Mathieu Olivier sans peur et sans reproche Faire découvrir les croisades baltiques »
Professeur d’histoire au lycée Dumont D’Urville, ce Toulonnais d’adoption est un des très rares chercheurs français spécialiste des… chevaliers teutoniques. Que je trépasse si je faiblis !
C’est dans une tourelle de la rue Charlemagne que l’expert ès Teutons a posé son barda. Mais point d’armures et autres épées chez le sieur Mathieu Olivier : c’est en chaussettes et en chemise qu’il nous reçoit, une tasse de café à portée de main. Au moins est-il tout de blanc et de noir vêtu, à l’image des moines chevaliers germaniques des temps médiévaux. Car oui, gentes dames et beaux gentilshommes, ne vous fiez pas à l’aspect paisible de ce tranquille professeur d’histoire. S’il officie dans les classes préparatoires du lycée Dumont D’Urville depuis septembre 2009, le bougre n’en est pas moins un des deux connaisseurs français de l’Ordo Domus Sanctae Mariae Teutonirocum, fondé en 1190 sous les murs de Saint-Jean-d’Acre pour défendre les pèlerins et le tombeau du Christ. Sous nos latitudes, c’est sous le nom de chevaliers teutoniques qu’on les connaît. Mais si, rappelez-vous ! Ces guerriers allemands tout de fer cuirassés, arborant fièrement une croix noire sur leur écu immaculé, partis à la conquête des pays baltes pour évangéliser les païens l’épée au poing ! Ceux-là même qu’a immortalisés en 1938 – et, il faut bien le confesser, un brin caricaturé – à la demande de Staline, le cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein, dans son chefd’oeuvre Alexandre Nevski.
Tempérament romantique
Dans quelques mois, messire Olivier va d’ailleurs publier la première traduction française intégrale des 11 000 vers de La Chronique rimée de Livonie, un récit du XIIIe siècle narrant la conquête des actuelles Estonie et Lettonie par les cavaliers teutons. « Ce texte est la première évocation écrite de tout un pan du continent européen, et il permettra de faire découvrir les ‘croisades baltiques au public français, qui sont largement méconnues », lance le maître historien. Avant de plancher sur une deuxième traduction exclusive, celle de La Chronique de la terre de Prusse, de quelque « 27 000 vers »… Lorsqu’il naît en l’an de grâce 1978, dans la bonne ville de Laval, tout ou presque semble destiner le petit Mathieu à ces rudes chevaliers du nord. Un père professeur d’histoire, une mère professeur d’allemand et un tempérament « romantique »… Sans compter ce tropisme pour l’Europe de l’Est et cet attrait pour les cieux couverts de la Baltique. Mais c’est en 2000, après être passé par l’École Normale Supérieure, qu’il décide de se consacrer définitivement à l’histoire médiévale allemande. Une rencontre avec le professeur JeanMarie Moeglin – Alsacien spécialiste du Moyen-Âge tudesque – et un voyage à Cambridge plus tard, Mathieu Olivier affine ses goûts intellectuels : il travaillera sur les chevaliers teutoniques. « Cet ordre avait produit un grand nombre de textes à visée historique, les chroniques, mais très peu avaient été étudiés, notamment du point de vue de l’idéologie politique. »
Manuscrits cachés
Instrumentalisés par les SS et associés à l’utranationalisme nazi, ces chevaliers si particuliers sont un brin tombés en désuétude outre-Rhin après 1945. L’historien cingle alors vers Torun, ville fondée par les teutoniques au XIIIe siècle, dans cette Pologne où sont conservés en nombres manuscrits et parchemins de l’ordre. Il vagabonde dans l’Europe orientale, va de bibliothèques en monastères, tente de consulter – en vain – les archives teutoniques ramenées à Moscou par l’Armée rouge après la chute du IIIe Reich. Au fil de cette quête digne du film Le Nom de la Rose, il se fascine pour « la faculté de cet ordre à se réinventer. Ils réussissent à s’enkyster dans un coin d’Europe où on leur
fout une paix royale et où ils font croire à tout le monde qu’ils continuent leur mission! » Celle de défendre la Chrétienté contre les infidèles et les hérétiques ! Sans nier la brutalité de ces
milites Christi, l’opiniâtre français s’éloigne des truismes pesant sur leurs armures, se penche sur cette habilité politique toute teutonique à travers l’étude d’un écrit en
prose de 1430, L’ancienne Chronique des Grands Maîtres. Une fresque historique de l’ordre pensée comme une réponse idéologique à un double revers : la conversion du roi païen Jagellon au christianisme qui sape la raison d’être des chevaliers et leur terrible défaite contre les troupes lituanopolonaises en 1410, dans la plaine de Tannenberg. Mais cette déroute, pas plus que les persécutions menées par Hitler, n’a sonné le glas de l’ordre. Messire Olivier a même, un jour de 2007, déjeuné avec son grand maître, Bruno Patter, à Vienne. C’est d’ici que les teutoniques se consacrent désormais à leurs oeuvres de charité. Abandonnant à jamais leurs rêves de conquêtes dans les brumes gelées de la Baltique…