Majorités tournantes
Heureusement qu’ils n’étaient pas onze ! Car ce qui surnagera de ce débat digne, vif, animé, et de haute tenue, c’est d’abord la complexité du choix auquel sont confrontés les Français. Ou plus exactement, une clarification de la complexité. Finie la bipolarisation. Finie la rassurante dichotomie qui a longtemps dominé la vie politique française. Ce sont bien cinq offres politiques distinctes qui nous sont proposées. Avec deux pôles de radicalité clairement identifiés, incarnés et éloquemment défendus par Jean-Luc Mélenchon et Marine
Le Pen. Et entre les deux, une gradation, un camaïeu de positions, dessinant selon les sujets des rapprochements variables, on pourrait presque dire des majorités d’idées tournantes. Nuances comprises, on voit se dessiner, ou s’esquisser, sur des thèmes comme la majorité pénale à ans, la gestion des flux migratoires, l’accueil des réfugiés, et plus encore la laïcité – premier choc dur de ce débat – une coalition MélenchonHamon-Macron face à l’axe « sécuritaire » Fillon-Le Pen. Et puis, tout aussitôt, un beaucoup plus improbable rapprochement Fillon-Le Pen-Macron pour défendre la Ve République contre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Et non moins baroque, un tir croisé Hamon-Le Pen visant la supposée connivence de Macron avec
les milieux d’affaires, qui verra le candidat centriste sortir de ses gonds et rendre coup pour coup. Prélude, si l’on ose dire, à un échange à balles réelles sur le thème de la moralisation de la vie publique, dont François Fillon sortira d’ailleurs sans trop de dommages, s’étant même payé le luxe de mettre le premier la question, sur la table, ce qui ne manquait pas d’habileté. Mais c’est sans doute sur les chapitres économiques et sociaux – par exemple l’organisation du marché du travail, le protectionnisme, le rôle de l’Etat, la protection sociale – que se manifeste de la façon la plus éclatante le grand brouillage des repères idéologiques traditionnels. C’est-à-dire l’apparition de nouveaux clivages définis par le rapport au travail, le rapport au libéralisme, le rapport à l’Europe et à la mondialisation, qui viennent percuter le clivage gauche-droite, amenant par exemple Jean-Luc Mélenchon à se désolidariser de Benoît Hamon sur le revenu universel, Emmanuel Macron à faire cause commune avec François Fillon contre Marine Le Pen sur la sortie de l’euro, ou la même à abonder dans le sens de Jean-Luc Mélenchon sur le retour à la retraite à ans. Le problème, c’est qu’à l’élection présidentielle, c’est menu fixe. Les électeurs ne peuvent pas choisir à la carte. A part les convaincus d’avance, on doute qu’il se soit trouvé beaucoup de téléspectateurs pour approuver en bloc et en détail l’ensemble des propositions de l’un ou l’autre des cinq postulants. Et il n’est pas sûr que ce débat, propre à renforcer la détermination des déterminés, ait beaucoup contribué à dissiper la perplexité de ceux, nombreux, qui n’ont pas encore fait leur choix. Il leur reste deux débats – les et avril – pour se décider.
« Finie la bipolarisation, finie la rassurante dichotomie qui a longtemps dominé la vie politique française. »