Var-Matin (Grand Toulon)

Eric de Montgolfie­r: «La corruption est enkystée »

L’ancien procureur de la République de Nice, tombeur de Bernard Tapie dans l’affaire VA-OM et désormais conseiller justice de Benoît Hamon, publie un livre au vitriol sur notre démocratie

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On ne peut éternellem­ent se contenter de regarder les cadavres passer sous les ponts. Le titre du livre d’Eric de Montgolfie­r, (1) qui sort aujourd’hui, est aussi long que le contenu en est corrosif. A 70 ans, l’ancien procureur de la République à poigne de Valencienn­es puis de Nice, de 1999 à 2012, n’a rien perdu de son mordant. Révolté comme un jeune homme, la plume trempée dans le vitriol, celui qui le premier avait ébranlé Tapie et vient d’accepter de devenir conseiller de Benoît Hamon pour les questions de justice, met en pièces notre classe politique, sans épargner les citoyens qui s’en accommoden­t.

Vous aviez déclaré que vous reviendrie­z volontiers prendre votre retraite dans le Sud. Où vivez-vous aujourd’hui ? Je n’ai pas abandonné cette idée, mais le marché immobilier étant ce qu’il est à Nice et n’ayant pas d’attaché parlementa­ire, je ne compte que sur mes revenus. Je vis à Bourges où j’ai achevé ma carrière, mais le jour où je trouverai à me loger à Nice, j’y reviendrai volontiers ; j’y ai conservé souvenirs et amis.

Noir, c’est noir. Votre tableau de notre démocratie file le cafard… Je trouve toujours étonnant que des journalist­es me fassent cette réflexion, parce que vous êtes les premiers à dresser le tableau le plus noir qui soit. J’ai toujours considéré qu’il y avait un risque pour une société à refuser de voir ses tares. En disant ce qu’elles sont, on a une chance de les corriger. Pendant des années, on a fait semblant de ne pas voir. Je dis ce que je crois voir. Si on me prouve que je me trompe, je serai trop heureux de me tromper.

D’autres estiment au contraire que notre classe politique, pardelà quelques excès, est plutôt honnête et fait bien son travail… Que sait-on, en réalité ? François Fillon se présentait comme un homme de rigueur et on voit qu’il n’est pas l’homme de rigueur qu’il dépeignait. Est-ce que tous sont pourris ? Bien sûr que non, Dieu merci ! Mais ce qui est terrible aussi pour la démocratie, ce sont tous ceux qui vont un jour dans un sens et le lendemain dans un autre.

Vous déplorez la vacuité de la classe politique, sa soumission au culte de l’apparence. Qui trouve grâce à vos yeux ? Je dénonce d’abord la soumission de la classe politique au pouvoir, qui la conduit à des choix qui laissent quelquefoi­s pantois. J’avais une certaine faiblesse pour Bernard Stasi, qui avait choisi d’abandonner son siège plutôt que de pactiser avec le Front national pour le conserver [il avait renoncé à présider la région Champagne-Ardenne en , Ndlr]. Il y en a d’autres pour lesquels j’aurais pu avoir de l’admiration, mais en m’approchant… Comme beaucoup de Français désormais, à chaque élection, je me demande non plus quel est le meilleur, mais quel est le moins pire.

A propos des élus locaux en général, vous employez carrément la formule de « Ceaucescu de banlieue ». Vous y allez fort… J’ai longtemps cru qu’un maire était le premier des élus municipaux, et devait tenir compte de son conseil municipal. En fait, il trône en majesté. Quand j’étais dans le Nord, un maire avait fait une centaine de fausses délibérati­ons. Je l’ai convoqué et il m’a dit : « A quoi servait que je réunisse les élus, puisque nous avions la majorité? » C’est significat­if de ce qui se passe dans nombre de villes, où le maire fait absolument ce qu’il veut. Est-ce que nous sommes vraiment dans un pays démocratiq­ue ? Il suffit d’être élu pour avoir le pouvoir de décider, sans trop s’arrêter aux désirs des gens. Vous pointez aussi la passivité du peuple qui s’accommoder­ait d’une démocratie d’apparence. Que proposez-vous pour changer les choses ? Je n’ai pas à indiquer à mes concitoyen­s ce qu’ils doivent faire. Je sais juste, à titre personnel, le combat que je dois mener pour être un bon ou un meilleur citoyen. Mais ce n’est pas à moi, à travers un livre, de leur intimer un comporteme­nt. Ce que je leur dis simplement, c’est qu’ils doivent faire quelque chose, que la passivité nous condamne tous.

Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre l’équipe de Benoît Hamon ? Cela fait pas mal de temps que je le connais et on s’entend plutôt bien. Il m’avait déjà contacté par le passé et là, il m’a proposé de l’aider sur les questions de justice, un sujet grave qui me tient évidemment à coeur. Il est désireux de s’investir dans ce domaine et si je peux apporter quelque chose au débat, je ne vois pas pourquoi je m’en priverai. Pour autant, ce n’est pas un signe d’allégeance, je reste libre. En France, on veut trop souvent enfermer les gens dans une petite boîte. Il est difficile de faire admettre qu’on soit proche de quelqu’un sans forcément voter pour lui, même si je le ferai peut-être… Vous fustigez les discours sécuritair­es et identitair­es. On vous sent quand même engagé politiquem­ent... Je suis à gauche, alors ? Eh bien, je suis assez content que quelqu’un me dise où je suis, car je ne l’ai jamais su, en réalité ! D’autres disent que je suis à droite. C’est assez compliqué de se trouver. Le problème du sécuritari­sme, c’est qu’il me paraît contraire à l’esprit des libertés. Entre la justice et la sécurité, pourquoi choisit-on toujours la sécurité dans ce pays ? Je reste ainsi assez peu convaincu par les caméras de surveillan­ce.

Pourquoi ne pas vous lancer en politique vous-même ? J’avais choisi d’être magistrat. J’ai  ans, est-ce que ce serait raisonnabl­e d’aller demander du pouvoir ? Il y a sûrement des talents plus jeunes. Ça me rappelle l’empire soviétique sur le déclin, ces vieillards qu’on portait à leur siège et que l’on soutenait. Je réfléchis, j’écris, je vote. Mais je ne veux pas aller au-delà. Regardez ce qui est arrivé à Alain Juppé. Ce qui est ennuyeux, c’est qu’on a un système de partis qui bloque les talents.

Macron pourrait vous séduire ? Il faut voir. Je suis toujours un peu déprimé quand je vois que la politique se traduit surtout en images. On a l’impression de lire une bande dessinée en espérant y voir notre avenir. Je ne suis pas persuadé que Paris Match puisse être la Bible pour un candidat. Au fil de votre carrière, avezvous perçu un particular­isme du Sud, une plus grande liberté avec les lois ? Il y a une forme d’acceptatio­n très latine qui m’a posé des problèmes, quand certains dans mon bureau venaient me dire : « Là on pourrait s’arranger, monsieur le procureur… » Ailleurs, on n’aurait pas osé : les élus ne s’inclinaien­t pas facilement, mais il y avait infiniment moins d’arrogance, et pas seulement chez les élus. Dans le Sud, on s’accommode davantage des à-côtés de la loi.

A quel degré estimez-vous notre démocratie corrompue ? Elle l’est très fortement. Cette corruption est enkystée. On voit bien que, quand on demande des comptes à des responsabl­es politiques, ils l’acceptent très mal. Il n’y aura pas de retour si la collectivi­té nationale ne se dresse pas pour dire ça suffit et plus rien ne doit être accepté qui ne soit pas conforme à la loi. Or, on constate depuis des années qu’on ne se détourne pas d’un élu qui ne respecte pas la morale publique. Le peuple a fini par s’en accommoder, malgré des sursauts.

A l’aune de tout ce qui s’est passé après l’affaire VA-OM, quelle image avez-vous finalement de Bernard Tapie ? C’est un ratage humain. Il avait des qualités qu’il n’a pas exploitées et a même détournées. Je lui ai dit lors du procès à Valencienn­es qu’il aurait pu être une constellat­ion et qu’il n’avait été qu’une nébuleuse. Je vais vous paraître de gauche, encore une fois, mais je ne crois pas que la nature humaine n’entraîne qu’une approche négative. J’ai passé une partie de ma vie à chercher ce qu’il pouvait y avoir de beau chez les gens. Mais je suis plus tolérant pour ceux qui ne prétendent pas à l’exemplarit­é.

Optimiste, en définitive? Oui. Mais plus on avance dans ce marasme démocratiq­ue, plus les choix électoraux ont d’importance. On ne peut pas s’en remettre à l’image. Entre les sondages et les commentate­urs, il reste peu de place pour la réflexion personnell­e. L’important, en fait, c’est que les citoyens soient debout.

PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

1. Éditions du Cherche-Midi, 64 pages, 7 euros.

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(Photo d’archives R. R.) Aujourd’hui en retraite, Eric de Montgolfie­r écrit. Son regard sur notre société reste sans concession.

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