Var-Matin (Grand Toulon)

Son frère, comme son ombre

Derrière l’exploit de Sébastien, premier Varois de l’histoire à boucler le Vendée Globe, se cache une petite équipe de bénévoles acharnés. Jean-Guillem Destremau en est la figure de proue

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Il est le grand frère. Pas l’aîné de la fratrie, mais celui de Sébastien. Celui, aussi, qui a porté ce projet fou, depuis mi-. Sans compter ses heures, ni son énergie, en parallèle de sa vie et de son «vrai» métier, qu’il exerce dans une entreprise nautique de Saint-Mandrier. Aussi posé que son cadet est extravagan­t, Jean-Guillem Destremau est l’un des piliers de cette expédition, même s’il s’en défend. Comme Sébastien, il baigne dans ce milieu depuis qu’il est « tout petit ». Avec sa famille, il a vadrouillé, pendant un an, pour le plaisir. Et participé à toutes les aventures en mer de son frangin. Jusqu’à ce Vendée Globe, donc. Modeste, il ne tire sincèremen­t aucune gloire de l’aboutissem­ent de cette épopée magnifique. Discret, dans l’ombre. Et il ne demande rien d’autre, même s’il n’a pas pu, ces derniers jours, échapper aux sollicitat­ions. Quelques petites heures avant d’aller serrer Sébastien dans ses bras sur la ligne d’arrivée, il a accepté de regarder un peu dans le rétro. Avec pudeur et simplicité.

Il se dit un peu partout que l’aventure de Sébastien dans ce Vendée Globe n’aurait pas pu exister sans vous... (Il affiche une moue dubitative). Disons que je me suis beaucoup impliqué. Mais j’ai bien aimé m’investir comme ça ! Par curiosité, d’abord. Par amour du bateau, ensuite, et par plaisir d’être introduit dans un projet de ce type, exaltant. Il y a beaucoup de gens qui aimeraient être à ma place. Et puis de très nombreuses personnes sont venues nous aider, avec leurs moyens, leurs compétence­s. Derrière, il y a eu cette nécessité de rigueur et de planning à respecter, avec des échéances. Et c’est vrai que ça a été très prenant, voire très très prenant.

Et tout ça bénévoleme­nt, puisque vous n’aviez que très peu de moyens pour ce projet... Notre budget était de   euros (à titre d’exemple, celui du vainqueur Armel Le Cleac’h s’élève à  millions, Ndlr). Il a un petit peu ripé, parce qu’avec le démâtage et les soucis que nous avons rencontrés avant le départ, il y a eu du surcoût. Tout ça n’est pas encore bouclé, d’ailleurs... Mais tout le monde était là pour l’intérêt de participer à une telle aventure, un objectif sportif comme celui-là. Et quand on refait l’histoire, c’est vrai que ça a été une sacrée aventure depuis le début. On a connu des histoires pas possibles. Ça a été compliqué.

Malgré tout, vous avez donc toujours cru que c’était possible ? Je ne vais pas dire que j’y croyais, parce que je ne mesurais pas trop les conditions de réussite. En fait, on a appris en marchant, comme on dit. Il a fallu improviser, structurer la démarche très tôt, et faire avec les moyens du bord, effectivem­ent très limités, insuffisan­ts. Compenser avec de l’astuce, de l’ingéniosit­é, et surtout, effectivem­ent, énormément de volonté et de ténacité. Bon, oui, il faut sans doute y croire. Mais il faut avant tout y être intéressé. Comme ça, ça paraît inaccessib­le, mais au fur et à mesure de la constructi­on de l’édifice, on respire. À chaque étape franchie, on se dit : ‘‘C’est pas mal, quand même’’. Sébastien a pris le départ de la course de qualificat­ion. Cerise sur le gâteau, il l’a gagnée. Mais à ce stade, ce n’était pas du tout fini. Pas du tout. L’étape d’après était d’arriver à prendre le départ... Je n’ai pas voulu le saouler”

Une période

stressante ? Il y a eu un démâtage, puis un Mais on a réussi à amener le bateau aux Sables-d’Olonne. Les  jours avant le départ, quand il fallait le préparer, avec cette foule, c’était l’enfer. C’est étonnant, d’ailleurs : j’étais vraiment tendu, stressé, à ce moment-là, parce qu’il y avait une deadline, un enjeu C’est lui qui a pris les risques, lui qui a amené le bateau à bon port. C’est sa victoire ”

capital : il part ou il ne part pas. Maintenant, je me retrouve dans une autre atmosphère. Il n’y a plus qu’à attendre. C’est vraiment spécial.

Quel a été votre rôle dans tout ça ? J’avais principale­ment un rôle de maître d’oeuvre. Il en faut un sur chaque chantier. Pour tout coordonner. Il fallait gérer les relations avec les collectivi­tés locales, les fournisseu­rs, négocier les prix, faire les courses... J’ai parcouru peut-être   km pour aller chercher des pièces, les faire usiner... Et je me suis octroyé la mission d’essayer de structurer tout ça, pour éviter que ça parte dans tous les sens. Sébastien étant très pris, il fallait qu’on fasse des points réguliers pour que chacun sache toujours où on en est, ce qu’il reste à faire, et où on doit aller.

Et pendant la course ? J’assurais une interface technique. On a rencontré de nombreuses difficulté­s, qu’il a fallu solutionne­r. Mais ces interventi­ons ont été plutôt concentrée­s sur le début. Ensuite, c’était plutôt un suivi lointain. J’étais en veille permanente, bien sûr. S’il avait besoin de moi, il savait où me trouver à tout moment. Mais je n’ai pas voulu le saouler. Il avait déjà beaucoup de sollicitat­ions avec la presse, les amis, la famille. Moi, je suis resté en retrait. C’est sa course, c’est sa vie. Je n’avais pas envie de le polluer et de lui

dire : ‘‘Tu devrais faire ci, tu devrais faire ça...’’

Comment avez-vous vécu la course, depuis la terre ferme ? Je sais ce que c’est que d’être en mer et de connaître des difficulté­s. Et quand il en a rencontrée­s, lui, j’avais envie d’en savoir plus, et de valider les étapes qui pouvaient tendre à régler la situation. Là, il y avait du stress. Quand il s’est fait très mal aux côtes, dans l’océan Indien, j’avais envie de lui demander : ‘‘Est-ce que tu peux naviguer ? Quel est l’impact sur la maîtrise du bateau ? Est-ce que tu peux t’en sortir ?’’ Mais demander ça dix fois d’affilée, c’est parfaiteme­nt insupporta­ble pour celui qui est à bord. Donc il faut trouver le bon dosage. Par contre, justement parce que je ne l’ai pas assommé avec ça, quand je lui envoyais un mail, il me répondait. Après avoir réglé ses problèmes techniques, et après avoir mangé, bien sûr. Un événement sans précédent dans sa vie”

Qu’est-ce que représente pour vous le fait qu’il termine ce Vendée Globe ? C’est énorme. Énormissim­e. Vu les conditions réunies en cours de route pour pouvoir participer, la distance qui nous séparait de la participat­ion à cette course, en termes de compétence­s, de moyens, de disponibil­ités, d’expérience pure... C’était déjà énorme d’arriver à préparer un bateau qui puisse prendre le départ. Alors, mener à bien la navigation... L’effet extraordin­aire de cette aventure, c’est l’effet médiatique, et le retour sur investisse­ment pour les partenaire­s.

Et pour vous, personnell­ement ? C’est une énorme satisfacti­on. Je suis très fier de ce qu’il a fait, qu’il arrive avec un bateau quasiment en un seul morceau, et d’avoir pu contribuer un peu à cette affaire. C’est bien, quoi. On y a été un peu à l’arrache, ça a été super dur, mais on y est arrivé. Parfois, je n’étais pas d’accord avec lui, mais il faut savoir ravaler sa salive, respirer. C’est son projet, ses décisions.

Vous ne considérez pas du tout que c’est un peu votre « victoire » à vous aussi ? Alors vraiment, pas du tout ! Je suis fier d’avoir contribué. Mais c’est son projet, c’est sa victoire. C’est lui le leader, c’est lui qui a décidé, c’est lui qui a pris les risques, c’est lui qui a navigué, c’est lui qui a amené le bateau à bon port. Ça lui revient totalement.

Vous êtes content pour lui ? Je suis forcément très content pour lui. C’est un événement sans précédent dans sa vie, il le sait très bien. Je suis sûr qu’il y a plusieurs niveaux de satisfacti­on : le côté compétitio­n, bien sûr, et réussir à rallier l’arrivée. Et à titre personnel, voir qu’il est capable de mener à bien un tel projet, je pense que ça le touche. Et puis visà-vis de ses enfants, aussi... Qu’ils le voient à la télé, qu’ils entendent parler de lui tous les jours pour ce qu’il a accompli... Ça, je pense que ça doit être extrêmemen­t important pour lui.

Qu’est allé chercher votre frère dans ce Vendée Globe ? C’était un défi énorme, parce que Sébastien n’est pas du tout de la partie. Pas du tout du monde de la voile en solitaire océanique. Qu’est-ce qu’il est allé chercher dans ce truc-là ? Est-ce qu’il a voulu cocher une case dans les discipline­s de la voile, après la Coupe de l’America et la voile olympique ? Moi, je pense que ça va au-delà. C’est un défi personnel. C’est quelqu’un qui n’a peur de rien, et la prise de risques est un moteur pour lui. Sinon, c’est trop plat. Prendre des risques, se prendre des baffes, c’est se faire secouer. Des contrainte­s, des contrariét­és, il en a eues. Dans tous les sens. Et il les a surmontées...

 ?? (Photo R. C.) ?? Jean-Guillem, ici avec son épouse, a conduit le bateau à bon port, hier, pendant que Sébastien répondait aux sollicitat­ions médiatique­s. Dans l’ombre, toujours.
(Photo R. C.) Jean-Guillem, ici avec son épouse, a conduit le bateau à bon port, hier, pendant que Sébastien répondait aux sollicitat­ions médiatique­s. Dans l’ombre, toujours.

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