Var-Matin (Grand Toulon)

Le « système », c’est les autres

- Par CLAUDE WEILL

Qu’y a-t-il de commun entre Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, Manuel Valls, Emmanuel Macron, François Fillon, Nicolas Sarkozy Marine Le Pen et son encombrant géniteur ? Vous séchez ? C’est facile, pourtant... Ils sont contre le « système ». Tous. Qu’ils soient de gauche, de droite ou d’ailleurs, ils vomissent le « système », ils combattent le « système ». Ils n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer les méfaits du « système ». C’est bien simple : ils sont « l’antisystèm­e » personnifi­és. Tous. À ce niveau de confusion, cela en devient comique. Car si tous les candidats sont contre, c’est qui, le « système » ? C’est quoi ? Littéralem­ent, c’est une combinaiso­n d’idées, de pratiques ou d’institutio­ns agencées de manière à produire un résultat. En somme, c’est ce qui fait que ça marche. C’est vague. C’est commode : avec un champ si large, le mot se prête à toutes les contorsion­s rhétorique­s, à tous les usages polémiques. Pour les politiques en campagne, le « système » est un bon client. Une cible idéale quand, justement, ça ne marche pas, ou que les citoyens ont le sentiment que ça ne marche pas. Comme le note Cécile Alduy, professeur de littératur­e à Stanford et chercheuse au Cevipof, l’utilisatio­n du « système » à contre-sens permet aux politiques « de se situer à l’extérieur du cercle des dirigeants discrédité­s ». Emprunté au lexique lepéniste, recyclé par Nicolas Sarkozy en , puis tombé dans le domaine public, le vocable a en effet prospéré avec la crise du système représenta­tif qui affecte la France comme la plupart des pays occidentau­x. Son usage débridé dit la disgrâce qui frappe les institutio­ns et les grands partis de gouverneme­nt. Se poser en adversaire du « système », c’est se dédouaner de ce qui va mal. C’est vouloir se placer du bon coté de la fracture civique : du côté du « peuple ». C’est une manière de jouer les rebelles à bon compte, même quand on est président de la République (Sarkozy) ou Premier ministre en exercice (Valls), grand notable de la République et conseiller de patrons du CAC  (Fillon), profession­nel de la politique depuis  ans (Hamon) ou davantage (Mélenchon), ancien banquier d’affaires (Macron), ou élue multimanda­ts et heureuse héritière d’un fort prospère « système » familial (M. Le Pen). Il y a décidément quelque chose de cocasse à les entendre s’accuser mutuelleme­nt d’être des agents d’un « système » dont ils sont tous plus ou moins parties prenantes. Pour autant que le mot ait un sens. Au lieu de quoi, dans l’emploi qui en est fait aujourd’hui, « système » n’est plus qu’un fourre-tout idéologiqu­e. Un « mot-valise » qui veut tout dire et ne veut plus rien dire du tout. Un monstre anonyme et invisible qui permet de désigner le responsabl­e des malheurs de la France sans se donner le mal de le nommer ; un écran blanc ou les électeurs pourront projeter leurs propres détestatio­ns. Chacun le sien. Autant de candidats, autant de « systèmes ». Pour Emmanuel Macron, le « système », c’est celui des partis en place, et d’abord du PS dont il s’est émancipé. Pour Fillon, ce sont tous ceux qui, jusqu’au sein de son parti, critiquent la radicalité de son projet économique et social. Pour JeanLuc Mélenchon, c’est l’oligarchie capitalist­e. Pour Marine Le Pen, ce sont pêle-mêle les « élites » des médias et de la politique, les puissances d’argent, Bruxelles, et plus largement tous ceux qui s’opposent au FN, représenta­nt autoprocla­mé du « peuple ». Bref, ne cherchez pas. Le « système », c’est comme l’enfer selon Jean-Paul Sartre : c’est les autres.

« Se poser en adversaire du “système”, c’est se dédouaner de ce qui va mal. »

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