Var-Matin (Grand Toulon)

Majorités tournantes

- Par CLAUDE WEILL

Heureuseme­nt qu’ils n’étaient pas onze ! Car ce qui surnagera de ce débat digne, vif, animé, et de haute tenue, c’est d’abord la complexité du choix auquel sont confrontés les Français. Ou plus exactement, une clarificat­ion de la complexité. Finie la bipolarisa­tion. Finie la rassurante dichotomie qui a longtemps dominé la vie politique française. Ce sont bien cinq offres politiques distinctes qui nous sont proposées. Avec deux pôles de radicalité clairement identifiés, incarnés et éloquemmen­t défendus par Jean-Luc Mélenchon et Marine

Le Pen. Et entre les deux, une gradation, un camaïeu de positions, dessinant selon les sujets des rapprochem­ents variables, on pourrait presque dire des majorités d’idées tournantes. Nuances comprises, on voit se dessiner, ou s’esquisser, sur des thèmes comme la majorité pénale à  ans, la gestion des flux migratoire­s, l’accueil des réfugiés, et plus encore la laïcité – premier choc dur de ce débat – une coalition MélenchonH­amon-Macron face à l’axe « sécuritair­e » Fillon-Le Pen. Et puis, tout aussitôt, un beaucoup plus improbable rapprochem­ent Fillon-Le Pen-Macron pour défendre la Ve République contre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Et non moins baroque, un tir croisé Hamon-Le Pen visant la supposée connivence de Macron avec

les milieux d’affaires, qui verra le candidat centriste sortir de ses gonds et rendre coup pour coup. Prélude, si l’on ose dire, à un échange à balles réelles sur le thème de la moralisati­on de la vie publique, dont François Fillon sortira d’ailleurs sans trop de dommages, s’étant même payé le luxe de mettre le premier la question, sur la table, ce qui ne manquait pas d’habileté. Mais c’est sans doute sur les chapitres économique­s et sociaux – par exemple l’organisati­on du marché du travail, le protection­nisme, le rôle de l’Etat, la protection sociale – que se manifeste de la façon la plus éclatante le grand brouillage des repères idéologiqu­es traditionn­els. C’est-à-dire l’apparition de nouveaux clivages définis par le rapport au travail, le rapport au libéralism­e, le rapport à l’Europe et à la mondialisa­tion, qui viennent percuter le clivage gauche-droite, amenant par exemple Jean-Luc Mélenchon à se désolidari­ser de Benoît Hamon sur le revenu universel, Emmanuel Macron à faire cause commune avec François Fillon contre Marine Le Pen sur la sortie de l’euro, ou la même à abonder dans le sens de Jean-Luc Mélenchon sur le retour à la retraite à  ans. Le problème, c’est qu’à l’élection présidenti­elle, c’est menu fixe. Les électeurs ne peuvent pas choisir à la carte. A part les convaincus d’avance, on doute qu’il se soit trouvé beaucoup de téléspecta­teurs pour approuver en bloc et en détail l’ensemble des propositio­ns de l’un ou l’autre des cinq postulants. Et il n’est pas sûr que ce débat, propre à renforcer la déterminat­ion des déterminés, ait beaucoup contribué à dissiper la perplexité de ceux, nombreux, qui n’ont pas encore fait leur choix. Il leur reste deux débats – les  et  avril – pour se décider.

« Finie la bipolarisa­tion, finie la rassurante dichotomie qui a longtemps dominé la vie politique française. »

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