESCO en , mais pour lui, le respect du passé ne peut être du passéisme, mais un outil au service de nouvelles opportunit­és. Sans concession, il décrit la difficulté culturelle à construire l’avenir pour ces hommes et ces femmes qui ont mené leur vie personnell­e et profession­nelle dans un monde clos. Le paternalis­me patronal a construit des corons, mini-villes entourées de grillages où les mineurs étaient coupés du monde extérieur avec leurs propres commerces, estaminets, associatio­ns. L’organisati­on hiérarchiq­ue pyramidale a infantilis­é et fait tout attendre de l’État et du patron. Aujourd’hui, le discours de Jean-François Caron pulvérise tous les nostalgiqu­es qui rêvent de rallumer les hautsfourn­eaux. Pan sur le bec de Mélenchon et Montebourg. Il décrit un monde nouveau qui se construira sur la qualificat­ion, l’autonomie, la capacité d’innovation. Et re-pan sur le bec de Benoît Hamon qui prévoit une fin du travail à traiter par des allocation­s de subsistanc­e. Comme quoi tous les élus écologiste­s ne sont pas des songe-creux et il faut avoir l’honnêteté d’en convenir.

Jeudi

Benoît Hamon rend visite à François Hollande. On aimerait, tel Asmodée soulevant les toits, entrer dans l’intimité des pensées de ces deux protagonis­tes. Pour Hollande, en tout cas, j’ai quelques idées puisque dans le livre de Davet et Lhomme, Un Président ne devrait pas dire ça ,iléructe: «Ilest quoi, Hamon, pas grand-chose… » Je n’étais pas loin de le penser en repensant à la visite protocolai­re que je luis avais rendue en  dans son bureau de Bercy. Il s’agissait de la classique passation de pouvoirs puisque j’avais été en charge de l’économie sociale et solidaire. Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne m’avait impression­née ni par ses talents de visionnair­e ni par son charisme. Son départ du gouverneme­nt était apparu comme la punition collective d’une faute commise par le seul Montebourg quand il s’était comporté, lors de la fête de la rose de Frangyen-Bresse, comme un trublion mal élevé en proposant d’envoyer à Hollande une bouteille de la « cuvée du redresseme­nt ». Il semblait bien malheureux, le pauvre Benoît, à l’idée de quitter son beau ministère de l’Éducation nationale, rue de Varenne. On voyait dans ses yeux qu’il aurait tout fait pour rattraper le coup. Avouons donc sans détours que je me suis lourdement trompée et que ce garçon apparemmen­t voué aux rôles de second couteau a fait preuve d’une capacité manoeuvriè­re qui le met au rang des politicard­s de haut vol. Les réalistes rationnels vous diront que les choses sérieuses commencent et qu’il lui faut réaliser l’impossible mission de réunir la gauche et de monter le chimérique financemen­t d’un revenu universel de  milliards d’euros en vitesse de croisière pour avoir quelque chance non pas de gagner la présidenti­elle mais à tout le moins de participer au second tour. Je vous entends, mes beaux esprits, mais l’homme qui a réussi une pareille opération d’enfumage peut bien encore nous surprendre !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France