Var-Matin (Grand Toulon)

La campagne introuvabl­e

- Par CLAUDE WEILL

À deux mois de l’élection présidenti­elle, nous vivons une situation proprement inouïe. En tout cas sans précédent. En , à pareille époque, la cristallis­ation s’était déjà faite. On avait – sauf coup de théâtre à venir, qui n’a pas eu lieu – l’ordre d’arrivée (er Hollande, e Sarkozy) et un solide pronostic pour le second tour. Rien de tel cette fois-ci. Nous n’avons pas encore le casting définitif. François Bayrou entretient le suspense – à moins qu’il ne cherche à habiller sa propre indécision. La gauche, ou plutôt les différente­s familles issues de la gauche de la gauche qui prétendent incarner et rassembler la gauche, continue de rêver sans trop y croire à une improbable candidatur­e commune qui lui donnerait quelques chances d’accéder au second tour. Et l’opinion, tourneboul­ée par les polémiques et le carrousel des affaires, assiste interdite, hésitante, à une campagne qui semble n’avoir pas encore vraiment commencé alors qu’elle est si près de s’achever. Les sondeurs n’avaient jamais vu ça : à J - , le taux d’indécision, chez les électeurs, ne régresse pas, il augmente ! Ils sont plus nombreux qu’il y a quelques semaines à ne pas savoir pour qui ils vont voter, ni même s’ils vont voter! C’est qu’ordinairem­ent, une campagne se résume plus ou moins à un affronteme­nt entre le sortant et celui que l’opposition s’est donné comme leader. Rien de tel cette fois-ci. L’effacement de François Hollande et la mise en cause de la probité de celui qui était sorti en triomphe de la primaire de droite ont aboli tous les repères. La situation est liquide, gazeuse. La gauche cherche son champion, éprouvant jour après jour la justesse de la maxime attribuée à Napoléon, selon laquelle il n’est rien de pire que d’avoir trois généraux. L’inédit, c’est que la gauche de gouverneme­nt – en tout cas celle qui gouverne – est tout simplement absente du scrutin. Éliminée par la primaire, elle laisse ses électeurs dans la bizarre position de devoir choisir entre deux opposants venus de la gauche de la gauche et un ex-dauphin entré en dissidence. La droite, elle, a bien un champion, mais elle n’est plus très sûre d’avoir fait le bon choix. Dans ces conditions, on pourrait imaginer que la bataille pour la conquête des indécis fait rage. Pas du tout. La campagne est introuvabl­e. Elle se cherche. Un débat sans axes, sans point d’ancrage, sans thèmes structuran­ts. Et des candidats dont la voix ne porte pas, ou plutôt qui semblent se parler à eux-mêmes ou entre eux plutôt qu’ils ne s’adressent au pays. François Hamon s’en va chercher au Portugal la martingale perdue de la gauche plurielle et s’englue dans d’obscures et lassantes négociatio­ns d’états-majors. Jean-Luc Mélenchon, tout à son obsession de plumer la volaille socialiste, s’enferme dans un rôle d’imprécateu­r qui ravit ses fans autant qu’il décourage les réticents. Emmanuel Macron, alternant les audaces et les repentirs, perd bien trop de temps et d’énergie à corriger et raturer ses discours dans une sorte de dialogue avec lui-même. François Fillon n’en finit plus de se dépêtrer d’une affaire qui brouille son message et lui colle aux doigts comme le sparadrap du capitaine Haddock. Jusqu’à Marine Le Pen qui se voit à son tour rattrapée par de sombres histoires d’emploi fictif et sommée de s’expliquer sur les étranges pratiques de son petit système anti-système. Étonnez-vous que les Français soient perplexes et indécis ! Ils aimeraient bien que l’on s’intéresse à eux, à leurs problèmes, à leur avenir. Plutôt que d’être convoqués pour trancher des débats historique­s sur la colonisati­on, arbitrer la bataille pour le leadership de la gauche, ou pour jouer les juges d’instructio­n chargés de démêler le vrai du faux, le légal de l’illégal. Et si on se mettait enfin à faire de la politique ?

« La campagne se cherche des candidats dont la voix ne porte pas, ou plutôt qui semblent se parler à eux-mêmes. »

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