Var-Matin (Grand Toulon)

Villeneuve-Loubet: l’esthétique de la pudeur

- ANDRÉ PEYREGNE

Il y a une dizaine d’années, je vis le fort Sainte-Marguerite au moment où il servait d’habitation à une soixantain­e de fils du Prophète qui, en face des orangers et des citronnier­s de la Provence, avaient la nostalgie des palmiers de leur patrie. Le plus curieux de ces Arabes captifs était un marabout qui, depuis des années déjà, se tenait accroupi à la même place, immobile et les yeux tournés vers l’Orient. Ses traits, immobiles comme son corps, semblaient pétrifiés. Il était impossible de saisir l’ombre d’une pensée ou d’une émotion sur ce visage marmoréen. Ce saint homme avait des ongles d’un demi-pied de longueur et une barbe dont il aurait pu se servir pour balayer le parquet.» Les prisonnier­s musulmans ne sont plus là, l’enchanteme­nt de la nature demeure.

Le climat de Golfe-Juan meilleur qu’à Cannes

Les jardins, le journalist­e Edmond Texier les trouve sur la route du littoral. Le bétonnage de la frange côtière n’avait pas encore commencé. « Il n’est pas au monde de plus merveilleu­se promenade que la route de Cannes à Nice. C’est un immense jardin d’oliviers et de citronnier­s, bordé d’un côté par les villas, de l’autre par la Méditerran­ée, qui se découpe en aimables golfes, dont le plus célèbre est le golfe Jouan, où débarqua Napoléon au retour de l’île d’Elbe. Un aubergiste, qui cumule les fonctions de marchand de vin avec celles de cicerone, montre l’olivier où bivouaqua l’Empereur. Supprimez cet olivier, l’aubergiste est ruiné, car on ne met pied à terre devant son auberge que pour voir l’arbre historique. » Selon, Texier, Golfe-Juan (il écrit, lui, Golfe Jouan) se prépare un bel avenir touristiqu­e. « La première qui se lança à Golfe Jouan fut une Parisienne, Mme Juliette Lamber, auteur du Voyage autour du Grand Vin et des Récits d’une paysanne. Elle fit bâtir à mi-côte une jolie villa et bravement elle s’y installa, certaine qu’elle serait suivie. Cette villa Bruyère, admirablem­ent située, appelait, en effet, d’autres villas. Les voisins accoururen­t… Le golfe Jouan sera encore plus peuplé que Cannes. Une compagnie, à la tête de laquelle est le comte de Fersen, bâtit de son côté vers Antibes, et parle même de construire des hôtels et un casino. Au golfe Jouan, comme à Cannes, les plantes tropicales prospèrent, et le dattier frileux lui-même, poussant en pleine terre, démontre suffisamme­nt aux valétudina­ires qu’ils retrouvero­nt nulle part ailleurs un ciel plus doux, une températur­e plus clémente. »

Le journalist­e prédit un grand avenir pour Nice

Au-dessus de Golfe-Juan, voici Vallauris : «Le golfe est dominé par le joli village de Vallauris (la vallée d’or), et ses villas, chaque année plus nombreuses, ses jardins, ses bosquets d’orangers, l’admirable panorama qui se déroule aux regards du haut des riches collines, en font pour l’artiste un site plein de charmes. » Mais, bien sûr, la ville qui attire les touristes au début des années 1860, c’est Nice. Nice est devenue française depuis quatre ans. On vient lui rendre visite comme à une nouvelle venue dans la famille. « Nice apparaît, couchée au fond de son golfe, et le mont Alban se dessine vigoureuse­ment dans le fond, audelà du sillon jaunâtre que trace le Var, au milieu des ondes bleues de la Méditerran­ée. Nice se met en frais d’une nouvelle toilette et sera certaineme­nt la ville, sinon la plus favorablem­ent située, du moins la plus brillante du littoral... Les hôtels qui s’élèvent sur la promenade des Anglais nous font bien augurer des embellisse­ments qu’elle annonce et qui feront de cette ville une station incomparab­le. » Le journalist­e de l’Illustrati­on ne s’est pas trompé ! Christian Loubet, agrégé et docteur en histoire moderne, spécialisé dans l’Histoire des mentalités et des arts va parler de l’évolution de la pudeur dans les oeuvres picturales au fil des siècles. La conférence part de la Renaissanc­e où la Vénus de Botticelli permet de sublimer la chair. Ensuite, le catholicis­me développe une pastorale de la sensibilit­é. Alors, les « baroques » tels Rubens représente­nt des corps en gloire à l’image de Dieu. Les XIXe-XXe siècles voient se développer une représenta­tion plus réaliste comme l’Origine du Monde de Courbet. Puis, l’exhibition vulgaire, de Lautrec traduit la montée de la prostituti­on et la perte des idéaux. Suivent des peintres modernes tels Staël, Niki de Saint-Phalle, Mueck ou Franta, qui expriment la fusion des corps au seuil du mystère de la vie.

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