Demi-vérités et zones d’ombre
Le candidat de la droite à la présidentielle a accumulé dans son discours des déclarations qui fragilisent sa ligne de défense sur le thème d’une honnêteté irréprochable. Petit tour d’horizon.
La journaliste anglaise «choquée» Ce qu’il a dit: « Je tiens à préciser que la journaliste [qui avait réalisé l’interview de Penelope Fillon] s’est manifestée personnellement auprès de mon épouse pour lui dire à quel point elle était choquée de l’utilisation qui avait été faite de ces propos. »
Pourquoi ça pose problème: la journaliste en question, la Britannique Kim Willsher, a aussitôt réagi sur Twitter: «Non M. Fillon! Les propos d’Envoyé spécial n’ont pas été sortis de leur contexte. Le reportage ne m’a pas choqué. Cessez de m’attribuer ces propos faux. Le film, l’interview sont dans le domaine public. LES FAITS SVP.» Dans la soirée, François Fillon a publié sur Twitter deux mails envoyée par Kim Willsher à son épouse (l’un avant la diffusion d’Envoyé spécial et l’autre après) où elle déplore bien que des éléments de l’interview aient été « publiés hors de leur contexte ». Mais la Britannique a expliqué à nos confrères de FranceInfo qu’elle visait là Le Canard enchaîné et Marianne ,pas Envoyé spécial. La veille déjà, Kim Willsher avait directement interpellé Eric Ciotti (1), en le renvoyant à la tribune qu’elle avait publiée dans le Guardian: «#EricCiotti #BFMTV #guardian. Lire l’article SVP. Il y a RIEN dedans qui dénonce Envoyé spécial. RIEN.»
● Les dates auxquelles sa femme a été rémunérée Ce qu’il a dit: «Oui, j’ai employé mon épouse comme collaboratrice. Elle a ensuite été la collaboratrice de mon suppléant, avant de redevenir ma collaboratrice. Elle a occupé ce poste pendant quinze ans, pour 3677 euros nets.» «Cette accusation m’est tombée dessus comme un coup de tonnerre. [...] Toute la semaine dernière, j’ai été déstabilisé [...]. Donc oui, mes réponses ont été imprécises. Il m’a fallu cinq jours pour obtenir toutes les fiches de paie de mes collaborateurs de l’Assemblée nationale.» Pourquoi ça pose problème: comme pour le nombre de comptes (ci-après), il s’agit d’un revirement de François Fillon. Celui-ci était interrogé par Mediapart au sujet des dates exactes auxquelles son épouse a été rémunérée. Au journal télévisé de TF1 le 26 janvier dernier, il avait en effet déclaré que cela avait commencé en 1997, et qu’elle avait auparavant travaillé de façon bénévole. Problème: Le Canard enchaîné avait ensuite affirmé que c’était en réalité entre 1988 et 1990, pour un total de 82750 euros bruts (puis entre 1998 et 2007, et enfin en 2012-2013). Ce qu’a
donc confirmé, cette fois, François Fillon dans son discours (puisqu’il parle d’un total de 15 ans). Les documents qu’il a rendus publics montrent même que cela a en réalité commencé en 1986 (lire ci-dessous). En contradiction avec ce qu’il avait dit auparavant. ● Les comptes bancaires Ce qu’il a dit: «Nous possédons deux PEA, deux comptes titres, deux assurances-vie, deux PEL, deux CEL, 3 comptes courants – un compte joint, un pour moimême et un pour mon épouse –, un compte espèces, un LDD, un Livret A. Et comme je l’ai déjà dit, tous ces comptes sont au Crédit agricole Anjou Maine, agence de Sablé-sur-Sarthe.»
Pourquoi ça pose problème: lors de son grand meeting à La Villette, dimanche 29 janvier, le candidat de la droite à la présidentielle avait affirmé : «Nous n’avons rien à cacher, notre seul compte en banque est au Crédit agricole de Sablé[sur-Sarthe].» Dans la foulée, de nombreux médias avaient souligné que cela semblait d’autant plus curieux… que le réglement de l’Assemblée nationale exige que l’indemnité représentative de frais de mandat, qui sert à rémunérer les collaborateurs parlementaires, soit versée sur un compte spécifiquement dédié à cela. Peu après, Le Canard enchaîné et Libération affirmaient que le couple possédait en réalité pas moins de 15 comptes. Ce que François Fillon vient donc de reconnaître… contraint et forcé. ● Les «étrennes» du Sénat Ce qu’il a dit : « Ce sont des pratiques de la vie politique [...] qui sont très anciennes, qui ne sont plus acceptées des Français. Suis-je poursuivi pour ces pratiques? Non. En suis-je à l’origine ? Non. Doiventelles changer? Oui.» Pourquoi ça pose problème : François Fillon répondait cette fois sur la pratique, illégale, dite des «étrennes» (ou de la «ristourne») au Sénat (2), qui concernerait des dizaines de sénateurs alors UMP entre 2004 et 2013. Mediapart affirme
qu’il en aurait bénéficié de septembre 2005 à juin 2007, pour un total d’environ 21 000 euros. François Fillon a raison : il n’en est pas à l’origine, et n’est pas concerné par l’information judiciaire actuelle, qui se limite à la période postérieure à 2009. Reste qu’il ne répond pas sur le fond: en a-t-il bénéficié, ou non? ● Le rôle de ses enfants Ce qu’il a dit: «J’ai employé mes enfants, Marie et Charles, qui ont travaillé pendant 15 mois en 2005 et 2006 pour Marie et 6 mois en 2007 pour Charles, comme collaborateurs parlementaires, pour un salaire mensuel net de 3000 euros en moyenne pour chacun. Rien n’était dissimulé.»
Pourquoi ça pose problème: sur ce point aussi, la défense de François Fillon a varié. C’est lui-même qui a révélé, le 26 janvier sur TF1, avoir «rémunéré pour des missions précises deux de [ses] enfants qui étaient avocats, en raison de leurs compétences». Sauf que ces derniers n’ont prêté serment, respectivement, qu’en 2007 et 2009. Surtout, selon Le Monde d’hier, qui affirme avoir eu accès aux procès-verbaux des auditions, François Fillon a expliqué aux enquêteurs qu’il aurait chargé sa fille de l’aider à rédiger son livre; et que son fils, lui, aurait en fait aidé… à la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Des tâches étonnantes pour des collaborateurs parlementaires.
1. Le président du conseil départemental des Alpes-Maritimes avait déclaré sur BFM TV : « Quand je vois l’émission du service public,doncpayéeparlecontribuable,Envoyéspécial,[...]alors
qu’une enquête est ouverte, [...] qui va acheter [...] des rushs qui datent de dix ans, dans une interview [...] filmée on ne sait pas comment. Méthode qui a choqué la journaliste qui a fait l’interview!»
2. Une pratique consistant à reverser à leur groupe parlementaire une partie des montants reçus pour rémunérer leurs assistants, et dont ils n’avaient pas forcément l’usage en intégralité. Ce qui, jusque-là, est légal. Mais en contrepartie, ils auraient ensuite touché à titre personnel, par des biais détournés, environ un tiers de ce qu’ils avaient reversé.