« Pékin ne fait rien pour la démocratie en Afrique »
Alain Antil, spécialiste de géographie politique, présente les enjeux stratégiques de la présence de l’Empire du Milieu en Afrique, ce soir à la Maison du numérique et de l’innovation
Enseignant à l’Institut d’études politiques de Lille et à l’Institut supérieur technique outre-mer (Istom), Alain Antil, docteur en géographie politique et invité par l’Institut FMES, animera une conférence sur « La présence chinoise en Afrique » ce soir, de 18 h30 à 20 heures à la Maison du numérique et de l’innovation de Toulon, place Georges Pompidou.
Alain Antil, à quand remonte l’intérêt de la Chine pour l’Afrique, loin de sa traditionnelle zone d’influence ? Contrairement à une idée reçue, l’intérêt de la Chine vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne ne date pas du début des années mais est bien antérieur. Dès les années cinquante, notamment lors de la conférence de Bandug, la Chine établit des liens avec des pays d’Amérique latine et surtout d’Afrique, avec lesquels Pékin partage une vision antiimpérialiste et anticolonialiste. Après les indépendances, Pékin étend rapidement son réseau d’ambassades sur le continent. L’un des axes de la diplomatie chinoise est de combattre la présence de Taïpei sur le continent et de faire en sorte qu’un maximum de pays africains reconnaisse la République Populaire de Chine comme la Chine légitime. Cela a porté ses fruits car seulement deux ou trois pays (sur les que compte l’Afrique subsaharienne) reconnaissent aujourd’hui Taïpei. Cette politique africaine qui couvre les années Mao et les années quatrevingt, se matérialise par une coopération dynamique et notamment par la réalisation d’infrastructures de prestige (ministères, ports, stades, ponts…) dans de nombreux pays.
La Chine ne voit-elle en l’Afrique qu’un réservoir à matières premières ? D’une part, l’Afrique subsaharienne exporte encore quasi exclusivement des matières premières (pétrole, gaz, produits agricoles…), peu ou pas transformées, et importe à peu près tout le reste. On retrouve donc cette importation massive de matières premières côté chinois, d’autant plus que ce pays est devenu l’usine du monde et que ses besoins sont immenses. D’autre part, la Chine est à la recherche d’alliances politiques et l’Afrique est un réservoir de voix important. Enfin, l’Afrique est à la fois un espace de déploiement des entreprises chinoises, d’écoulement de produits manufacturés et d’émigration chinoise.
Avec le développement économique de la Chine, cette dernière est moins compétitive et commence à ouvrir des usines en Afrique. Ce mouvement va-t-il s’accentuer ? On a beaucoup parlé de cette tendance, qui se déploie avec plus ou moins de bonheur d’un pays à l’autre. Certains analystes pensent que la Chine passe à une deuxième phase de sa stratégie africaine. Après l’exploitation des ressources, Pékin se lancerait dans l’exploitation de la ressource humaine, dans des pays où le coût des travailleurs est moindre que sur son territoire. De surcroît, la construction d’unités de production chinoise en Afrique pourrait permettre d’atteindre plus facilement les marchés européens et moyens-orientaux sur certains segments, ainsi que des classes moyennes africaines de plus en plus nombreuses et consommatrices. À titre personnel, je suis très réservé sur le caractère massif de ce phénomène. L’essentiel de l’externalisation de la production chinoise se fait plutôt dans des pays asiatiques (Vietnam…). De plus, l’industrialisation de l’Afrique bute encore, dans de nombreux pays, sur de sérieux obstacles comme notamment la disponibilité (et le coût) de l’électricité, l’instabilité juridique, le déficit important en infrastructures. Évidemment, c’est très variable d’un pays à l’autre et rien n’est irréversible.
Comment les pays africains perçoivent-ils cette « nouvelle venue » sur leur sol ? C’est très variable selon les pays. Pour les dirigeants, l’essor de la coopération a été vu comme très positif car permettant de diversifier les relations et, parfois, d’échapper à un tête à tête postcolonial avec les anciennes métropoles. La Chine a séduit à la fois par son discours « sudsud », sans leçon sur la corruption et plus largement sans ingérence dans les affaires intérieures des pays. Cette posture a été perçue favorablement par de nombreuses élites. Il était « facile » de travailler avec les Chinois. Dans le domaine minier et pétrolier, l’Angola model ,que l’on pourrait appeler du troc (exploitation d’un gisement contre la réalisation d’un certain nombre d’infrastructures) a très bien fonctionné, il permettait aux gouvernants de montrer à leurs opinions publiques des réalisations concrètes lors de leurs mandats. Il faut dire aussi que l’énorme besoin en matières premières de la Chine a globalement contribué, dans les années , à l’augmentation des cours internationaux de certains minerais et d’autres ressources, ce qui a profité à de nombreux pays africains.
On lit ci et là que les Chinois ne sont pas forcément appréciés par les populations africaines. Pourquoi ? Parce que les sociétés civiles pointent régulièrement plusieurs problèmes : la difficulté pour les entreprises chinoises d’embaucher des locaux, un respect aléatoire du droit du travail, des pratiques corruptives vis-à-vis de certains gouvernants, une importation massive de produits manufacturés de bas coûts et de très médiocre qualité, qui ont contribué à ébranler le mince tissu industriel de certains pays, des infrastructures de mauvaise qualité. Pour améliorer une image qui se dégrade, la Chine développe un ambitieux « soft power » (multiplication des instituts Confucius sur le continent, création de médias panafricains, formation d’étudiants, octroi de visas pour s’installer en Chine…).
Et qu’en pensent les anciennes puissances coloniales que sont la France et le Royaume-Uni ? Pour Londres et Paris, cette émergence de la Chine sur la scène africaine est jugée, au même titre que l’apparition de nombreux autres « concurrents » (Turquie, Brésil, Japon, Corée du Sud…), comme inévitable et dans une certaine logique historique. Les critiques se concentrent sur plusieurs aspects. Pékin, par ses nombreux prêts, contribue au réendettement de pays africains qui ont mis presque vingt ans à sortir du cercle infernal de la dette. Pékin pratique ce que l’on appelle l’aide liée alors que les autres puissances présentes en Afrique s’éloignent de ce modèle. Ce qui signifie qu’une entreprise de BTP chinois peut remporter un marché lié par exemple à une aide européenne pour la construction d’une route, alors que la réciproque est impossible. Pékin ne fait rien pour développer la bonne gouvernance et la démocratie (et pour cause !) sur le continent et accentue au contraire la corruption.
L’Afrique est un réservoir important ” Il était facile de travailler avec des Chinois ” La Chine est l’usine du monde”
Cette arrivée de la Chine dans les prés carrés de puissances occidentales est-elle source de tension ? Bien sûr, car cela se traduit par de la perte d’influence et des pertes de marchés. Mais le risque est que ces tensions évoluent vers des risques géopolitiques, comme pour le Soudan. L’une des (nombreuses) clés de lecture de la partition de ce pays est le soutien inconditionnel, de la part des États-Unis, à l’indépendance du Sud Soudan, pour affaiblir un allié (le Soudan) de Pékin. Conférence « La présence chinoise en Afrique ». Gratuite pour les adhérents, 10 et 15 euros pour les non-adhérents. Inscription obligatoire sur Internet : http://fmes-france.org/event/alain-antil-presencechinoise-afrique/